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Sud Quotidien N° 6282 du 7/4/2014

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Transhumance politique au Sénégal: Chronique d’une pathologie de la démocratie
Publié le lundi 7 avril 2014   |  Sud Quotidien




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La vérité n'est pas le sujet des politiques. La question est réglée depuis qu'il existe des sophistes et des rhétoriciens, depuis Machiavel ou Jonathan Swift, auteur en 1733 d'un livre fameux, L'Art du mensonge politique. La vérité ne compte donc pas, l'essentiel est d'avoir le culot d'affirmer. Comme l'avait montré Leo Strauss, la fracture de la politique moderne a consisté, avec Machiavel, dans le fait d'abandonner l'exigence de vertu au service du bien commun qui était le but de la politique traditionnelle. On a abaissé le seuil d'exigence de la conduite politique en remplaçant l'objectif de bien gouverner par celui de prendre ou garder le pouvoir, troquer la quête de la vertu pour la recherche de la force et de la ruse (Machiavel).

Le discours généreux sur la gouvernance, la transparence, la rationalisation… apparaît soudainement creux dès lors que l’écho de ces vertus ne se perçoit plus dans le champ politique, disons politicien. Or, la vertu est une institution. Comme la Justice avant d’être une institution, est une vertu. Quoi de plus juste alors, surtout lorsque l’on préside aux destinées de ses administrés, que d’instituer et de s’appliquer le principe de la morale y compris politique. Or, lorsque les citoyens constatent que ceux-là qui se sont présentés sous les couleurs d’un parti et en défendant les principes et le programme de ce parti, rompent en quelque sorte ce « contrat moral » et renient leurs présumées convictions d’hier pour répondre à l’appel des sirènes, on peut comprendre que cela alimente leur cynisme.

Mody Niang l’avait bien rappelé dans une brillante contribution parue récemment sur cette « spécificité bien sénégalaise » qu’est la transhumance. Un substantif à la sénégalaise qui figure dans Le Petit Larousse illustré (2012) où on lit : «Adjectif ; qui effectue une transhumance ; *nom, Sénégal, personne qui quitte son parti d’origine pour adhérer à un autre, généralement au pouvoir». Quelle malheureuse prouesse sénégalaise !

Empruntée au vocabulaire pastoral, la transhumance désigne la migration périodique des troupeaux à la recherche d’espaces plus favorables à leur sustentation et à leur épanouissement. Transposée à la vie politique, elle renvoie à l’attitude de l’homme politique qui migre d’un parti politique auquel il appartient au moment de son élection vers un autre parti, pour des intérêts personnels.

Le mal se décline sur plusieurs registres : une conception du pouvoir où l’enjeu principal est le contrôle de la redistribution des ressources dans le cadre d’un État néo-patrimonial ; des partis politiques encore incapables d’assurer les fonctions traditionnelles d’éducation politique, de mobilisation, de représentation d’intérêts divers et fonctionnant sans démocratie interne, au service des ambitions de quelques individus si ce n’est d’un clan; le prétexte de la démocratie consensuelle à l’africaine pour justifier les dérives liées à la transhumance politique.

Le Sénégal a connu plusieurs épisodes de transhumance, mais comparé à ce qui se passe aujourd’hui, l’espoir d’une pseudo moralisation de la vie politique est définitivement mort. Cela est d’autant plus triste que cet espoir est né dans le contexte inédit de l’avènement à la tête du pays, d’un de ses fils né après les indépendances et qui a toute l’opportunité d’entamer un changement profond d’un pays… profondément déstructuré par des « pasteurs » sans cesse en quête de grasses prairies. Il a pourtant donné, dès l’entame de son mandat, des gages d’une volonté de changement profond, comme il l’a lui-même proclamé et pratiqué à travers des actes comme la levée des couleurs, pour promouvoir le retour aux valeurs républicaines. Parallèlement, chef de parti qu’il est, il met cette dynamique entre parenthèse pour pratiquer le sport le plus pratiqué par les politiciens au Sénégal : le débauchage. Si seulement…

