Cette sortie du juge Yaya Amadou Dia ne sera pas bien appréciée par le pouvoir. L’ancien assesseur de la Crei, qui avait démissionné en pleine audience lors du procès Karim Wade, a fait des révélations qui font froid dans le dos. « La condamnation pénale de Karim Wade à 6 ans de prison ne peut faire obstacle ni à son inscription sur les listes électorales ni à la recevabilité de sa candidature », a souligné le magistrat Dia. Le juge est également revenu sur les raisons de sa démission fracassante de la Crei. Explications !
En exil au Qatar, Karim Wade a vu ses chances d’être candidat à la prochaine élection présidentielle compromises à cause de la modification du code électoral survenue au mois de juin dernier. Cependant, contre toute attente, l’ancien assesseur à la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) donne des espoirs à Karim Wade, démontrant que Wade-fils est bel et bien éligible. Le magistrat Yaya Amadou Dia a déclaré que le processus électoral est cependant encadré par le Droit. Selon lui, ce droit ne saurait être comme la guerre, la continuation de la politique politicienne par d’autres moyens. « Sa finalité, c’est d’assurer l’égalité, l’ordre, la stabilité, la paix et la justice. Il ne saurait être dévoyé de cette finalité pour devenir une arme de destruction massive d’opposants politiques afin de s’ouvrir un boulevard pour les prochaines échéances électorales. L’ère des coups d’état électoraux doit être à jamais révolue surtout pour un pays qui a connu deux ou trois alternances au sommet de l’Etat », a-t-il dit à travers un communiqué parvenu à notre rédaction. Le magistrat d’enchaîner : « dans la même veine, tous ceux qui veulent bien ouvrir leurs yeux ont constaté que la caractéristique principale de cette 4ème République du Sénégal est, qu’à tous les niveaux de l’Etat, l’injustice et le parti pris sont érigés en règles, la justice et l’égalité confinées au rang de simples exceptions. A propos de justice et de respect des règles, il est important de souligner que les lignes qui suivent ne violent aucune disposition du statut de la magistrature. Ce statut permet, en son article 11, de nous exprimer sur toutes questions d’ordre technique qui intéressent la communauté nationale. L’appréciation, au regard de la loi, de la recevabilité de la demande d’inscription d’un Sénégalais sur les listes électorales, en l’occurrence Karim Wade, et la recevabilité de sa candidature à l’élection du Président de la République, est une question éminemment technique ».
« Pourquoi j’ai démissionné de la Crei »
Le magistrat Yaya Amadou Dia justifie sa démission à la Crei. « Nous avons dû démissionner de cette juridiction parce que nous ne partagions pas la même orientation. Seule encore, l’exigence de responsabilité, de vérité et de justice justifie les mots qui suivent. Il est en effet indispensable pour le juge et le citoyen que nous sommes de donner notre avis, ne serait-ce que pour prévenir toute manipulation législative ou administrative visant à favoriser un camp sur un autre et de fustiger par avance toutes manœuvres frauduleuses apparentes ou cachées, cautionnées par une fuite de responsabilité juridictionnelle ou enrobées dans de savantes interprétations législatives et jurisprudentielles ». De l’avis du magistrat Dia, « le pouvoir appartient au peuple et uniquement au peuple qui l’exerce par le biais de ses représentants. » A cet égard, tout Sénégalais électeur peut faire acte de candidature et être élu sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité prévus par la loi, dit-il. Il ajoute : « le droit à l’éligibilité ainsi qu’à la jouissance des droits civiques, civils et politiques s’apprécie, en l’état actuel de notre droit, au regard des dispositions constitutionnelles, du code pénal et du code électoral, en tenant compte de la conformité des derniers codes précités à la Loi fondamentale. » « Au regard de ces dispositions, la condamnation de Karim Wade par la Crei n’est pas un obstacle tant à son inscription sur les listes électorales qu’à la recevabilité de sa candidature à l’élection du Président de la République. Cette candidature demeure juridiquement recevable, quel que soit l’angle sous lequel on l’examine. Seul un coup de force électoral, revêtu des oripeaux d’une justice libre et indépendante, mais en réalité inféodée aux intérêts dominants du moment, pourra faire obstacle à l’acceptation de cette candidature ».
La recevabilité de la candidature par rapport au code pénal…
Sur la recevabilité de la candidature par rapport aux dispositions du code pénal, le magistrat a encore souligné que les dispositions pertinentes applicables sont les articles 23, 27, 34 et 35 du code pénal. « Aux termes de ces dispositions, seule la condamnation à une peine d’emprisonnement criminelle emporte la dégradation civique. Celle-ci consiste, au regard de l’article 27, en la destitution et l’exclusion des condamnés de toutes fonctions, emplois ou offices publics, dans la privation du droit de vote et d’éligibilité et en général de la privation de tous les droits civiques et politiques », a-t-il dit. Avant de poursuivre : « la loi ne pose aucune interdiction d’exercer une fonction publique à la suite d’une condamnation pour délit. Cette condamnation n’est pas un obstacle, en l’état actuel de notre droit, à l’exercice d’un mandat électif ou de la charge de Président de la République ». Concernant l’exercice du droit de vote, le juge Yaya Amadou Dia rappelle les articles 34 et 35 qui précisent que les tribunaux ne pourront interdire leur exercice que lorsqu’il aura été autorisé ou ordonné par une disposition particulière de la loi. « Aucune disposition de la loi 81-53 du 10 juillet 1981 relative à la répression de l’enrichissement illicite, ne prévoit l’interdiction d’exercer les droits civiques pour le délit de l’article 163 du code pénal. Ce qui justifie le rejet par la CREI de la peine complémentaire, pourtant requise par le ministère public », a dit le juge, selon qui, en refusant de prononcer l’interdiction sollicitée, l’arrêt de la CREI laisse intacts les droits civiques de Karim Wade.
