Venus de tous les horizons académiques et politiques, les 25 auteurs du rapport « La course à la nouvelle frontière des revenus » ont passé au crible le « Plan Sénégal émergent », pour vérifier si le pays est capable d’atteindre l’émergence en 2035.
Le Sénégal a une bonne cote internationale. L’alternance politique pacifique semble y être solidement installée. La sécurité y est réelle. Surtout, il « a fait des progrès considérables pour consolider ses équilibres macroéconomiques au cours des dernières décennies », comme le disait Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), le 14 septembre devant le Center for Global Development à Washington, à l’occasion de la publication du rapport « Race to the next income frontier : how Senegal and the other low-income countries can reach the finish line » (La course à la nouvelle frontière des revenus : comment le Sénégal et d’autres pays à bas revenus peuvent atteindre la ligne d’arrivée).
CROISSANCE DU REVENU PAR HABITANT DE 0,6 % PAR AN ENTRE 1987 ET 2015
Certes, au cours des trois dernières années, la croissance sénégalaise a dépassé chaque année les 6 %. Malheureusement, le compte n’y est pas. Il lui faudrait progresser autour de 7 à 8 % par an pour créer les emplois nécessaires à la marée de jeunes qui s’annonce, puisque 45 % de sa population a moins de 14 ans. Avec une croissance du revenu par habitant de 0,6 % par an entre 1987 et 2015, il fait moins bien que les pays subsahariens comparables.
Taux de croissance annuel moyen du PIB par habitant pour les pays à faible revenu, à revenu moyen, en Afrique subsaharienne et au Sénégal, 1987-2015
Ils se sont donc mis à 25 auteurs, venus de tous les horizons académiques et politiques, pour passer au crible le « Plan Sénégal émergent », et vérifier s’il est possible pour le pays d’atteindre l’émergence en 2035. Pour cela, ils ont systématiquement comparé les données sénégalaises avec celles des champions africains que sont le Kenya, Maurice, le Nigeria, le Cap-Vert, mais aussi l’Angola, l’Éthiopie, le Ghana, le Mozambique, le Rwanda ou les Seychelles, afin de voir si le Sénégal avait des chances de porter son revenu par tête de 2,311 dollars par an en 2011 à 4 000 en 2035. Cela voudrait dire qu’une vraie classe moyenne est à même de tirer durablement son économie vers le haut.
Faiblesses de l’économie sénégalaise
Au fil des 400 pages du rapport, les auteurs pointent les faiblesses de l’économie sénégalaise. Sa croissance dépend trop des investissements publics et des envois d’argent des émigrés. Les dépenses publiques ne sont pas assez efficaces et très insuffisantes en matière de santé. Si le Sénégal a mené à bien onze réformes, depuis la gouvernance jusqu’à la protection sociale, son climat des affaires demeure trop médiocre pour pouvoir diversifier son économie dans le tourisme, la pêche ou l’horticulture.
Il n’a pas de politique industrielle qui permettrait de valoriser sa production agricole et de se positionner dans les télécoms. S’il continue à emprunter au rythme actuel, son taux d’endettement, qui atteint 59,3 % de son produit intérieur brut (PIB), dépassera les 107 % en 2020. Un pic qui inquiétera les marchés et les investisseurs.
Dette publique en pourcentage du PIB (dette domestique en bleu, dette extérieure en rouge)
Les préconisations du rapport ressemblent beaucoup aux conseils que le FMI, la Banque mondiale ou les experts de l’Union africaine donnent aux pays africains : prudence dans l’endettement, amélioration de la collecte des impôts, modernisation des réglementations, lutte contre la pauvreté et les inégalités, développement de l’agriculture, assainissement du système bancaire.
Choisir les projets d’investissement les plus rentables
On soulignera deux propositions et un silence. La première proposition est que le Sénégal devrait prendre exemple sur Maurice pour choisir les projets d’investissement les plus pertinents et les plus rentables parmi les 27 retenus par le « Plan Sénégal émergent ». Le second conseil est de résister aux tentations que la découverte d’hydrocarbures au large de ses côtes ne manquera pas de faire germer dans les têtes.
Quant au silence, c’est celui qui entoure la croissance démographique annuelle de 3 %, une entrave à l’amélioration du niveau de vie des Sénégalais. Le rapport n’évoque que de façon subliminale une transition démographique qui a favorisé le décollage rapide des économies asiatiques. Il est vrai que le contrôle des naissances est un sujet politiquement incorrect dans de nombreux pays subsahariens.