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Abdou Salam Sall sur l’éducation publique: “Tout système inéquitable n’est pas durable“
Publié le mardi 15 mai 2018  |  Sud Quotidien
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© aDakar.com par DF
Des acteurs invitent à intégrer les nouveaux défis dans l`éducation nationale
Dakar, le 9 Avril 2015 - Des acteurs ont appelé à intégrer les nouveaux défis dans le système éducatif sénégalais. C`était au cours d`un panel organisé en prélude du 7e congrès ordinaire de l`Union démocratique des enseignantes et enseignants du Sénégal (UDEN), prévu vendredi et samedi. Photo: Abdou Salam Sall, ancien recteur de l`Ucad
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Il a fallu attendre la fin de la crise scolaire – une année sauvée de justesse – pour enfin lui arracher quelques mots. C’était vendredi 11 mai 2018, plus tôt dans la matinée, à 10 heures, à son bureau à la faculté de Sciences et techniques de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (ucad) que l’ancien Recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (ucad), fonction qu’il a assumée pendant 7 ans (2003-2010), accepte enfin de se prêter à nos questions. Bien évidemment, Abdou Salam Sall se prononce sur la crise scolaire pour la résumer en ces termes : « tout système inéquitable n’est pas durable. Nous constatons un unilatéralisme de la gestion du secteur où les tenants du pouvoir dictent leur conduite ». Dans un entretien qu’il nous a accordés, l’ancien président du comité de pilotage des Assises nationales de l’éducation et de la formation (Anef) nous confie qu’une « bonne partie essentielle des Assises n’a pas été retenue dans les directives présidentielles ». Dans ce premier jet de l’entrevue, il milite désormais pour la mise en place d’une commission pour gérer, au plus haut niveau de l’Etat, le secteur éducatif, non sans rappeler les recommandations des Anef.

Nous assistons à une crise cyclique de l’école publique sénégalaise. Les mouvements ont finalement grugé le quantum horaire. L’année scolaire a été sauvée de justesse. Quelles appréciations faites-vous de ces perturbations persistantes ?

Si on signe quelque chose, on doit respecter ça. L’Etat doit savoir que les syndicats d’enseignants sont des partenaires du gouvernement. On doit les appeler pour leur expliquer les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des points signés. Le problème de fond est l’iniquité du système. Tout système inéquitable n’est pas durable. Quand vous dites qu’il n y a pas de moyens et que par ailleurs vous faites des choses qui attestent qu’il y a des moyens, les gens ne l’accepteront pas. Malheureusement, à la suite des Assises, au lieu de tourner une nouvelle page, nous sommes restés sur le même référentiel. Les Assises n’étaient-elles pas censées ouvrir une nouvelle page ? Si on avait mis en place un comité de suivi, associé ceux qui avaient fait les Assises sur le fonctionnement de l’é- ducation, je ne pense pas qu’il aurait une adversité bidirectionnelle entre les syndicats d’enseignants et l’Etat. Une tierce personne pourrait venir et créer une dynamique où tout le monde pourrait s’inscrire. Il y a deux éléments sur lesquels nous devons veiller : l’équité et la transparence. Les gens peuvent accepter beaucoup de choses tant qu’ils seront associés. Jusqu’au présent, nous sommes restés sur le référentiel qui avait créé une crise en 1968.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Il faut qu’on arrive à bien internaliser l’éducation, à faire la synthèse de trois formes éducatives que nous avons. Il s’agit de l’éducation traditionnelle, religieuse et celle issue de la colonisation. Il faut une appropriation de l’orientation par toute la société. Ensuite, il faut que ceux qui animent ces enjeux, aient une condition de dignité. Les enseignants ne seront jamais riches. Encore que, l’histoire récente prouve le contraire. En Angleterre, aux Etats unis, les enseignants, pas des universités, des autres ordres d’enseignement sont très bien payés. La vocation n’est pas d’être riche. La richesse est de produire des hommes et des femmes qui s’en sortent. Il faut, au moins, être digne. Ce qui veut dire avoir des salaires acceptables et les faire accéder au crédit bancaire. La banque éducative proposée, permettra aux enseignants d’emprunter sans condition de garantie. Nous constatons un déficit d’appropriation, d’orientation, de pilotage, de privatisation de l’éducation. C’est une erreur à ne pas commettre. Oui à un secteur privé, mais celui du public garantit l’équité. Il faudrait que les jeunes, en fonction de leurs talents, puissent aller le plus loin possible grâce à l’éducation publique.

Comment cela se présente-t-il aujourd’hui ?