…et au code électoral…
« (…) La possibilité pour Karim Wade de s’inscrire sur les listes électorales et la recevabilité de sa candidature, appréciées même de façon subsidiaire, au regard des dispositions inconstitutionnelles des articles L31 et L32, des articles L115 et L116 du code électoral, restent encore, de notre avis, recevables ». Concernant la recevabilité par rapport aux articles L31 et L32 du code électoral, il indique : « aux termes de l’article 730 du Code de Procédure pénale, « une copie de chaque fiche constatant une décision entrainant la privation des droits électoraux, est adressée par le greffier compétent à l’autorité chargée d’établir les listes électorales ». Il est clair qu’au regard de cette disposition, l’autorité chargée d’établir les listes électorales ne peut se fonder que sur les décisions (et uniquement sur ces décisions), à lui adressées par le greffier et constatant la privation des droits électoraux, pour refuser l’inscription d’un Sénégalais majeur sur les listes électorales. Elle ne saurait jouer au juge en appliquant une disposition dont elle n’a aucune maitrise ». Selon toujours le juge, il coule aussi de source que des termes même des articles L30 et L31 du code électoral « ne doivent pas être inscrits sur les listes électorales », que cette interdiction ne concerne que les primo inscrits. « Ceux qui sont déjà inscrits ne peuvent s’inscrire à nouveau car les doubles inscriptions ou les inscriptions multiples sont interdites par l’article L 34 du code électoral qui dispose : « nul ne peut être inscrit sur plusieurs listes ni être inscrit plusieurs fois sur la même liste ». Cette interprétation est confirmée par les articles L31, L32, R32 et R33 du code électoral. Elle est encore solidifiée par l’article 4 de décret n° 2018 – 476 du 20 Février 2018, portant révision exceptionnelle des listes électorales en vue de l’élection présidentielle du 24 février 2019, aux termes desquels : « La commission administrative procède à l’inscription de nouveaux électeurs : les requérants doivent avoir au moins dix-huit (18) ans révolus à la date du dimanche 24 février 2019…. », a encore dit le juge. D’ailleurs, dit-il, à considérer même que l’article L31 du code électoral qui ne concerne que les primo inscrits soit applicable au cas Wade, il reste que cette disposition ne peut encore faire obstacle à son inscription sur les listes électorales. « En effet, Karim Wade ayant été condamné à une peine d’emprisonnement supérieure à la période de un mois et de six mois des dispositions de l’article L31-2 et L31-3, la question fondamentale qui se pose est de savoir laquelle de ces deux disposition lui est applicable, est ce L31-2 ou L31-3 ou même les deux à la fois ? », a-t-il dit.
« Seule la loi du plus fort peut faire obstacle à la candidature de Karim »
Pour finir, le magistrat admet que les dispositions de l’article L31-2 et L31-3 sont, toutes les deux à la fois, applicables à Karim Wade. « Nous sommes alors dans la contradiction. Une disposition interdit son inscription sur les listes électorales, alors que l’autre l’autorise. Devant cette situation, les règles d’interprétation impliquent d’appliquer la norme la plus favorable au candidat, en l’espèce, l’application de l’article L31-3. Il est en effet de jurisprudence constitutionnelle que les règles qui établissent les limitations à l’inscription sur les listes électorales et de façon générale, aux candidatures, sont d’interprétation restrictive », a dit le juge Yaya Amadou Dia. A l’en croire de quelques angles que l’on se situe pour examiner la question posée, on se rend compte que seule la loi du plus fort peut faire obstacle à l’inscription de Karim Wade sur les listes électorales et à la recevabilité de sa candidature. « Encore à admettre que la loi du plus fort puisse triompher et que Karim Wade ne s’inscrive pas sur les listes électorales, sa candidature reste malgré tout recevable. L’inscription sur les listes électorales n’est pas une condition de recevabilité d’une candidature au regard des dispositions de l’article L 115 du code électoral ». Par ailleurs, le juge a renseigné que l’absence d’un casier judiciaire vierge ne peut être une entrave à la recevabilité d’une candidature à l’élection présidentielle. « En effet, l’article L115 pose les conditions requises pour être candidat à l’élection du Président de la République et cette disposition n’a jamais mentionnée l’absence de condamnation pénale ou même d’ailleurs la qualité d’électeur comme condition requise pour participer à la compétition électoral malgré les contradictions voulues et installées à travers l’article L57 », a encore dit le juge Yaya Amadou Dia.