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Oswald Padonou (chargé de programme sécurité FKA) : ‘‘Les services de renseignement africains présentent beaucoup de défaillances’’
Publié le jeudi 16 novembre 2017  |  Enquête Plus




EnQuête a accroché l’un des auteurs de ‘‘Le renseignement en Afrique de l’Ouest, Etat des lieux et perspectives’’, Oswald Padonou, au Cicad, pour les besoins du 4e Forum de Dakar sur la paix et la sécurité. Chargé de programme Sécurité à la Fondation Konrad Adenauer (FKA), il revient sur les questions irrésolues du renseignement africain, des Forces de défense et de sécurité (Fds), du terrorisme et des modalités pour le combattre.



Une publication sur les services de renseignement africains, et au-delà, sur les Forces de défense et de sécurité (Fds) n’est pas commode. Qu’est-ce qui vous a motivé ?

Nous avons à la Fondation un programme de sécurité qui a été mis en place en décembre 2015. Son objectif est d’appuyer le dialogue sur la sécurité en Afrique subsaharienne. On est parti du constat selon lequel les questions de sécurité ont été la seule préoccupation des Forces de défense et de sécurité, de l’appareil sécuritaire, alors qu’il est important que l’ensemble des acteurs participent à la définition de la politique de sécurité et que les populations qui en sont bénéficiaires soient associées à la mise en œuvre. Il comporte trois aspects : l’éducation civique dans les casernes.

Il s’agit de faire en sorte que militaires, gendarmes et policiers, tous les professionnels de la chaîne de sécurité sur les aspects de sécurité intérieure, de défense intègrent dans leur travail les préoccupations liées au renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit. C’est important dans l’environnement où l’on évolue, car les menaces sont réelles. En combattant ces méfaits, il est absolument important de prendre en compte un certain nombre de principes liés à l’Etat de droit. Il y a aussi le dialogue sur la sécurité pour que, par exemple, les parlementaires membres des commissions de Défense, la société civile, les organes de contrôle démocratique des Forces armées puissent être renforcées et avoir un regard sur l’activité des Fds. Enfin, il y a le dialogue Europe-Afrique sur la sécurité. Il y a des menaces transcontinentales qui pèsent sur la sécurité des personnes et des biens, sur la viabilité de nos modèles de société démocratique en consolidation.

Éduquer civiquement les Fds, en tant que civil, n’est-il pas un pari surréaliste ?

Pour l’éducation civique des Fds, il est vrai que c’est très ambitieux. Il y a des écueils et le principal, c’est qu’il y a une conception de la défense et de la sécurité qui est parcellaire. Elle coupe les Forces armées de la société. Ce qui est erroné. Notre objectif est de faire de sorte que les populations ne perçoivent pas les militaires comme une force coupée de la société. La police et l’armée sont des composantes de la nation et qui doivent participer à ce titre à sa vie.

Qu’ont révélé les résultats de l’étude sur les services de renseignements de certains services ouest-africains ?

Les services de renseignement africains présentent beaucoup de défaillances. On estime qu’il est important que les Etats investissent dans la prévention au-delà des moyens logistiques dont nous disposons. C’est investir dans la dissuasion, dans le renseignement. On a publié les résultats de cette étude en termes d’organisation institutionnelle des services, comment les choses se présentent dans les Etats d’Afrique de l’Ouest et aussi sur la perception du renseignement. Encore une fois, il y a un fossé entre les populations, les services de renseignement, les Forces armées. Dans la plupart des pays, il y a une forme d’instabilité.

C'est-à-dire qu’il y a une dépendance au calendrier politique. Ces mutations, quand un gouvernement part et qu’un autre arrive, impactent directement les services de renseignement, alors qu’il aurait fallu qu’on ait des structures qui ont une certaine pérennité et transcendent le calendrier politique. Ces mouvements impactent aussi les animateurs des services qui vont et viennent et qui ne permettent pas d’accumuler sur la durée les expériences et connaissances requises, car c’est un métier à part entière. Le cadre juridique est également insuffisant, même pour les agents, la protection nécessaire à leur travail, le contrôle parlementaire et politique du renseignement dans nos Etats. Des efforts sont quand même faits, mais les défaillances sont là. Il faut professionnaliser davantage les services, établir un contrôle, et focaliser les renseignements sur les menaces et beaucoup moins sur les enjeux politiques.

Ces défaillances sont-elles communes à tous les Etats ou chaque pays présente-t-il ses propres spécificités ?

Si on prend les Etats sahéliens et ceux du Golfe de Guinée, la situation sécuritaire et les menaces ne sont pas exactement de la même nature. Il y a certes des spécificités, mais aussi des grandes tendances qui se dégagent dans l’état des lieux fait dans chaque pays. Ce sont ces tendances que j’expliquais tantôt comme la pérennisation, la professionnalisation, la dépolitisation, les moyens et le contrôle. Mais ce sont des études qui partent de cas au Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Niger ainsi que de questions transversales à la sécurité en Afrique de l’Ouest.

