Thiès - Quatre experts ont relevé, mardi à Thiès, la ’’dérégulation’’ et le ’’manque d’équité’’ du système de rémunération de la fonction publique sénégalaise, ainsi que la nécessité d’y apporter des correctifs.
Ils intervenaient lors du deuxième panel de la COSYDEP dans le cadre d’une campagne dénommée ‘’Nos vacances pour l’école’’. Ce panel, qui s’est tenu au Conseil départemental de Thiès, a réfléchi sur le système de rémunération de la fonction publique.
La COSYDEP a lancé le 17 août par un panel à Dakar, sur le système d’évaluation, une campagne pour aborder des problématiques de l’éducation entre le mois d’août et celui d’octobre, a expliqué Cheikh Mbow, coordonnateur de la COSYDEP. Sept panels sont prévus dans ce cadre entre août et octobre, dans les régions de Dakar, Thiès, Fatick et Diourbel.
A Thiès, quatre panélistes ont, dans leurs interventions respectives, admis une ’’dérégulation’’ du système de rémunération, suite à des augmentations de salaire dans certains corps, à partir de 2004.
‘’On est dans un système désarticulé, injuste’’, a dit Cheikh Mbow, pour qui, ‘’il faut aller dans le sens de corriger’’ cette situation, afin de créer moins de frustration de la part des enseignants et apaiser le climat social. L’approche des prochaines élections présidentielle et locales, est une bonne période pour penser à ‘’sécuriser la prochaine année scolaire’’.
Proposant une entrée par le pouvoir d’achat, l’un des panélistes Cheikhou Touré, enseignant à la retraite et consultant, a relevé que ‘’la tension ne cessera pas tant que les pouvoir publics ne chercheront pas à savoir si ce qu’ils donnent aux enseignants leur permet de vivre’’.
Se souvenant qu’enseignant en 1965, il gagnait 29.500 francs CFA, il a noté que les 20 litres d’huile coûtaient alors 1.000 francs, le sac de riz de 100 kilos, 3.500 francs, la grosse de sucre CAPA, 375 francs CFA. Avec cela, le célibataire qu’il était pouvait acheter des provisions pour sa famille et se payer des vêtements de luxe, a-t-il dit.
‘’Depuis lors, combien de fois ces prix ont été multipliés ?’’, s’est-il demandé, tout en constatant une ‘’régression du pouvoir d’achat’’. ‘’Tout est désarticulé’’, a-t-il fait observer, notant que certaines indemnités font 3 fois le salaire de base.
Pour corriger tout cela, M. Touré a préconisé une ‘’analyse de base’’ et une sincérité. D’où la nécessité de prendre en compte plusieurs paramètres, par exemple le budget national dont ‘’30 à 40% sont consacrés à la rémunération du personnel’’, dans toute tentative de résolution de cette situation.
Pour Ibrahima Dally Diouf, docteur en gestion des ressources humaines et maître de conférence à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), dès lors que l’on connaît les effectifs et les salaires, il n’y a pas de raison qu’il y ait des difficultés pour les réguler.
Dans la fonction publique, les emplois sont classés dans des grilles, en fonction des différentes hiérarchies, a-t-il poursuivi. Il a relevé que ‘’malheureusement, les défis de scolarisation de masse, alliés aux constructions de nombreux collèges et lycées, ont fait l’objet d’une ‘’mauvaise planification’’.
‘’Ces 15 dernières années, il y a eu beaucoup d’augmentations qui ont désarticulé le système de rémunération’’, a indiqué M. Diouf, selon qui, ‘’entre 2004 et 2011, 12 nouvelles indemnisations ont été créées, notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé’’.
Il a évoqué la nécessité d’aller vers un ‘’système économiquement viable et équitable’’, évoquant les cas de figure du Burkina Faso et du Tchad.
Dans le premier cas, l’Etat a consenti à faire des augmentations à hauteur de 80% de certains salaires, dans l’autre, il s’agit de réduire certains salaires pour que la masse salariale puisse être économiquement viable pour l’Etat. Il a mis en garde l’Etat contre ce second cas de figure.
Mody Niang, inspecteur de l’enseignement et écrivain, a fait remonter le dérèglement du système de rémunération au séminaire de Somone en septembre 2004, quand l’ancien chef de l’Etat Abdoulaye Wade, considérant que ses ministres avaient des ‘’salaires de misère’’, avait décidé de leur accorder une augmentation, a-t-il raconté.
De 350.000, leur salaire était passé à 2 millions de francs CFA. Les députés simples avaient vu leur salaire de 600.000 francs, portés à 1,3 million. Les députés présidents de commission étaient alors rémunérés à hauteur de 1,8 millions et les députés membres du bureau national et présidents de groupes parlementaires à 2 millions à l’image des ministres.
L’ancien président de la République avait reconnu par la même occasion, que certains corps recevaient des avantages ‘’sous la table’’, a-t-il rapporté, ajoutant que suite à cette rencontre, les magistrats avaient après une audience avec le chef de l’Etat, vu leur indemnité de judicature revue à la hausse. De 150.000 sous Abdou Diouf, elle était passée à 300.000 puis à 800.000 sous Abdoulaye Wade, a-t-il noté.
‘’Après cela, tout le monde est venu demander son droit’’, a-t-il dit.
Les collectivités locales n’étaient pas en reste. Certains maires sont passés de ‘’moins de 50.000 à 900.000’’, a-t-il poursuivi, ajoutant que le quatrième président s’est inscrit dans la logique de son prédécesseur, en accordant 1 million d’indemnité de logement aux ministres, 700.000 aux directeurs de cabinet, ainsi que des augmentations à d’autres corps.
Soulignant le caractère ‘’injuste’’ du système de rémunération actuelle, Mody Niang estime qu’il faut tout remettre à plat et revenir en arrière, en acceptant chacun de faire un sacrifice. ‘’Le plus gros sacrifice devrait venir d’en haut, du président, des ministres, directeurs de cabinet’’, a-t-il ajouté.
Pour Mamadou Diokhané, administrateur civil, le système de rémunération ne peut être traité isolément, sans tenir compte du budget global. Il considère aussi que les différents corps devaient mener le combat de faire en sorte que leur salaire soit traité par une même structure. Que ce ne soit plus les ACP pour certains, le Trésor pour d’autres, la Solde.
Il a invité les différents acteurs à s’inscrire dans la perspective d’élaboration de budgets programmes, dans le cadre de la Loi d’orientation des finances de l’Uemoa que le Sénégal doit appliquer à partir de 2020, pour apporter leur proposition au projet de loi qui sera soumis à l’Assemblée nationale.
Les conclusions de cet atelier de la COSYDEP seront transmises aux autorités, comme une contribution à la réflexion, lors d’une rencontre dédiée à la question, mercredi, a assuré Cheikh Mbow.