Ingénieur en génie civil, Alioune Badara Sall fait partie des personnes acquittées dans l’affaire Imam Ndao. Accusé de terrorisme pour financement du terrorisme et blanchiment de capitaux, il a passé près de 3 ans de détention préventive. Dans cet entretien accordé à EnQuête, l’enseignant au CFP/Cefam de Louga revient sur les dures conditions de leur séjour carcéral. Alioune Badara Sall, qui pense être victime d’une concurrence entre la police et la gendarmerie, estime que le procès donnait l’impression ‘’d’une fiction à réaliser’’. Considérant que ‘’la menace terroriste s’explique plutôt par l'échec des politiques’’, M. Sall n’a pas manqué de lancer un appel en faveur de l’imam Dianko écroué depuis plus de 5 ans sans être jugé.
Vous avez passé près de 3 ans de détention préventive pour des crimes liés au terrorisme. Comment en êtes-vous arrivé à être lié à de telles accusations ?
J'ai été détenu pendant près de 3 longues années, parce que j'ai été soupçonné d'être lié à une entreprise terroriste d'abord. Également ou incidemment, soupçonné d'avoir blanchi de l'argent provenant de ces faits criminels. AlhamdouliLah, aujourd'hui j'ai été blanchi. J'en suis arrivé là parce qu'une personne (Ndlr : Makhtar Diokhané) m'a fait confiance, et dans le cadre de mon entreprise, m'a confié les travaux de construction de sa maison, l’ultime projet de toute personne. Au moment de mon arrestation, les reçus de versement d'argent avaient été régulièrement délivrés, un plan de construction élaboré. Bref, rien de ce qui concerne ce marché n'a été occulté, et plus décisivement, encore moins le nom du maître de l'ouvrage. Je n’ai pas compris.
Pensez-vous que les autorités sont allées trop fort dans la lutte contre le terrorisme ?
La lutte contre le terrorisme mérite toutes les attentions, tous les investissements possibles. Il n’y a pas de limite dans ce qui peut en venir à bout. C'est un mal. Mais rien ne peut justifier les atteintes, les errements et la mauvaise foi manifeste.
La lutte contre le terrorisme mérite toutes les attentions certes mais ne pensiez-vous avoir été sacrifié sur l'autel de cette lutte pour les beaux yeux de l'Occident
Je ne peux pas épiloguer sur cela, mais la tentation est grande. Par cupidité de certains ou pour un gain quelconque, je ne sais pas. L’avenir nous le dira, peut-être.
Aujourd'hui, si l'on est arrivé à parler de menace terroriste et de radicalisation au Sénégal, est-ce que ce n’est pas d’une part l’échec des confréries, vu le rôle qui leur est dévolu ?
Que ce soient les confréries, toute autre association ou individuellement, le but est de vivre la foi selon les prescriptions du Coran et de la Sunna. Un échec des confréries, peut être pas ! La menace terroriste est présente partout dans le monde. C'est un fait réel, mais pour le cas du Sénégal, est-ce qu'elle est imminente ? Je ne le pense pas. Y a-t-il une radicalisation violente ? Je ne le pense également pas. On a eu le sentiment, durant tout le procès, qu’il y avait une fiction à réaliser. La menace terroriste s’explique plutôt par l'échec des politiques. Nous avons un pays stable, par la grâce de Dieu et du fait de la maturité de nos associations islamiques et aux confréries. Pour l'instant, ils font leur travail.
Comment avez-vous vécu votre incarcération ?
J’ai toujours cru que le destin ne fléchit jamais. J'ai vécu mon incarcération comme étant la volonté d’Allah, le Tout-Puissant. Ne dit-on pas qu'Il n'éprouve que ceux qu'Il aime ? Je Lui rends grâce.
Pouvez-vous revenir sur les conditions de votre détention, notamment les privations dont vous faisiez l’objet ?
Les conditions étaient très dures. Nul être humain, à plus forte raison présumé innocent, ne mérite d'y être soumis. Mais bon, nous étions présumés coupables.
Et les privations dont vous faisiez l’objet ?
Comme je l'ai dit, les conditions de détention étaient très difficiles. Aussi bien pour nous que pour nos familles. Pendant près de deux années, nous n’avions droit qu’à 30 minutes de promenade. Ce qui causait pas mal de problèmes avec l’engourdissement des jambes. Au tout début, les discussions entre prévenus étaient formellement interdites, et c’était à peine si le salut nous était permis. Nous n’avions droit qu’à un seul jour de visite et les visiteurs étaient les seuls proches parents. Père, mère, frères et sœurs. Les correspondances étaient systématiquement censurées, dès qu'elles contenaient un seul mot arabe, fut-ce la Basmalla ou « assalamou aleikoum ». J’ai compris à peu près le sens des camps de concentration, en ayant vécu ça.
