Le maire de Dakar condamné à 5 ans ferme: Grand-Yoff s’en remet à Dieu

News

Politique

Article

Politique

Publié le lundi 2 avril 2018 | Enquête Plus

© aDakar.com par SB
La détresse des partisans de Khalifa Sall, au palais de justice
Dakar, le 30 mars 2018 - Des dizaines de partisans du député-maire de Dakar étaient au palais de justice, ce matin, pour entendre le verdict condamnant leur leader à une peine de prison de 5 ans ferme. Un imposant dispositif sécuritaire avait été mis en place devant le tribunal.

Réputé quartier chaud, Grand-Yoff, le fief de Khalifa Sall, a été plutôt calme hier matin, à l’annonce du verdict.

Dans les rues de Grand-Yoff, rien n’indique, à priori, que c’est un jour spécial. C’est plutôt la routine. Pourtant, tôt le matin, le juge Malick Lamotte a livré son verdit : 5 ans de prison ferme contre le maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall, dans le cadre du procès de la caisse d’avance. Son fief politique reste étrangement calme. Dans tout le quartier, on note l’habituelle présence des enfants dans la rue. En cette matinée (12 h) de vacances scolaires, certains jeunes jouent au football, d’autres à une partie de billes. Même les adultes semblent indifférents, tant chacun vaque à ses préoccupations. Il faut tendre l’oreille pour entendre la sourde clameur qui se dégage des lieux.

‘’Il n’y a rien de surprenant, je savais que Macky Sall allait l’emprisonner’’, lance un monsieur à son voisin. Au siège de la coalition Taxawu Dakar, en face du foyer des jeunes de Grand-Yoff, rien à signaler.

Cap sur la maison familiale. Pour quelqu’un qui ne connait pas les lieux, il faut demander et se faire guider jusque dans l’endroit, car le chemin qui mène à la maison n’offre aucune indication en termes d’animation. A la devanture, il y a juste une vingtaine de dames plongées dans une ambiance de ‘’deuil’’. Visages ternes, elles se regardent mutuellement et discutent à voix basse. Bref, Grand-Yoff s’est tout simplement résigné. ‘’Nous laissons tout entre les mains de Dieu. C’est lui le juge suprême’’, se console-t-on les unes les autres. Certains, comme s’ils ont reçu un coup de massue, ont du mal à le croire. ‘’Est-ce qu’il a été réellement condamné à 5 ans de prison ?’’, demande, incrédule, une dame. ‘’Bien sûr, lui réplique-t-on, le verdict a été donné tôt le matin’’.

D’un interlocuteur à l’autre, on se dit ‘’discipliné’’, ‘’bien éduqué’’. Par conséquent, il est hors de question de descendre dans la rue pour jeter des pierres ou brûler des pneus. On dit attendre les élections pour apporter une réponse citoyenne à un verdict politique. Pour le moment, un seul mot : rester calme et accepter la volonté divine.

Cependant, cette absence de réaction dans ce chaud quartier de Grand-Yoff surprend jusque dans les rangs des partisans de Khalifa. Certains ont du mal même à y croire, à l’image d’une femme, la trentaine révolue. ‘’C’est comme ça que nous comptons rester, sans rien faire, alors qu’ils l’ont emprisonné ?’’, demande-t-elle. Comme si le mot d’ordre a été passé, on lui fait comprendre qu’il n’y a rien à faire.

En fait, les parents, militants, sympathisants et voisins de Khalifa Sall s’attendaient à un tel verdict. ‘’Avant-hier, la police a opéré une rafle générale dans le quartier. J’ai compris qu’il allait être condamné’’, lance une mamie. La seule surprise, ce sont les 5 ans. Mais là aussi, les inconditionnels du maire de la capitale ont leur idée de ce que sera l’avenir. Pour eux, le procès est politique, la suite aussi le sera. ‘’C’est la politique qui m’a condamné, c’est la politique qui va me libérer’’, résume Ismaëla Sall, le grand frère de Khalifa Sall. Dans les discussions, il ressort que les dames restent persuadées que le condamné ne restera pas longtemps en prison. Il a été déclaré coupable pour être écarté de la course à la présidentielle. Par conséquent, à l’issue de la présidentielle, il va recouvrer la liberté. ‘’Ce sera bientôt février, après il sera libéré’’, laisse entendre une autre.

