Bruno Diatta ne se doutait sans doute pas à quel point les Sénégalais l’appréciaient. Il se serait surpris de l’hommage unanime que tous les fils de ce pays lui portent, en reconnaissance de ses bons et loyaux services au bénéfice de l’Etat.
Et il n’a guère usurpé cet œcuménisme qui est rare chez nous. Tous ceux qui l’ont côtoyé depuis Senghor reconnaissent en lui ses qualités d’homme d’Etat, sa compétence, sa loyauté.
Si Senghor, Diouf, Wade et Macky lui ont tous fait confiance, c’est qu’il l’a amplement mérité.
Le Chef du protocole de la Présidence est parti sans protocole, parce qu’il faut bien le faire un jour, parce que nul n’est éternel. Mais, il a servi l’Etat dans des moments de paix comme de trouble, en a gardé le secret, en a incarné la grandeur et en a symbolisé la pérennité.
Malheureusement, c’est une espèce en voie de disparition au Sénégal. Ce type de fonctionnaires est en train de disparaitre. Non pas que les hommes et les femmes qui l’incarnent ne sont pas à la hauteur, mais parce qu’ils ont été pratiquement ‘’contraints’’ à se vêtir de manteaux politiques qui les obligent non pas forcément à servir l’Etat, mais le Chef de l’Etat.
Or, rappelons, le Chef de l’Etat n’est pas l’Etat. Car, le premier est mortel, va quitter ses fonctions pour être remplacé comme tous ses prédécesseurs, alors que l’Etat est ‘’éternel’’.
Ce maxime ‘’les hommes passent et les institutions demeurent’’ le résume assez bien. Malheureusement, depuis quelques décennies, le glissement auquel on a assisté fait de hauts cadres fonctionnaires des hommes politiques qui sont souvent obligés de redescendre dans leurs localités pour se forcer à avoir une base politique.
A défaut, il n’est pas sûr qu’il va durer à son poste car, plus les responsabilités sont grandes, plus la révocation devient facile, elle se fait souvent ‘’ad nutum’’ (sur un coup de tête).
Alors, il ne suffit plus aujourd’hui d’être bardé de diplômes, d’être compétent, mais surtout de s’entourer de maximums de personnes dont certains sont des fainéants que vous êtes obligés d’entretenir, pour des besoins ‘’politiques’’ pour ne pas dire électoralistes.
C’est dommage. Car, ceux qui les contraignent ainsi à ‘’mouiller le maillot’’ ne se doutent pas, un seul instant, qu’ils sont en train de braquer une bonne partie de l’opinion contre eux. Car, devenant des politicards, ils n’hésitent pas à faire des promesses non-tenues, à verser dans la surenchère verbale et à regarder les gens de haut.
Conséquence, les soi-disant technocrates deviennent des politiques ou des politiciens. Et parmi des médecins, des ingénieurs, des agriculteurs, etc. des gens dont la Nation a besoin dans d’autres secteurs.
Imaginons un instant si Bruno Diatta était parti faire de la politique à Cabrousse, soi-disant pour se faire une base politique. Son capital-sympathie se serait incontestablement écorné.
Partant de cela, on imagine aisément à quel point la politique fait du mal à nos cadres.
Mais le plus grave, c’est quand ces serviteurs de l’Etat doivent assumer ses responsabilités au détriment de l’Exécutif qui est souvent, à tort, confondu avec l’Etat. Il a tendance à se pencher du côté du plus fort, même s’il sait que la vérité est ailleurs.
En clair, il ne nous semble pas que l’environnement de l’Etat plaide aujourd’hui pour la perpétuation de l’œuvre de Bruno Diatta.
Car, ce que l’on ne dit pas assez, c’est que l’homme est sorti de l’école de Senghor. Le père-fondateur à qui l’on ne rend pas du tout l’hommage mérité, était un homme d’Etat et a fomenté ses collaborateurs dans cette dynamique.
C’est dire à quel point la volonté politique du Chef est importante pour inculquer une dynamique de respect des lois, des institutions qui priment sur les considérations partisanes et personnelles.
Invité de notre émission Actu-Média de ce dimanche sur Rewmi Fm, en compagnie du journaliste Daouda Thiam, le Professeur Iba Barry Camara, de la faculté des Sciences juridiques de Dakar, faisait remarquer qu’il faut, pour ce faire, que les hommes qui nous gouvernement maîtrisent les notions élémentaires de l’Etat. Il a ainsi l’impression que c’est là où se situe le problème et il n’a pas tort.
Notre système éducatif gagnerait en effet à inclure l’enseignement du droit, notamment public, depuis le lycée et le collège pour que les jeunes, à tous les niveaux, comprennent les notions d’Etat, de Nation, de séparation des pouvoirs, de Justice, de Parlement, d’Administration, de Finances publiques, etc.
Tous nos efforts pourraient être vains si les politicards qui arrivent au pouvoir n’ont aucune maitrise des notions élémentaires qui soutiennent l’Etat dans son essence et ses fondements.
Bruno Diatta, c’est presque la fin d’une génération, celle qui cultivait l’excellence pour être une référence. Le tout, au service de tous.