Est-ce qu’il vous est arrivé de penser à vous radicaliser durant votre séjour carcéral, sachant que vous étiez injustement accusé ?
Pourquoi penser à une radicalisation ? C'est comme devenir voleur, parce qu'on est injustement accusé de vol. Ou violeur, parce qu'on a été injustement accusé de viol. Pour me radicaliser, il aurait fallu que je porte les germes de cet esprit criminel. Je ne suis pas un terroriste. Je suis un musulman.
Qu’avez-vous ressenti, lorsque le juge a prononcé votre acquittement ?
J'étais soulagé pour moi, ma famille, tous ceux qui ont cru en moi. Toutes les épreuves ont une fin par la grâce d’Allah.
Comment se passe votre réinsertion au sein de votre famille, voisinage et milieu professionnel ?
AlhamdouliLah. Je reprends peu à peu mes activités, j'ai retrouvé ma famille et mes amis. C'est l'essentiel. Je ne pense pas que ceux qui m'ont connu aient cru un instant à ces accusations. Je crois qu’ils avaient raison puisqu’à la fin, je n’étais poursuivi que pour blanchiment, et rien d’autre. Ce qui n’avait aucun sens.
Est-ce que les individus vous pointent du doigt ou vous regardent comme un terroriste ?
Au contraire ! J’ai été accueilli comme un pèlerin qui revenait de La Mecque. A aucun moment, ceux qui m’ont connu de près ou de loin n’ont jamais douté de mon innocence.
Quels enseignements tirez-vous de votre mésaventure, si l'on sait que vous étiez poursuivi à cause de votre proximité avec Makhtar Diokhané avec qui vous avez un contrat commercial ?
Quelles que soient les précautions que l’on peut prendre, on n’est jamais à l’abri d’un coup du destin. Nul n'est à l'abri d'une erreur ou d'une cabale judiciaire. Je ne peux pas me mettre à penser qu’une personne qui cherche un toit pour sa famille veut, par ailleurs, faire sauter le monde. Mon arrestation et ma détention relèvent tout simplement d’une incompétence, dans la mesure où j’ai été interrogé par la police longtemps avant mon arrestation et je n’ai jamais retenu une information. Tout se passe comme si la gendarmerie a voulu doubler la police pour avoir le trophée, alors qu’une entente simple aurait permis de connaître la vérité.
Pensez-vous saisir la commission juridictionnelle en vue d’un dédommagement après votre acquittement ?
Notre contrat social implique également un certain nombre de risques. Je ne suis pas la première victime d'une erreur judiciaire. Je ne serai pas non plus la dernière. L'essentiel est d'en tirer les enseignements et les conséquences. Que tous ceux qui ont commis des fautes dans la chaîne des investigations soient punis. C’est-à-dire, ceux qui ont contrefait, ceux qui n'ont pas fait correctement le travail. Je ne pense pas tout de suite à une indemnisation, je suis déjà heureux de retrouver ma famille, mes amis et l'espoir. Cela dit, c'est un droit absolu pour toute personne d'obtenir réparation du préjudice qu'elle a subi. Le préjudice dans ce cas est évident et il est incommensurable.
Lorsque vous dites chaîne d’investigation, vous pensez à qui ?
Je pense à toute la chaîne d’investigation. On ne peut pas faire croire au peuple qu’on a découvert des choses, alors qu’il y a une bonne partie de bidonnage. Comment se fait-il que, sur 29 accusés ayant comparu, plus de la moitié ait été acquittée ? Ça rend compte de trop graves légèretés. Mais Dieu est Juste et Il est le Meilleur Juge.
Je voudrais terminer par parler du cas de l’imam Dianko. C’est, en même temps, un appel aux autorités. Son dossier a été bouclé bien avant notre arrestation et pourtant nous avons été jugés alors que lui croupit en prison, depuis plus de cinq ans. Rien ne justifie cette discrimination. Le plus difficile, c’est que ses conditions de détention ont été durcies avec notre arrestation. Imam Dianko est un homme honnête et pieux, qui ne ferait jamais mal à une mouche. C’est un musulman exemplaire. Personnellement, j’ai partagé une cellule avec lui durant près de six mois. C’est ce qui me donne le droit, en tant que musulman, de témoigner sur lui.