Malheureusement, nous constatons un unilatéralisme de la gestion du secteur où les tenants du pouvoir dictent leur conduite. Voilà le gros problème de l’éducation. Nous sommes un jeune pays. Il est temps pour cette génération de mettre en place les fondamentaux sur lesquels nous pouvons construire une école. On ne forme pas les gens pour s’accaparer des choses. On ne forme pas des gens pour qu’ils aillent ailleurs. On forme des gens conscients pour faire développer l’Afrique. La mise en place d’une commission pour gérer l’éducation, nécessiterait l’implication des acteurs de l’éducation formelle, religieuse – les chrétiens doivent être représentés –, et celle traditionnelle. Avec un dosage savant, nous allons créer cette commission qui aide l’Etat à piloter et orienter l’é- ducation. Elle aura aussi un rôle d’é- valuer devant le président de la Ré- publique les résultats nationaux. Ce sera à travers une conférence avant chaque rentrée. Quelque chose qui n’est pas évaluée, n’est pas viable. Il faut qu’une structure externe puisse évaluer. A partir de ces données, nous pouvons évaluer et aller de l’avant. Ce sera l’affaire de tout le monde.

Les grèves cycliques des enseignants cachent d’autres crises, notamment de contenus, de temps de travail et de gouvernance. En atteste l’éventuel réaménagement du calendrier scolaire de 2018. La situation est-elle préoccupante au point de mettre à genou tout un système éducatif ?

Il faut allonger le temps de travail. Si le temps est court, seuls les talents s’en sortiront car il suffit de les mettre seulement à l’école pour éclore leur savoir-faire. En plus de cela, il faut amé- liorer l’environnement de travail, changer la pédagogie. On ne peut plus enseigner comme on le faisait hier. Les jeunes doivent participer à l’élaboration du savoir. Avec l’internet, les sources sont multiples et les connaissances distribuées. Le gros problème que nous avons avec notre système, est le respect des normes et standards. Cet objectif est difficile à atteindre avec ce taux de natalité au Sénégal. Ce rythme de natalité est insoutenable pour avoir des infrastructures aux normes. Ces questions doivent être traitées avec la plus grande intelligence et finesse.

Toutes ces propositions ont été pourtant formulées lors des Anef. Sentez-vous l’application des dé- cisions présidentielles issues des assises ?

Si vous regardez les directives présidentielles, à part la promotion de l’enseignement des sciences, de la formation technique et professionnelle, tout le reste était des redites. On ne change pas une structure en faisant la même chose. Les gens ont mal « ingénieurisé » les Assises. Il y a des secrets d’Etat que je ne peux pas dire. Ils ont reproduit à l’identique ce qui se faisait. Une bonne partie essentielle des Assises n’a pas été retenue dans les directives présidentielles. Tout le monde parle de valeurs. On a fait passer les valeurs. Or ce point est le cadrage des Sénégalais que nous voulons. L’autre élément est le financement. Ils sont restés sur le même référentiel de financement. Or, nous avions proposé une innovation majeure, notamment la banque éducative. Un pays doit anticiper sur ses difficultés, faute de quoi on aura toujours des problèmes. Depuis 1968, il n’y a pas une année stable. La dynamique créera la stabilité. Chacun doit se mobiliser pour améliorer l’environnement d’apprentissage. Il faut aussi que les sachants fassent le travail en allant dans les autres ordres d’enseignement pour agir sur l’imaginaire des enfants. Quand l’enseignant aide l’enfant à réussir, on a un processus vertueux de formation pour la réussite. Toute la communauté se mobilise pour l’éducation. Je ne perds pas espoir. Le Sénégal va changer grâce à sa masse critique. J’ai dépassé le comité de suivi des décisions présidentielles des Assises. Je milite pour une commission éducation. Nous avons un atout majeur pour mettre les fondations d’une école sé- rieuse. Une école qui promeut notre éducation traditionnelle, avec les contes, les légendes pour agir sur l’imaginaire des enfants. Une école qui assure une bonne éducation religieuse. Enfin, une école qui s’ouvre à la modernité par les sciences et techniques.

La faiblesse des taux de réussite est devenue inquiétante au regard des milliards investis. Quelles en sont les principales causes ?

Ces mauvais résultats des examens nationaux sont les conséquences d’un système : du temps d’enseignement, comment on enseigne, des évaluations et de leur nature. C’est le résultat combiné de tout cela. Le taux d’encadrement est-il bon ? Les professeurs sont-ils compétents ? Est-ce que le temps de travail est suffisant ? Est-ce que les apprenants ont accès aux ouvrages ? Il faut travailler sur les déterminants du succès : les normes et standards, avoir d’excellents enseignants et revenir à la méthode syllabique. Nous devons inventer notre propre système et agir sur l’ensemble des composantes pour une éducation de qualité. La conscientisation des enseignants vis-à-vis de leurs élèves et étudiants doivent être de rigueur. Tout est à notre portée pour que le système global soit équitable. Si nous n’avons pas une masse critique de compé- tences, nous allons subir une seconde colonisation.
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