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Ndiaga Guèye (pdt de l’Asutic): ‘’L’Artp est capturée par le pouvoir politique du fait des milliards qu’elle gère’’
Publié le vendredi 25 aout 2017  |  Enquête Plus
ARTP(Autorité
© Autre presse par DR
ARTP(Autorité de Régulation des Télécommunications et des postes)




La mise en demeure envoyée aux opérateurs de téléphonie par l’ARTP n’est qu’un coup de communication, car des points plus importants sont omis. L’affirmation est signée Ndiaga Guèye. Le président de l’Association sénégalaise des usagers du tic (Asutic) propose également une autre lecture de la posture de l’Etat dans le bras de fer Tigo-Wari. De même, il est loin d’être convaincu que les Sénégalais font un mauvais usage de l’Internet.

La dernière actualité dans le secteur des télécoms, c’est cette mise en demeure que l’ARTP a envoyée aux opérateurs. Quelle appréciation en faites-vous ?

D’abord, nous saluons l’initiative qui tend à protéger les consommateurs sénégalais contre les opérateurs. La première remarque est que ce communiqué ne prend en charge que le défaut de qualité sur la voix. Nous savons de quoi les Sénégalais se plaignent tous les jours : c’est la qualité de la connexion internet. Dans ce communiqué, on n’en parle pas. Le communiqué ne souligne que des dysfonctionnements dans la voix. Il y a de cela une semaine, on a envoyé une réclamation au service client d’Orange pour mauvaise qualité liée à la connexion internet dans la zone de Saly et Hann Maristes. Les problèmes sont là, mais on a l’impression que les autorités ne les traitent pas.

En dehors de ça, il y a d’autres problèmes beaucoup plus urgents et préoccupants pour les Sénégalais sur lesquels les autorités ne se prononcent pas. Par exemple, avec l’opérateur Orange, dès qu’on appuie sur la touche ‘’appel’’, Orange commence à vous facturer. Vous êtes facturé avant même que la liaison ne soit établie entre vous et votre interlocuteur. Et pourtant, c’est Orange lui-même qui clame partout que la boîte vocale est gratuite. Avant même d’arriver à la boîte vocale, l’opérateur vous facture. Quant à Tigo, si vous prenez son numéro de renseignement, si vous n’avez pas de crédit, il ne passe pas. L’autre élément, c’est que la loi fait obligation à tous les opérateurs d’avoir des formulaires de réclamation dans leurs agences, leurs établissements commerciaux. Aucun opérateur ne respecte cette disposition de la loi. Dans ce communiqué, nous voyons plutôt un coup de communication qu’une volonté réelle de travailler à protéger les Sénégalais contre les opérateurs.

L’ARTP menace de sévir, mais l’on se rappelle qu’elle avait infligé une amende de 14 milliards puis 8,9 milliards à Orange et 6,6 milliards à Tigo pour absence d’informations pour les consommateurs. Avez-vous connaissance du paiement de ces montants ?

Nous n’avons aucune information relative à des montants versés au Trésor. Nous ne savons pas si ça a été fait ou pas. En tout état de cause, quand la décision de la réduction de la pénalité a été rendue publique par le Collège de la régulation de l’Artp, nous avions dénoncé le caractère illégal de cette réduction. Pour être conséquents avec nous-mêmes, nous avons saisi la Cour suprême aux fins d’annuler cette décision. Nous attendons...

Etes-vous de ceux qui pensent que l’Artp n’est pas un régulateur qui assume ses missions ?

De tous les temps, l’Artp n’a jamais été au service des Sénégalais. Comme je l’ai dit, il y a des problèmes mineurs que les autorités auraient pu résoudre, mais elles ne se sont jamais engagées dans cette voie. Même vous citoyen, si vous déposez une réclamation à l’Artp, estimez-vous heureux si vous recevez un accusé de réception. Nous y avons déposé plusieurs réclamations, mais nous n’avons même pas d’accusé de réception. Les Sénégalais vivent trois difficultés : problèmes de qualité de réseaux sur la voix, difficulté d’accès au réseau à Dakar ou en dehors, et tarifs élevés. Le Sénégal est l’un des pays où la connexion internet et les services y afférents sont les plus chers au monde.

Est-ce dans la nature de l’Artp ou par manque de volonté politique ?