Les renégats de la politique

Il s’en défendait pourtant lors d’un « Ndogou de presse » qui avait suivi l’arrivée dans ses prairies apéristes, de l’ancienne Rewmiste, Me Nafissatou Diop Cissé qui venait de claquer la porte du plus grand adversaire politique de son nouveau chef. «Non, je n’ai débauché personne ! », déclarait Macky Sall qui soutenait que leurs deux volontés « se sont croisées ». Une « insulte à la mémoire collective des Sénégalais », régissait Dame Seck, porte-parole de la coalition Macky 2012, après l’audience accordée par Macky Sall à deux anciens souteneurs et alliés de Me Abdoulaye Wade sous l’ancien régime, en l’occurrence Mes Mbaye Jacques Diop et Ousmane Sèye. C’était en novembre 2013. Au sortir de leur audience, ces derniers avaient aussi annoncée leur « volonté » de soutenir dorénavant le régime actuel.

Depuis, le ballet incessant de potentiels transhumants qui s’en est suivi au Palais de la République a fini de convaincre les plus incrédules. Me Mbaye Jacques Diop, Cheikh Demba Dia, Colonel Malick Cissé, Ahmet Khalifa Niass, Thierno Lô, Awa Guèye Kébé pour ne citer qu’eux d’autant que la liste est loin d’être exhaustive. Entretemps, beaucoup d’autres « moutons bleus » n’ont pas eu besoin de se faire prier pour se lisser peindre en marron. «Déchus» de leur mandat de député et dans l’anonymat depuis la chute d’Abdoulaye Wade, une quarantaine d’anciens députés du Pds ont fait, pendant plus d’un an, des pieds et des mains pour rejoindre l’Alliance pour la République (Apr, parti au pouvoir).

D’anciens « bleus » devenus rewmistes par la suite, Papa Diouf et Oumar Guèye, aujourd’hui ministres dans le gouvernement du président Macky Sall, n’ont pas réellement hésité avant de tourner le dos, sans état d’âme, à leur ancien mentor avec pour seule préoccupation désormais, de sauvegarder leurs maroquins. Ils ont été suivis peu près par Innocence Ntap Ndiaye, ancien ministre et membre du Pds. Mais c’est sans doute la dernière arrivée dans les prairies de Macky Sall qui cristallise l’« insulte à la mémoire collective des Sénégalais » de Dame Seck. Awa Ndiaye puisque c’est d’elle qu’il s’agit, c’est l’ancienne ministre de Abdoulaye Wade dont les Sénégalais ne retiennent de son passage au gouvernement que des « cuillères » et « fourchettes » de luxe, entre autres forfaits qui devraient normalement lui valoir un procès. La voilà qui se peint en marron-beige pour échapper à la Haute cour de justice. Il est tout simplement ahurissant de constater l’inique paradoxe entre cette affaire qui défraie encore la chronique et le projet de loi portant sur «l’inéligibilité pour une période de 10 ans de toute personne reconnue coupable d’un détournement de deniers publics». Comment apprécier dès lors toute la dithyrambe sur la traque des biens mal acquis, la bonne gouvernance, la transparence, la reddition des comptes dont nous abreuvent à souhait le Président Macky Sall et ses affidés ?

Dans le cadre de la massification de son parti, le chef de l’Etat vient de créer au sein de l’APR un ” comité d’accueil et d’orientation dirigé par l’un de ses proches conseillers. Ce comité reçoit en effet des transhumants venants de différents partis politiques. Il apparaît ainsi clairement que dans le paysage politique au Sénégal, la référence à l’intérêt général ne correspond même plus à un mythe, elle est simplement un leurre qui préside à la création de partis politiques qui au demeurant, prolifèrent au Sénégal.  Cela d’autant que, le plus souvent, la motivation de leur création obéit notamment à des considérations liées à des ambitions personnelles, ethniques et souvent financières. Les partis ainsi créés sont principalement des partis «conjoncturels», «circonstanciels», voire «alimentaires». Ils constituent une terre d’élection du clientélisme, de retournements de veste, d’alliances « contre-nature », de la transhumance politique.

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