Dans la région de Kolda, beaucoup de femmes sont victimes de fistule obstétricale et vivent dans des coins reculés et difficiles d’accès. Une maladie qui intervient généralement à la suite d’un accouchement compliqué. Isolées par leurs familles, analphabètes et sans moyen financier, elles vivent l’enfer sur terre. Du 11 au 21 septembre, ‘’EnQuête’’ a sillonné une dizaine de villages pour aller à la rencontre des bannies de la société et voir les solutions apportées par les autorités sanitaires.
Reportage
‘’Nous sommes toutes victimes de la même maladie : la fistule obstétricale. Une affection qui entraine souvent une perte incontrôlée d’urines. C’est-à-dire que les urines s’écoulent de façon continue. Ce qui fait qu’il y a une odeur nauséabonde qui se dégage en nous. Cette maladie met en péril notre santé, nos espoirs et notre dignité’’. Ce triste témoignage des fistuleuses renseigne à suffisance ce à quoi ressemble leur vie.
La fistule est une pathologie qui met ses victimes à la marge de la communauté. ‘’Nos voisins ne viennent ni nous voir ni nous parler, encore moins boire le thé avec nous. Nous nous retrouvons toutes seules, exclues de nos familles, rejetées par nos maris, nos villages et sans moyens. Sincèrement, nous vivons un véritable calvaire, en plus de la honte. Nous sommes traumatisées et stigmatisées’’, se lamentent-elles.
Dans les villages les plus reculés, ces femmes porteuses de fistule obstétricale appartiennent au club des rejetées. Aucun homme ne veut d’elles. Leur réputation de femmes empestant l’urine et les excréments les précède. ‘’Les femmes de la honte’’ ou ‘’femmes sans frein qui urinent au lit’’, comme on les appelle, ont oublié ce à quoi ressemble le plaisir d’être avec les leurs.
Selon les spécialistes de la santé interrogés, la fistule est un problème mondial. Elle survient d’ordinaire pendant un accouchement prolongé, quand les conditions ne sont pas réunies pour une césarienne dans les meilleurs délais. La fistule obstétricale, explique les médecins, est la constitution d’une communication anormale (une fistule) entre la vessie et le vagin (fistule vésico-vaginale) ou entre la vessie et le rectum (fistule vésico-rectale), résultant de la rupture d’un nombre important de tissus entre la vessie et le vagin ou la vessie et le rectum, survenant à la suite d’une grossesse compliquée.
‘’Les mariages précoces sont, d’une manière générale, à l’origine de ce mal. Qui dit mariage précoce parle aussi de grossesse et d’accouchement précoces. Un développement insuffisant du bassin de la jeune fille ne permettant pas le passage aisé du nouveau-né, l’accouchement laisse des séquelles graves’’, précisent-ils.
Bien que malades, ces femmes porteuses de fistule se retrouvent souvent dans la position d’accusées et en dehors de tous les circuits traditionnels de solidarité. Par exemple, dans les villages visités des communes de Niaming, de Bourouco, de Coumbacara, de Salikégné et de Thiéty, de Médina El Hadji et de Saré Yoba Diéga, il y a des femmes qui se cachent parce qu’elles sont porteuses de fistule. Même les êtres qui leur sont chers les évitent. ‘’Quand la fistule arrive, nos maris nous fuient par la fenêtre’’, répètent-elles comme un slogan.
D’après les techniciens de la santé, les femmes non soignées, non seulement peuvent s’attendre à une vie de honte et d’isolement, mais risquent aussi de connaître une mort lente et prématurée pour cause d’infection et d’insuffisance rénale.
Par ailleurs, il est difficile de donner des statistiques concernant cette maladie, dans la mesure où les malades se cachent. Mais, au fur et à mesure qu’elles sont opérées, elles retrouvent leur dignité. Selon les techniciens de la santé, la prise en charge est multi-sectorielle. ‘’Le premier volet consiste à dépister les victimes, les orienter vers les centres de santé, les opérer, les traiter et les guérir. La deuxième phase vise leur réinsertion dans la société. Car la majorité de ces patientes ont vécu dans une pauvreté extrême. Elles ont déchiré tous leurs pagnes et vêtements pour en faire des garnitures et des couches de protection. Elles sont complètement démunies’’, expliquent-ils. Il s’y ajoute qu’avec cette pathologie, les femmes porteuses de fistule ne peuvent pas exercer une activité génératrice de revenus, à cause des odeurs pestilentielles qu’elles dégagent à longueur de journée.
Pour les aider à sortir de cet enfer, les autorités sanitaires de la région de Kolda, avec l’appui des partenaires, ont organisé un camp de réparation des fistules logé au sein de l’hôpital régional.
‘’Seules nos mamans nous aident et nous réconfortent’’
En cette matinée du vendredi 21 septembre, il est 11 h 30 mn, quand nous avons débarqué au camp de réparation des fistules. Une quarantaine de femmes atteintes de la maladie sont les unes assises, les autres couchées sur leur lit, la mine triste. Un silence de cathédral règne dans des salles exiguës. Certaines fistuleuses discutent entre elles, tandis que d’autres ont les yeux rivés sur les visiteurs. Ces dames victimes de lésions graves et dangereuses reçoivent des soins médicaux gratuits et une écoute à l’abri des préjugés.