En réalité, l’Artp est capturée par le pouvoir politique, du fait des milliards qu’elle gère. Le Cnra n’a pas d’argent, on y a mis un professionnel, le doyen Babacar Touré. Mais puisque l’Artp gère des milliards, le pouvoir fait tout pour contrôler la direction de cet organe. Toutes les personnes qui sont à la direction de l’Artp ou au collège ont des profils politiques. Ces autorités ont été nommées sur des bases politiques. Il y a eu des semblants d’appels à candidature mais c’était juste pour respecter les procédures. Au fond, les termes de l’appel à candidature n’ont pas été respectés. Donc, si les autorités ne sont pas aujourd’hui en mesure de prendre en charge les problèmes des Sénégalais, ça ne me surprend pas.

L’autre actualité reste dominée par le bras de fer entre Tigo, Wari et Tellium. L’Etat a sorti un décret pour approuver la transaction. Comment appréciez-vous la position de l’autorité ?

Nous avons été surpris par ce décret. Après analyse, nous nous sommes rendu compte que l’autorité ne cherche qu’une chose : préserver les intérêts de Sonatel/Organe. Première observation, comment peut-on approuver une transaction qui n’a pas encore abouti ? L’Etat est un facilitateur entre les opérateurs économiques. Ce décret n’a aucune valeur légale.

Beaucoup l’ont interprété comme une volonté de préserver le groupe Wari, mais nous, nous avons une toute autre lecture. Nous nous basons sur les profils des nouveaux investisseurs qui veulent entrer dans le secteur des télécoms au Sénégal. L’un (Yérim Sow) est le premier Sénégalais à investir dans le secteur des télécoms dans les années 90 avant de partir en Côte d’Ivoire où il est actionnaire de MTN Côte d’Ivoire, opérateur que bouscule Orange. L’autre investisseur qui veut entrer dans le marché des télécoms, le Français Xavier Niel, est actionnaire majoritaire de Free qui a dynamité les tarifs de la téléphonie mobile en France et qui bouscule Orange.

Ces deux investisseurs constituent une véritable force de frappe et ont la capacité financière et technique de développer l’activité de Tigo jusqu’à être une menace réelle pour Orange Sénégal. Et c’est justement pour éviter que ces investisseurs entrent dans le marché des télécoms que l’Etat a signé ce décret pour envoyer un message clair à ces gens pour leur dire qu’on ne veut pas d’eux dans ce pays. L’Etat veut toujours qu’Orange soit l’opérateur dominant dans ce pays.

Au-delà de cet aspect, il y a quand même Wari et Tigo qui avaient presque fini de finaliser. Peut être une manière d’amener Tigo à respecter ses engagements ?

Je ne connais pas les détails de la transaction. Tout ce que je peux dire, c’est que l’Etat est un facilitateur, il est là pour huiler les relations entre les investisseurs. Nulle part au monde il n’existe un Etat qui doit contraindre un opérateur à vendre son business à un autre. Une transaction qui n’a pas encore abouti, on voit mal un Etat l’approuver. Je me base sur les communiqués que les parties ont annoncés pour faire mon analyse et surtout conclure que l’Etat sait que ce décret, attaqué devant n’importe quel tribunal arbitral, ne tiendra pas. Ce décret n’est pas légal. La question de fond est que l’Etat cherche à protéger Orange. Un exemple, la 4G est donné de manière discriminatoire au Sénégal. Il n’y a que Sonatel-Orange qui commercialise la 4G. Un autre exemple : l’Etat est sur un nouveau projet de code de télécom. Un projet écrit pratiquement pour Orange Sénégal. Tout est fait pour mettre à l’aise l’opérateur historique. Nous avons déjà fait deux communiqués sur ce nouveau projet et nous allons faire une campagne de sensibilisation envers les nouveaux députés pour montrer les articles dangereux dans ce nouveau code des télécoms.

Pouvez-vous donner des exemples pour être précis ?

Déjà l’article 28 de ce code permet la censure d’Internet, or depuis des années, Orange se plaint de l’utilisation de WhatsApp, Viber et autres car cela constitue une baisse de leur chiffre d’affaires. Quand on bloque ou ralentit illégalement ces applications et que les Sénégalais se plaignent, l’autorité prend la décision d’enjoindre Orange de rétablir la connexion. Cet article 28 permet aux opérateurs de bloquer ces applications ; ce n’est que pour permettre à l’opérateur de gagner plus.

