La communication gouvernementale ne s’embarrasse pas de protocole. Ismaël Madior Fall, le Ministre de la Justice, vient encore de démontrer cela. Surtout quand il s’agit de Karim Wade.
Invité à hier Sentv, il l’a clairement laissé entendre : ‘’L’Etat a une responsabilité qui est très claire, qui est de faire respecter la loi. L’application sera respectée dans toute sa vigueur. Quand il (Karim) arrivera au Sénégal, il faudra qu’il passe au Trésor pour payer les 138 milliards. Il n’a pas le choix parce que c’est la procédure. Il doit payer ou purger la peine. »
Cette déclaration est une mise en garde claire. Il répond à ceux qui parlent du retour du fils de l’ancien Président pour leur dire simplement qu’il a intérêt à rester au Qatar.
Là-dessus, nous avons quelques questions à poser au Ministre.
La première est de se demander si Karim Wade doit 138 milliards au Trésor sénégalais, c’est-à-dire au peuple, pourquoi l’Etat l’a gracié et accepté qu’il se rende au Qatar ?
L’autre question est la suivante : Est-ce que cette sortie signifie que l’Etat du Sénégal est dans l’incapacité de poursuivre Karim là où il se trouve pour recouvrer ses 138 milliards ?
Est-ce que cela veut dire que le Procureur du Qatar, qui était présent lors de son départ devant le Directeur de l’administration pénitentiaire et de la prison de Rebeuss, a emmené Karim de force ?
La réponse à ces interrogations coule de source : C’est l’Etat du Sénégal qui a laissé Karim Wade partir au Qatar sur la base d’un Protocole que certains proches du Président Macky Sall disent avoir vu.
En conséquence, de qui se moque-t-on ?
Si ce citoyen doit autant d’argent, non pas à Macky Sall, mais à l’Etat du Sénégal (la nuance est importante), ce dernier n’avait pas le droit de le laisser partir. La grâce relève certes du pouvoir discrétionnaire du Président de la République dans certaines conditions réglementées par la loi, mais cela ne dispense nullement l’ancien détenu de payer les sommes dues comme le Ministre semble vouloir nous le dire.
Cette sortie de Ismaël Madior Fall sonne comme un aveu : Les plus hautes autorités de l’Etat sont en train de reconnaitre d’avoir signé un deal sur le dos du peuple sénégalais, en parfaite violation de nos textes et en complicité avec le clan Wade qui, sans son acceptation, n’aurait pu être exécuté.
Et tant que les conditions politiques du deal, qui est un pacte moral et non juridique, sont respectées, il n’y a pas de bruit, mais dès qu’elles sont violées ou sont dans les dispositions de l’être, on agite la contrainte pécuniaire et la nécessité de rembourser.
Ce que je ne comprends pas, c’est qu’un spécialiste comme le Ministre puisse ainsi raisonner en politicien pur et dur. Comment peut-on faire dépendre le remboursement au fait de retourner au Sénégal ou de ne pas retourner au Sénégal ? Alors qu’ils étaient parfaitement au courant de son départ qu’ils ont organisé.
Je dois répéter ce que nombre de spécialistes ont toujours dit : La politique et le droit ne font pas bon ménage. On ne peut pas dire que tant que Karim reste au Qatar, il ne nous doit rien, mais dès qu’il veut retourner au Sénégal, il faudra qu’il paie. Ce raisonnement n’est pas digne d’un Professeur en droit. Si le fils de l’ancien Président avait organisé son évasion et son départ au Qatar, on l’aurait accepté. Si une demande d’extradition avait été envoyée à Doha et que les autorités qataries avaient refusé, on aurait compris. Mais, là, le raisonnement est trop tiré par les cheveux.
Certes, cet argumentaire n’est pas nouveau. L’ancien Premier MINISTRE Aminata Touré l’a maintes fois dit et répété. Mais venant du Ministre de la Justice, de surcroit universitaire, il y a de quoi hésiter à entrer en politique. Elle semble faire croire à ses adeptes que non seulement ‘’tous les moyens sont bons’’, mais qu’aussi, ‘’tous les raisonnements sont acceptables’’, pourvu d’avoir raison.
Nous ne disons pas que Karim Wade ne doit pas de l’argent ou qu’il ne doit pas payer. Nous nous demandons simplement pourquoi l’Etat qui le savait l’a laissé partir. Et pourquoi rien n’est tenté pour le faire revenir ? Et que c’est plutôt la perspective du retour qui fait peur ?