Le scénario envisagé varie d’une personne à l’autre. Les uns, comme Abdoulaye Barry, un proche voisin, pensent que l’ancien maire de Grand-Yoff sera blanchi par le prochain régime, parce qu’il n’a rien fait. ‘’Nous avons connu Khalifa dans les années 1960. Il n’a jamais été malfaiteur. Il a été dans l’Etat depuis 1981 à aujourd’hui. On n’a jamais entendu parler de scandale avec lui’’, déclare M. Barry. Aïcha Thioye fait remarquer d’ailleurs que l’édile de la capitale a fait sa déclaration de patrimoine, alors qu’il n’y avait aucune contrainte légale. En plus, ajoute-t-elle, il est le seul à l’avoir fait dans le Parti socialiste. Ce qui lui fait dire que s’il avait accepté le deal qui lui a été proposé, il n’aurait pas été traité de la sorte.

‘’Khalifa ne sera ni au Qatar ni en France’’

Les autres espèrent qu’il sera libéré quand le président Macky Sall aura fini de se donner un second mandat. Mais la jurisprudence Karim Wade est dans toutes les têtes. Pas question de se faire à l’idée d’un exil forcé. ‘’Nous habitons dans ce pays, nous sommes originaires de Louga. Khalifa ne sera ni au Qatar ni en France. Il ne l’acceptera pas. On lui a proposé le poste de vice-président, il a refusé. On lui a proposé la place de Moustapha Niasse (Assemblée nationale) ou celle d’Ousmane Tanor Dieng (Hcct), il a décliné. Khalifa n’est pas Karim, il ne sortira pas du pays’’, déclare sa petite sœur Coumba Sall.

Dans cette affaire, le juge Malick Lamotte et le Parti socialiste sont aussi indexés. Le premier est accusé d’avoir été le bras armé du pouvoir. Et le second, son secrétaire général, en l’occurrence Ousmane Tanor Dieng, d’avoir instrumentalisé le président Macky Sall, mais aussi d’attendre que Khalifa Sall soit dans le ‘’trou pour le poignarder dans le dos’’.

Un bus de Dakar Dem Dikk brûlé dans l’après-midi

Même si Grand-Yoff a été calme le matin, il ne l’a pas été dans l’après-midi. Des jeunes sont sortis dans la rue, après la prière, pour manifester leur colère. Ils se sont frottés aux forces de l’ordre. Il y avait des pierres et des grenades lacrymogènes. Des pneus ont été brûlés, les routes barrées et surtout un bus de la société nationale de transport public Dakar Dem Dikk calciné.

Réaction

Madiop Diop, maire de Grand-Yoff

‘’Le juge Lamotte a agi sous la dictée du président Macky Sall’’

‘’On est déçu. J’ai le cœur meurtri. Tout le Sénégal savait que Khalifa Sall serait condamné. Le juge Lamotte a agi sous la dictée du président Macky Sall. Il a fait ce qu’il voulait. Le combat va continuer. Le tour de Macky Sall viendra, il ira en prison un jour, c’est certain. Maintenant, nous allons être sur le terrain, faire en sorte que nos électeurs aient leurs cartes. C’est l’essentiel. Nous allons nous battre aussi sur le plan politique, parce que Macky est en train de tripatouiller le fichier électoral et la Constitution. C’est inadmissible. Nous sommes très disciplinés, on nous a bien éduqués, mais nous ne nous laisserons pas faire.’’

Commentaires

Dans le dossier