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Interview - Me Mbaye Guèye, bâtonnier : « Cheikh Béthio Thioune doit être jugé, un point un trait »
Publié le jeudi 9 aout 2018  |  IGFM
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© aDakar.com par DF
Ouverture du procès de Hissène Habré
Dakar, le 20 Juillet 2015 - Le procès de l`ancien président tchadien Hissène Habré s`est ouvert, ce matin, à Dakar. L`ancien chef d`État réfugié au Sénégal depuis 1990 est jugé pour "crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture". Me Mbaye Guèye, Batonnier de l`Ordre des avocats
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Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Sénégal, Me Mbaye Guèye revient, dans cette interview, sur les questions de l’heure qui agitent la gazette judiciaire. Le dossier Médinatou Salam, l’affaire Cheikh Bamba Dièye, la loi Latif Guèye… le nouveau patron du bâtonnat de l’Uemoa cogne fort !

De plus en plus, des avocats font des sorties, traitant certains juges de corrompus. L’Ordre des avocats a certainement son mot à dire sur cette façon de faire.

En fait, c’est rare que de telles choses soient dites sur la place publique. C’est souvent dans les salles d’audience. La dernière à être constatée a eu un traitement approprié de la part du Bâtonnier et de l’Ordre des avocats. Il faut que les gens sachent que même si nos décisions ont un caractère confidentiel qui nous oblige à ne pas communiquer dessus, l’Ordre des avocats prend toujours ses responsabilités. Lorsque ce cas s’est produit (en l’occurrence celui du procès de Khalifa Sall), j’en ai été saisi par l’autorité concernée, à savoir le Premier président de la Cour d’Appel de Dakar. À mon tour, j’ai saisi le Conseil national de l’ordre des avocats du Sénégal. Lequel s’est réuni et une décision a été prise. Je ne peux revenir sur son contenu, mais la décision prise a été portée à l’endroit de l’avocat concerné. J’en ai exposé le contenu à l’autorité judiciaire qui m’en avait saisi. Donc, même si les gens ne le savent pas, ce problème a été réglé entre le Premier président de la Cour d’Appel de Dakar, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats et le Conseil dudit ordre. Ce n’était pas une question de sanction. Parce que chez nous, une sanction est prononcée par le Conseil de discipline. Or, l’avocat en question n’a pas fait l’objet d’une traduction devant ledit conseil et nous n’avons pas estimé que ce qu’on lui reprochait méritait l’instruction d’un dossier et la saisine du Conseil de discipline. C’est un incident d’audience qu’il fallait gérer et nous l’avons fait en toute responsabilité. Et je puis vous assurer que la décision prise et comportant un rappel à l’ordre a bien satisfait l’autorité qui m’a saisi.

«J’ai été très surpris par la contribution du magistrat Yaya Dia»

Quid de la convocation du magistrat Yaya Dia ?

J’ai lu sa production et j’ai été très surpris par une telle contribution venant d’un magistrat. Lequel doit être caractérisé par son devoir de réserve, en toutes circonstances. Une question de droit est posée. Si c’était une question posée dans l’absolu, sans qu’on ait à identifier les personnes concernées, j’aurais parlé d’un avis scientifique et objectif. Mais lorsque les partis sont connus, les intérêts en jeu, lorsque ce dossier peut faire l’objet d’une évolution jusqu’à atterrir sur le bureau d’un juge, le magistrat doit faire preuve de retenue. Il ne peut donner un avis sur un tel cas, il doit se rappeler son devoir de réserve. Ça n’a malheureusement pas été le cas et je trouve normal que l’Inspection générale puisse l’appeler et l’entendre. Ce qui ne signifie pas, pour le moment, le sanctionner. Il reviendra aux autorités compétentes d’apprécier et voir si elles vont déclencher une procédure disciplinaire. Cela étant, chaque personne est libre et les personnes qui estiment devoir retrouver leur liberté, doivent choisir de faire comme l’a fait un de leurs collègues, c’est-à-dire démissionner de la Magistrature, retrouver une liberté et pouvoir s’exprimer librement.

