Le dossier judiciaire de Lamine Diack
s'épaissit. L'ex-patron de l'athlétisme mondial, déjà mis en examen dans
l'enquête en France sur un système de corruption pour couvrir des cas de
dopage en Russie, est maintenant soupçonné d'avoir fait profiter l'un de ses
fils de la manne des droits TV et des sponsors.
L'enquête, conduite par un trio de juges d'instruction mené par Renaud van
Ruymbeke, cible Lamine Diack, 85 ans, indéboulonnable patron de la fédération
internationale d'athlétisme (IAAF, 1999-2015), son conseiller de l'époque
Habib Cissé et l'ancien chef de l'antidopage de l'IAAF, Gabriel Dollé.
Tous trois sont mis en examen depuis novembre 2015 pour corruption,
soupçonnés d'avoir couvert des cas de dopage en Russie contre de l'argent et
pour faciliter des négociations avec des sponsors et des diffuseurs russes,
avant les JO de Londres 2012 et les Mondiaux d'athlétisme à Moscou en 2013.
Conseiller marketing à l'IAAF, l'un des fils de Lamine Diack, Papa Massata
Diack ou PMD, est suspecté d'être un maillon clé du pacte de corruption.
Installé à Dakar, il n'a jamais répondu à la justice française.
Interdit de quitter la France, Lamine Diack est menacé par un nouveau front
judiciaire, grâce à la coopération de l'IAAF, aujourd'hui présidée par le
Britannique Sebastian Coe, qui a livré à la justice ses contrats de sponsoring
signés de 2008 à 2015. Le consultant Papa Massata Diack y jouait les premiers
rôles.
Le 26 juin, Lamine Diack a de nouveau été mis en examen pour "abus de
confiance", a appris l'AFP de sources proches du dossier. Il lui est reproché
d'avoir permis, "du fait de ses fonctions", à son fils "de s'approprier des
recettes de l'IAAF provenant de sponsors", tels que la banque d'Etat russe
VTB, le Sud-Coréen Samsung, la société chinoise Sinopec, Abu Dhabi Cooperation
ou la télévision chinoise CCTV, selon son audition dont l'AFP a eu
connaissance. Contactés, ses avocats n'ont pas répondu.
- Contrats douteux -
En 2001, après la faillite de la société suisse ISL, entachée par une
affaire de pots-de-vin qui avait éclaboussé la Fifa, l'IAAF a confié la
commercialisation de ses droits télé et marketing au groupe japonais de
publicité Dentsu, pour des périodes de 2001 à 2009, puis de 2010 à 2019.
Dentsu était donc chargée de trouver des clients à l'IAAF. Mais l'enquête
démontre qu'elle sous-traitait une partie des prestations à une société suisse
baptisée AMS, composée d'anciens d'ISL, pour qui avait travaillé PMD.
Le juge anticorruption Renaud van Ruymbeke a été intrigué par une nouvelle
prolongation du contrat IAAF-Dentsu de 2020 à 2029, signée à l'été 2014, alors
que le scandale de dopage commençait à menacer Lamine Diack, sur le départ.
"Pourquoi avez-vous lié les mains de l'IAAF pour une période à venir aussi
longue avec Dentsu et AMS? (...)", lui a demandé le juge le 26 juin.
"N'avez-vous pas voulu prolonger une situation qui profitait directement à
votre fils, qui bénéficiait de contrats avec Dentsu et AMS?".
Des contrats entre des sociétés de "PMD" et des sponsors ont par ailleurs
jeté le trouble. Le juge a fait ses calculs: "votre fils s'est approprié 10
millions de dollars" sur un contrat avec le Russe VTB, "au détriment de
l'IAAF".
Il a aussi fait l'inventaire des factures de PMD à l'IAAF, dont certaines
adressées à Lamine Diack. En 2012, l'addition s'élève à 501.206 dollars. En
2014, il y en a pour 825.955 dollars. "Pourquoi avez-vous accepté d'accorder
autant d'avantages à votre fils ?" Silence.
"Je gagne ma vie en prenant des commissions sur les affaires que j'apporte.
Parfois 10%, parfois 15%, parfois 20%...", avait expliqué "PMD" dans un
entretien à L'Obs, en septembre 2017.
"Dentsu et moi-même, nous avons ramené 216 millions de dollars de contrats
(pour l'IAAF). Grâce à cela, la fédération a fait 492 millions de chiffres
d'affaires. Je peux dire que par mon entregent, la fédération a donc reçu 708
millions d'euros. Comment dire que je me suis enrichi sur leur dos?", se
défendait-il alors.
Le père et le fils sont aussi dans le viseur d'une autre enquête en France
et au Brésil sur des soupçons de corruption en marge de l'attribution des Jeux
olympiques 2016 à Rio. La justice française enquête aussi sur la candidature
des JO à Tokyo pour 2020.