‘’La plupart d’entre nous qui sommes là vivons depuis 10 ans avec la maladie. Nous sommes abandonnées par nos maris et nos amies. Ce sont nos mamans, parfois, qui nous assistent et nous donnent le courage de vivre’’, a expliqué Ousmane Barry, une femme âgée d’une trentaine d’années et porte-parole des ses camarades d’infortune.
Très satisfaites d’avoir bénéficié de ces soins médicaux, les pensionnaires du camp de réparation des fistules remercient l’Etat du Sénégal, les autorités sanitaires de Kolda et leurs partenaires de leur avoir donné une chance de démarrer une nouvelle vie. ‘’Nous sommes guéries et nous pouvons désormais vivre et être acceptées par la communauté. Nous avons retrouvé notre dignité et notre personnalité’’, martèle leur porte-parole.
La pauvreté, l’analphabétisme, le faible accès aux services de santé
Vêtus de blouse blanche, les médecins dirigés par l’urologue Dr Abdou Razack Zackou, passent régulièrement voir les patientes. Le contact entre les docteurs et les fistuleuses est facile. Ils leur demandent comment elles se sentent et échangent avec elles dans le cadre d’une conversation tout aussi simple que nécessaire. L’un des docteurs préférant garder l’anonymat soutient que le camp de récupération des fistules de Kolda est un succès, en dépit de la dimension de la tâche jugée lourde et difficile. ‘’A mesure que la population augmente, les besoins sont également en hausse. Mais nous nous battons pour faire de notre mieux’’, a laissé entendre cet interlocuteur.
Ce spécialiste de la santé affirme que le camp est ‘’un oasis pour les femmes porteuses de fistule’’. ‘’Non seulement les fistules endommagent leur bien-être physique et mental, mais elles sont aussi stigmatisées au sein de leurs familles et de la société. Elles n’ont plus de foyer’’, se désole-t-il.
Selon notre interlocuteur, les causes de la progression du mal sont communes aux pays en développement. ‘’Les facteurs essentiels restent la pauvreté, l’analphabétisme et le faible accès aux services de santé. Il y a aussi des facteurs sociaux comme le mariage précoce’’, explique-t-il.
Depuis le 10 septembre dernier, explique le directeur de l’hôpital régional de Kolda, Dr Cheick Mbaye Seck, une équipe ‘’très dynamique’’ a été mise sur pied pour accueillir, héberger et restaurer les patientes. Ainsi, les femmes atteintes sont internées à l’hôpital régional avec les autres patientes, pour éviter qu’elles soient stigmatisées. ‘’Nous avons 40 patientes que nous avons opérées, parmi lesquelles 9 femmes viennent de la région de Tambacounda. Nous sommes appuyés par l’Hôpital général de Grand-Yoff (ex-Cto de Dakar)’’, a expliqué Dr Seck.
L’année dernière, ajoute-t-il, 49 d’entre elles ont été opérées ; seules 3 sont revenues. Ce qui veut dire que le taux de réussite est de plus de 95 %. D’après le directeur, un premier lot de 30 infirmiers, sages-femmes et médecins ont été formés sur le dépistage de la fistule obstétricale. Ces techniciens de la santé sont chargés de référer les malades à l’hôpital. ‘’Il y aura un deuxième lot. Parce que notre objectif est de former 90 agents de santé composés d’infirmiers chefs de poste et de sages-femmes qui sont à la périphérie’’, précise-t-il.
Le directeur de la Santé de la mère et de l’enfant au ministère de la Santé et de l’Action sociale, Dr Oumar Sarr, venu visiter le camp de réparation des fistules de Kolda, se félicite du travail titanesque des spécialistes de la santé, en collaboration avec les partenaires au développement. ‘’Sur les deux camps de réparation de fistules de Kolda et de Sédhiou, nous avions prévu d’opérer 50 femmes. Mais les dernières informations que j’ai nous donnent un bilan global de 48 femmes réparties comme suit : 40 pour Kolda et 8 pour Sédhiou’’, se félicite-t-il. Ce qui lui fait dire que l’objectif du camp a été atteint.
La gratuité des soins médicaux
Si l’on en croit le directeur de la Santé, l’intervention est gratuite de bout en bout. ‘’Le transport de ces fistuleuses, leur hébergement et leur restauration, l’acte opératoire et même les kits de dignité, tout est gratuit. Nous comptons mener et pérenniser ces activités à travers les différentes structures de santé du pays, afin que les femmes soient détectées au fur et à mesure et prises en charge’’, promet-il.
Au demeurant, selon les autorités sanitaires, beaucoup d’efforts restent à faire, pour atteindre l’éradication de la fistule obstétricale au Sénégal. C’est pourquoi elles lancent un appel fort pour une mobilisation générale afin que ce combat pour la dignité des femmes victimes de la fistule obstétricale devienne une affaire de tous.
Le directeur de la Santé de la mère et de l’enfant au ministère de la Santé et de l’Action sociale, Dr Oumar Sarr, a assuré que l’Etat du Sénégal ne ménagera aucun effort pour renforcer la lutte contre ce fléau. De même, il réaffirme l’engagement de l’Etat et ses partenaires à contribuer à l’éradication de cette pathologie. Une action qui répond, rappelle-t-il, au nouvel ordre mondial à travers les Objectifs du développement durable (Odd).