«Je trouve scandaleux qu’on puisse accuser de la sorte, le juge Lamotte de corrompu. Bamba Dièye s’est trompé de personne»

L’honorable député Cheikh Bamba Dièye a été convoqué par la Dic, suite à une sortie virulente à l’endroit de certains magistrats qu’il n’a pas ménagés. Quelle appréciation en faites-vous ?

Cheikh Bamba Dièye dégage l’impression d’un homme de retenue. Mon avis est qu’autant il avait le droit de se prononcer sur le système judiciaire de manière générale, la justice étant rendue au nom du peuple, les citoyens sénégalais ont le droit de se prononcer sur leur justice, autant il devait se garder de citer des noms, d’indexer nommément des magistrats. Je parle de l’un d’entre eux, le juge Malick Lamotte, qu’il a cité et que je connais particulièrement, profondément, depuis la Faculté de droit. Je trouve scandaleux qu’on puisse accuser de la sorte, ce juge de corrompu. C’est une chose que je ne peux accepter, connaissant l’homme et le professionnel. Nous devrons nous rappeler, il y a quelques années, la justice sénégalaise était secouée par ce que l’on a qualifié d’affaire de la corruption au niveau de la magistrature. Pour information, cette affaire est partie d’une dénonciation écrite de ce juge Lamotte. Lorsqu’on a porté à sa connaissance que, dans un dossier qu’il gérait dans sa chambre (il était le Président de cette chambre), des gens ont eu à intervenir pour réclamer de l’argent aux parties concernées, il a de suite écrit à sa hiérarchie pour dénoncer les faits, laquelle dénonciation a conduit le ministre de la Justice de l’époque, Cheikh Tidiane Sy, à dégager une Inspection et demander à l’Igaj d’investiguer sur ces faits. Lorsque le rapport a été déposé au niveau de l’Igaj, il a été conclu que le juge Lamotte n’était pas du tout concerné, ni directement ni indirectement, par cette affaire dénoncée. Il n’a fait l’objet d’aucune mesure pouvant s’apparenter à une quelconque sanction. Je suis au regret de dire que le député Cheikh Bamba Dièye s’est trompé sur la personne qu’il a accusée. Maintenant, je crois que c’est le dossier Khalifa Sall qui est à l’origine de ces accusations. Dossier que le juge Lamotte et ses collègues ont eu à juger. Il faut reconnaître aux gens le droit de critiquer une décision de justice. D’ailleurs, le législateur le sait d’autant plus qu’il a prévu des voies de recours. Donc, toute personne jugée et qui n’est pas d’accord avec la décision rendue, est en droit d’exercer une voie de recours. À partir de ce moment, il faut rester dans l’objectivité.

Affaire Médinatoul Salam ? La détention des coaccusés de Béthio Thioune ne se justifie plus»

