Au Sénégal, le mouvement Auchan dégage ne désemplit pas. L'enseigne, qui est accusée de prendre l'emploi des petits producteurs, se voit confronter à la résistance citoyenne de France dégage. Si les relations entre la grande distribution française et sénégalaise doivent être assainies, il faut aller plus loin et voir le fond du problème.
Avec vingt supermarchés à Dakar, plus de 1 500 employés et des projets dans tout le pays, l’enseigne française Auchan, connaît une expansion rapide au Sénégal. Forte de son avantage structurel, Auchan réalise d’importantes économies d’échelle, et y est en mesure d’afficher des prix très bas – qui lui permettent d’accélérer sa croissance et, à terme, de continuer de baisser ses prix. Pour cette raison, le groupe est dans le collimateur des commerçants de la capitale.
Regroupés dans le collectif « Auchan dégage », une partie des marchands traditionnels de la ville lutte pour faire chasser Auchan de Dakar. Et leurs plaintes ne sont pas infondées : au moins 1 500 petits commerçants des marchés de la capitale ont été recensés comme rencontrant des difficultés économiques par les banques sénégalaises – une hausse significative attribuée à la concurrence impitoyable du géant français.
« Ils ont profité d’un cadre légal déficitaire pour occuper toutes les strates du commerce », dénonce Ousmane Sy Ndiaye, le directeur exécutif de l’Union nationale des commerçants et des industriels du Sénégal (UNACOI). « Résultat : ils concurrencent tout le monde, même le marché traditionnel ! Quant à leurs prix si compétitifs, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un dumping destiné à acquérir un monopole de fait au Sénégal. »
Un impact négatif sur les petits commerces
Auchan serait donc en passe de devenir l’Amazon Sénégalais ? Si les avis sur le vrai impact de l’enseigne française sur l’économie sénégalaise diffèrent, tout le monde s’accorde pour dire que les commerçants de l’économie informelle (97 % du secteur) peinent à tenir la barre face au grand groupe français. S’il déplore le « sentiment anti-français » du mouvement, l’ancien inspecteur des impôts Ousmane Sonko reconnait que « ces enseignes, qui n’emploient pas beaucoup de monde, risquent de détruire des milliers de jobs ». D’après lui, le Sénégal « n’est pas prêt à affronter la mondialisation. Il faut pouvoir protéger nos entreprises avant de les livrer à la compétition internationale. »
« Grâce aux nombreuses ramifications industrielles potentielles, la grande distribution peut être aussi source de nombreux emplois », se défend pour sa part Laurent Leclerc, directeur général d’Auchan Sénégal. « On profite aussi beaucoup à l’économie sénégalaise, en payant la TVA, les divers impôts ainsi que les droits de douane. Cet argent peut aider à construire des écoles et des hôpitaux – ce que ne fait pas l’économie informelle. Si Auchan fait autant de bruit au Sénégal, c’est parce qu’on dérange en forgeant de nouvelles habitudes. Cela oblige les autres à s’adapter. »
Derrière Auchan dégage, un problème de redistribution
« FRANCE DEGAGE », AUCHAN DEGAGE », BLANC DEGAGE », les mouvements nationalistes se multiplient au Sénégal alors que le rôle des français dans l’économie galopante du pays apparait de plus en plus clairement. Ces tensions semblent avoir atteint un sommet le 3 juillet dernier, lorsque 8 membres du mouvement « France Dégage » ont été arêtes pour avoir distribué des tracts sur lesquels étaient imprimés « Policiers soyez pas des assassins du peuple mais soyez des assassins du système ».
La montée d’un sentiment de colère sociale et de révolte contre l’État témoigne de l’importance de la frustration chez une population qui estime qu’elle ne bénéfice pas assez de la réussite économique du pays. Et leur colère est bien légitime.