Le ministre Ismaïla Madior Fall, qui présidait la cérémonie d’un atelier sur les propositions de réforme de la justice, a reproché à l’Ums d’avoir occulté les réalités du terrain au profit de la question de l’indépendance de la justice. Une accusation rejetée par Souleymane Téliko qui demande que l’Exécutif se retire de la gestion de leur carrière.
Tout porte à croire que les revendications portant sur l’indépendance de la justice exaspèrent le Garde des Sceaux. La preuve, lorsque la question avait été soulevée lors de l’Assemblée générale ordinaire de l’Union des magistrats sénégalais (Ums), le ministre de la Justice avait rétorqué à Souleymane Téliko que le problème a pu être posé quelques années auparavant, au regard des efforts faits par le président Macky Sall. Présidant, hier, l’atelier de partage sur les propositions de réforme de la justice issues du colloque de décembre dernier, il a reproché à l’Ums d’occulter souvent les réalités du terrain et des préoccupations des Sénégalais.
‘’Aujourd’hui, quelles sont les attentes du citoyen ? Je pense que les réflexions sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature (Csm), sur la carrière des magistrats, ce sont des questions très importantes, mais il y a aussi une dimension qu’on ne doit pas négliger : c’est la perception de la justice par le citoyen. C’est la proximité de la justice avec le citoyen. C’est une indépendance de la justice, mais qui tient compte aussi des préoccupations des citoyens’’, a déclaré le ministre Ismaïla Madior Fall. Et de poursuivre : ‘’A l’intérieur du pays, les gens ne me parlent pas du Csm, mais me posent des problèmes concrets comme l’absence d’équipements, de véhicules…’’
En somme, pour lui, il est certes bien de poser des problèmes d’indépendance, mais c’est important de s’intéresser à l’élément humain. Dans la foulée, il a cité l’exemple du tribunal de Saraya où, dit-il, le magistrat qui y officie n’a même pas de véhicule.
La réponse ne s’est pas fait attendre du côté du président de l’Ums. ‘’C’est lui qui gère le département de la Justice. Donc, c’est lui qui doit gérer les questions de recrutement, de véhicules’’, a rétorqué Souleymane Téliko. Ce dernier précise que la structure qu’il dirige ‘’s’intéresse à toutes les problématiques’’. Maintenant, a-t-il poursuivi, ‘’on a fait un focus sur l’indépendance et cela ne veut pas dire qu’on ne s’occupe pas d’autres choses’’.
‘’Que la gestion de la carrière des magistrats sorte des mains de l’Exécutif’’
D’ailleurs, le magistrat a apporté la réplique au Garde des Sceaux qui, dans son discours, a fait savoir que la justice subit des pressions non pas de l’Etat, mais plutôt des lobbies économiques et sociaux. Mais dans l’un comme dans l’autre, M. Téliko est convaincu que ‘’si la justice est bien organisée’’ et les réformes préconisées mises en œuvre, ‘’il n’y aura pas de place pour l’immixtion d’autres forces ou de lobbies au sein du fonctionnement de l’appareil judiciaire’’.
S’agissant desdites réformes, elles visent à renforcer l’indépendance, à préserver l’image de la justice et à garantir la performance des juridictions. Elles sont consignées dans des recommandations faites à l’issue d’un colloque organisé en décembre dernier par l’Ums. C’est dans le cadre du suivi de ces recommandations qu’un atelier de partage a été organisé avec les membres de la société civile pour s’entendre sur le concept de l’indépendance, mais aussi pour lever certaines équivoques par rapport à la question de l’indépendance.
Ces précisions faites, M. Téliko se défend de toute posture corporatiste au sujet de la gestion de la carrière des magistrats. Leur combat, dit-il, est motivé par le fait que ‘’dans tous les Etats de droit, quand l’Exécutif contourne la question de la carrière des magistrats, c’est qu’indirectement il a un moyen de pression sur les juges’’. Faisant référence aux autres pays, le président de l’Ums a relevé qu’on ne verra ni en France ni dans un autre grand pays ‘’les autorités contrôler à ce point la gestion de la carrière’’. ‘’C’est révolu ! Au Sénégal, nous voulons que la question de la gestion de la carrière sorte des mains de l’Exécutif pour être gérée par une entité indépendante’’, a-t-il suggéré.
Pas de raisonnement arithmétique
Aussi, a-t-il balayé d’un revers de main l’argument selon lequel la présence du chef de l’Etat et du ministre de la Justice, respectivement président et vice-président du Csm, est symbolique, vu qu’ils ne sont que 2 contre 15 magistrats. Téliko estime qu’on ne peut pas raisonner par arithmétique, dès lors que les rapports de force ne sont pas les mêmes. ‘’Quand vous avez deux personnes qui concentrent entre elles tous les pouvoirs, nécessairement, c’est elles qui dirigent, même si les autres sont au nombre de 100. Ce n’est pas le nombre qui compte, mais c’est l’étendu des prérogatives’’, a-t-il argué tout en précisant que ses collègues ont un pouvoir d’émettre des avis, alors que l’Exécutif détient celui de nomination.
Toujours est-il que le président de l’Ums considère qu’on ne doit pas minimiser cette présence des tenants du pouvoir. ‘’Même si c’est 1 % des décisions, je trouve que c’est grave, parce que la liberté n’a pas de prix. Tout ce qui est une atteinte ou une menace pour les libertés doit être banni’’, a plaidé Souleymane Téliko.
Quoi qu’il en soit, l’Ong 3D (Développement, démocratie et droits humains), coorganisateur de l’atelier, affiche un certain optimisme quant aux conclusions du conclave. ‘’L’Ong 3D, à travers Osiwa, compte également poursuivre sa collaboration avec l’Ums pour trouver des voies et moyens pour donner suite aux conclusions de cet atelier à travers des panels, à travers des caravanes, partout où le besoin se fera sentir’’, a annoncé son directeur exécutif Moundiaye Cissé. A son avis, le combat de l’Ums est celui de tout citoyen sénégalais. A ce titre, cette organisation de la société civile promet qu’elle ‘’ne ménagera aucun effort pour l’accompagner quant à sa volonté de parvenir, comme tous les Sénégalais le souhaitent, à une justice davantage indépendante et très conciliée avec le peuple’’.
Au-delà de cet atelier, M. Cissé a annoncé avoir signé un protocole avec l’Ums pour l’accompagner, en perspective de l’élection présidentielle et des locales 2019.
Le ministre a salué ce partenariat, puisqu’il était important que la réflexion sur l’indépendance ‘’soit décloisonnée’’ et qu’elle ne se limite pas simplement aux magistrats. ‘’Que cette réflexion soit ouverte à tous les acteurs qui s’intéressent à la justice et qui ne sont pas forcément des magistrats’’, a-t-il plaidé.