Dans cette lutte contre le terrorisme, va-t-on finalement sacrifier les libertés individuelles sur l’autel de la sécurité ?

Le but des organisations terroristes est la remise en cause de la liberté. La liberté religieuse, d’association, de pensée, la liberté tout court. Il faut faire attention à ce que les terroristes veulent faire prévaloir. Que ce ne soit pas les Etats, que nous avons bâtis sur les principes de liberté, qui s’en chargent eux-mêmes. Ceci dit, il y a des sacrifices à consentir pour assurer la sécurité. Ils peuvent passer par une forme de restriction de la liberté, mais à la différence, c’est qu’on est consentant et qu’il y a un contrôle de ces restrictions. C'est-à-dire que les différents services qui concourent à la sécurité ont un droit d’information, de regard sur la mobilité et l’activité des citoyens dans une certaine mesure, mais qu’il doit être contrôlé par les Parlements, les organes, que ça doit se faire en toute transparence. Le défi, c’est celui de la transparence. Elle crée la confiance. Quand les gens ont confiance, ils adhèrent d’eux-mêmes.

Dans le continent, il y a le djihadisme, mais il y a aussi des croyances religieuses fortement ancrées, et une laïcité plus théorisée que pratiquée. Comment combattre le terrorisme dans ce cas-ci ?

En Afrique, la plupart des Etats en proie à ce conflit sont des Etats laïcs où la religion relève du domaine privé de chaque individu. Cela reste théorique certes, car il y a des pays où la croyance est très forte, où il y a une pesanteur religieuse qu’il ne faut surtout pas négliger. Cela implique qu’il va falloir définir une responsabilité collective, c’est important. Le président Macky Sall l’a dit dans son discours d’ouverture du forum. Il est important que la religion ne reste pas un facteur de division dans nos sociétés ; qu’elle ne soit pas le ferment par lequel le terrorisme se cultive. C’est important que les chefs religieux soient des vecteurs de tolérance, de paix, de cohésion sociale. En un mot, la religion doit être compatible avec la République, l’Etat de droit. Les Etats doivent faire prévaloir ces principes très clairement. Au fond, ceux qui utilisent la religion comme arme de séduction massive sont bien souvent dans l’usage de prétextes. Ceux qui montrent leur expression religieuse de façon ostentatoire ne sont pas très portés dans la pratique constante et l’application des directives religieuses. C’est totalement fallacieux. Ce n’est pas la croyance des gens qui posent problème aux djihadistes, mais leur mode de vie.

Que veulent-ils justement ?

Ce que je retiens, c’est une remise en cause du modèle de société. Ce dernier a ses limites, ce n’est certainement pas un modèle de vertu, ne nous leurrons pas. Mais fondamentalement, on doit travailler à ce que la politique et la gouvernance des affaires retrouvent les éléments de vertu ; qu’il y ait moins de corruption dans nos Etats, moins d’injustices sociales, car c’est ce discours que les djihadistes font prévaloir : la défaillance de l’Etat qui n’est rien d’autre que la corruption.

Les chefs d’Etat présents, hier, ont exprimé leur volonté de moins dépendre de l’aide extérieure dans la lutte contre la terreur. C’est plutôt une bonne chose non ?

Ce qui est important, c’est qu’il y a un appui international sur cette question en Afrique. L’Allemagne est en première ligne sur cet appui, mais c’est important qu’on ait un engagement local, car c’est un problème qui touche les Africains d’abord. Le prochain sommet UE-UA, à la fin de ce mois à Abidjan, sera consacré au renouvellement du partenariat de sécurité entre les deux continents. Pour le cas que je connais le mieux, la coopération allemande, c’est un engagement sur la base de valeurs que nous promouvons : la liberté, la solidarité, la sécurité, la stabilité, la démocratie, l’Etat de droit. C’est un engagement avec les spécificités allemandes, avec tous les volets politiques sur lesquels nous travaillons assidument. On ne peut pas travailler sur la réforme sécuritaire, sans travailler sur les enjeux politiques qui déterminent, au fond, tous les autres aspects

Quel bilan avez-vous à votre actif ?

Nous avons formé plus de 2 000 personnels des Forces armées, ou de la sécurité publique dans beaucoup de pays, plus d’une dizaine dont le Bénin, le Togo, le Burkina, le Mali et la Mauritanie. Au Sénégal, nous n’avons pas fait de formation directement pour les Forces armées, mais nous sommes en relation avec le centre des hautes études de défense et de sécurité (Cheds). Au Bénin, par exemple, on a accompagné la fusion de la Police et de la gendarmerie. On a fait des renforcements de capacité pour les médias sur les investigations, et on a accompagné le G5 Sahel sur les questions de prévention et de déradicalisation, avec l’exemple du modèle mauritanien sur ce dernier point. On a propagé cette expérience dans les quatre autres Etats du G5.

OUSMANE LAYE DIOP
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