Des personnes publiques ou célébrités, comme Thione Seck, Luc Nicolaï, Béthio Thioune… ont été incriminées pour des faits assez graves puis envoyées en prison, mais aucune d’entre elles n’a été jugée. Toutes ont été quasiment remises en liberté pour des raisons de maladie…Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Le cas de Monsieur Thione Seck ne me gêne que sur le principe. Je préfère le voir libre qu’emprisonné. Il s’y ajoute que je ne connais pas véritablement le dossier de l’instruction, je ne connais pas le motif pour lequel il a été libéré et celui pour lequel l’instruction continue. Je n’ai pas l’information que l’instruction a été clôturée. Pour le cas de Luc Nicolaï, la Cour suprême a cassé l’arrêt de la Cour d’Appel de Saint-Louis et renvoyé le dossier aux chambres réunies. Il faudra attendre que les chambres réunies de la Cour suprême rendent une décision, pour parler de son exécution. En ce qui concerne le dossier de Médinatoul Salam, qui incrimine Cheikh Béthio Thioune et Cie, il doit être jugé. Un point un trait. L’instruction du dossier a été clôturée. Le juge qui a mené l’instruction à Thiès a même été affecté à Dakar. Le dossier a été clôturé et les accusés renvoyés devant la Chambre criminelle depuis plusieurs années. Ce qui est très gênant dans ce dossier, c’est qu’on ne juge pas les faits et on maintient de jeunes Sénégalais en prison. Je trouve particulièrement grave que des jeunes Sénégalais soient concernés par un dossier instruit, l’instruction clôturée et renvoyée par le juge devant la Chambre criminelle et que depuis plusieurs années, ce dossier n’est pas enrôlé pour être jugé et qu’on maintienne en détention provisoire, ces jeunes Sénégalais. C’est extrêmement grave. Leur détention ne se justifie plus ! Parce que le provisoire s’arrête avec la clôture de l’information. J’ai envie de demander quel est le régime juridique qui régit ces jeunes mis en prison, suite aux événements de Médinatoul Salam ? Quel est le régime juridique ? Le juge d’instruction a clôturé l’information, a renvoyé, mais le parquet n’enrôle pas. Quel est le régime juridique qui gère la période allant de la clôture de l’information à l’enrôlement du dossier et à la saisine de la Chambre criminelle ? sont-ils toujours en détention provisoire ? Ils ont été en détention provisoire, placés par un juge d’instruction qui a fini son travail. À partir de ce moment, on doit simplement les juger. Ce cas me préoccupe, non pas parce que j’ai envie qu’une personne ou une autre aille en prison ou soit sanctionnée, mais parce que ceux qui sont en prison sont des Sénégalais comme les autres et qu’ils ont droit à ce que justice leur soit rendue. Si justice ne leur est pas rendue aujourd’hui, ce n’est pas de leur faute, mais celle des autorités judiciaires. Il est temps que ces autorités fassent l’effort d’enrôler le dossier et les jugent.

Des gens observent une longue détention préventive, avant d’être jugés, puis relâchés, ou acquittés, sans qu’il n’y ait en retour, une compensation financière de la part de l’État du Sénégal. Le cas Imam Ndao est le dernier en date…

Moi, jeune avocat, j’ai eu à connaître et à plaider trois dossiers différents qui concernent des accusés qui ont purgé entre 5 et 7 ans de détention préventive et qui ont, par la suite, été acquittés. Il se trouve que ce sont des faits très graves. Le cas de l’Imam Ndao et Cie qui ont été remis en liberté, ainsi que les autres cas que j’ai évoqués en sus, doivent nous amener à réfléchir davantage. Je l’ai dit lors d’une rencontre solennelle des Cours et tribunaux : On entre trop facilement en prison au Sénégal. Nous devons faire très attention avec la liberté des gens. Avant d’envoyer une personne en prison, il faut s’assurer que l’on a réuni tous les éléments probants qui justifient son déferrement ou un placement sous mandat de dépôt. Il faut relever, pour s’en féliciter, que la loi a désormais prévu une possibilité de réparation. Mais le fait de dédommager (financièrement) une personne victime de cette situation, ne compense pas le fait d’avoir été privée de liberté, à tort. On peut concevoir le dédommagement, mais il ne vaudra jamais réparation intégrale du préjudice vécu par la victime. Maintenant, il y a cette possibilité d’obtenir réparation, mais la personne doit diligenter une procédure contre l’État du Sénégal pour l’obtenir. Or, la vérité est que les personnes libérées ou acquittées, après avoir été emprisonnées à tort, ont une préoccupation autre que de continuer un procès contre l’État. Une fois libres, elles ne souhaitent qu’une chose : refermer cette fenêtre sombre de leur vie et passer à autre chose auprès des leurs. Et c’est compréhensible.

Dernièrement, le Directeur de l’Ocrtis a plaidé pour une meilleure prise en charge sanitaire et psychique des détenus dépendant de la drogue, au lieu de miser uniquement sur la sanction pénale. Partagez-vous cet avis ?

Je partage tout à fait l’avis du Directeur de l’Ocrtis qui a certainement l’habitude de côtoyer ces drogués. La sanction pénale, même si elle doit être maintenue, ne doit pas être la seule piste à explorer. Depuis la nuit des temps, on sanctionne et envoie ces gens en prison. La pratique d’usage et de trafic de drogue ne recule pas. Bien au contraire. Alors, il faut bien trouver d’autres solutions plus adaptées. C’est le cri de cœur du Directeur de l’Ocrtis.

Au demeurant, lorsque vous enfermez une personne dépendante de la drogue, la solution n’est pas de l’emprisonner, il faut plutôt la soigner. À défaut, lorsque vous l’envoyer en prison, elle va se débrouiller pour trouver la drogue à l’intérieur de la prison, où s’arranger de sorte que la drogue lui parvienne en prison. Nous avons connu des cas à travers les prisons du Sénégal où la drogue a été introduite dans les cellules. La question qui se pose et va certainement annihiler le vœu du Directeur de l’Ocrtis, c’est l’absence de structures appropriées pour ce type de prise en charge et de traitement. Je pense que nous avons un déficit dans ce sens, mais je l’appuie, il faut travailler à trouver une solution autre que l’emprisonnement.

La transition est toute trouvée et nous amène à parler de la criminalisation du trafic de drogue, prônée par la loi Latif Guèye, dont la pertinence est de plus en plus remise en question. Qu’en pensez-vous ?

Je suis de ceux qui ont toujours plaidé en faveur de la suppression de la criminalisation du trafic de drogue. Je l’ai dit partout où c’était nécessaire. Il faut tout de suite, relever une remarque importante à mes yeux. Monsieur Latif Guèye n’est pas visée. Au contraire, j’estime que le but qu’il visait était louable. Il n’y a pas de débat sur ce point. Mais toute loi doit, en un certain moment, faire l’objet d’une évaluation. Nous devons évaluer cette loi. En le faisant, nous réalisons que nous encombrons, j’ai envie de dire, inutilement le rôle des Chambres criminelles, avec des dossiers qui pouvaient être, ou qui devaient être jugés devant le Tribunal des flagrants délits. Aujourd’hui, force est de reconnaître que nous violons la loi et c’est la vérité. Lorsque des éléments des forces de sécurité arrêtent un véhicule dans la circulation, fouillent et y trouvent de la drogue, ils arrêtent les occupants, les défèrent devant le procureur de la République qui doit les placer sous mandat de dépôt, mais il ne le peut. Car, s’il retient la qualification de trafic, il est obligé de saisir le Juge d’instruction à qui il revient d’enquêter sur les faits visés. Mais en réalité, ce Juge d’instruction va enquêter sur quoi ? S’il se trouve que le mis en cause est arrêté, la main dans le sac, on va chercher quelle autre preuve ? Conséquence, le Juge d’instruction ne fait que reprendre pratiquement le procès-verbal de l’enquête préliminaire, dressé par la police ou la gendarmerie. À partir de ce moment, nous sommes dans une situation où on envoie à l’instruction ou en information, des dossiers de flagrants délits. Ce n’est pas normal. Ensuite, il y a l’autre inconvénient qui veut que ces dossiers encombrent les cabinets d’instruction et les rôles des Chambres criminelles, tout comme les accusés qui sont en détention provisoire, encombrent les prisons. Faire donc l’évaluation de cette loi, c’est en sorte, retourner à la situation de départ qui voulait que le trafic soit un délit et qu’on applique une peine maximale. Aujourd’hui, si on répertorie les peines prononcées par les Chambres criminelles, en matière de trafic de drogue, on réalise qu’elles prononcent généralement une peine de 10 ans, si les faits sont constants. Mais on peut, comme on l’a fait avec le délit de viol justement, dire que le trafic de drogue est puni d’une peine incompressible de 10 ans d’emprisonnement. Mais qu’il reste un délit jugé par le Tribunal de grande instance hors classe, statuant en matière délictuelle, ou par le Tribunal de flagrant délit. Pour finir avec cette question, je dois relever une incongruité que je comprends difficilement. C’est lorsque le trafiquant de drogue est un étranger et qu’il est arrêté pour être jugé au Sénégal. Il se pose alors ce principe qui veut qu’en matière criminelle, l’accusé doit nécessairement être assisté par un avocat. C’est alors que je relève une incongruité qui contraint le Sénégal à dépenser des deniers publics pour commettre un avocat et défendre cet accusé étranger qui convoyait chez nous, des substances nocives, voire mortelles (Drogue). Je pense que nous devons réfléchir davantage sur cette situation.

ABDOULAYE DIEDHIOU
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