Parlant justement de connexion, est-ce que les fournisseurs d’accès ont apporté une plus-value ?

Pour répondre à cette question, il faut voir la cause de la disparition des premiers fournisseurs d’accès au début des années 2000. Cela est dû au fait qu’ils dépendaient techniquement de Sonatel-Orange Sénégal et que par les pratiques anticoncurrentiels et surtout par la mauvaise qualité de leur service, ces fournisseurs d’accès ont disparu. Si aujourd’hui on faisait venir de nouveaux fournisseurs d’accès sans rompre la dépendance avec Orange, ils vont disparaître aussi. La chaîne de valeur sur le marché d’accès à Internet est composée de 3 segments : le segment International, National et le segment Client final.

Sur le segment International, il y a une dominance à 90% par Orange. Les connexions satellitaires entre le Sénégal et l’Extérieur sont sous le contrôle d’Orange, on ne peut pas commercialiser Internet sans passer par Orange. Il faut un cadre juridique qui permet un accès équitable pour une concurrence saine et loyale à ces câbles sous-marins. Tout le segment national, c’est-à-dire les câbles qui lient Dakar, Saint-Louis etc. sont sous le monopôle de la Sonatel. Tous les trois segments sont monopolisés par elle. Si l’accès à ces trois boucles n’est pas équitable, tout investisseur qui vient va tout droit à sa perte. Ce nouveau code favorise justement ce monopole. Il faut travailler d’abord sur un cadre juridique favorisant l’accès équitable avant de faire venir les FAI. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs.

La réalité pourrait-elle être la même pour les opérateurs virtuels nouvellement sélectionnés ?

Vous savez, le marché des télécommunications au Sénégal est un oligopole, c'est-à-dire la demande est forte et les fournisseurs sont peu. Dans ce type de marché, les opérateurs font la loi ; ils font leur offre sans chercher à satisfaire les clients. L’appel d’offres de la 4G a foiré à cause de cette entente des opérateurs. Les tarifs sont les mêmes pour tous les opérateurs ; la seule différence, c’est dans les promotions qu’ils font. Or, les promotions, ce n’est que pour capturer les clients ; cela ne va pas dans leur intérêt. Tant que ce marché est comme ça, il est au détriment du client. Pour résoudre cet oligopole, plusieurs leviers de régulation peuvent être utilisés. L’Etat peut décider de faire venir un opérateur virtuel, il l’a fait. Il pouvait aussi faire venir un quatrième opérateur, mais Sonatel s’y était totalement opposée, allant jusqu’à organiser des conférences pour dire qu’il n’y avait pas de place pour un quatrième opérateur. Entre faire venir un quatrième opérateur et un opérateur virtuel, l’état a choisi un opérateur virtuel. Ceci renseigne sur le fait que l’Etat favorise l’oligopole dominé par Orange. Les opérateurs virtuels achètent en gros dans les opérateurs pour revendre.

Si Tigo et Expresso n’ont jamais bousculé Orange ni changé le marché, c’est parce qu’ils n’ont jamais eu l’accompagnement de l’Etat dont ils ont besoin. La Sonatel, quand elle est arrivée en 1997, le gouvernement l’a accompagnée pendant 10 ans. Alors, pourquoi le gouvernement n’a pas voulu d’abord de Tigo, ensuite de Expresso quand ils sont arrivés sur le marché ? Il n’a rien fait. Il les a laissés avec un marché déjà préétabli qu’il est difficile de concurrencer. Ils n’ont été aucunement appuyés. Quand on vient nouvellement de s’installer, on a un coût de production extrêmement élevé ; c’est tout le contraire pour son concurrent établi depuis longtemps. Donc, pour permettre au nouvel entrant de vendre à des tarifs compétitifs, il faut faire une régulation asymétrique des tarifs d’interconnexion. C’est-à-dire les tarifs que se fixent les opérateurs. L’autorité ne l’a jamais fait. Ils ont commencé en 2016 à faire une régulation asymétrique des tarifs d’interconnexion. Cela veut dire que l’opérateur qui a les coûts de production les plus bas ne va pas en profiter. Nous encourageons l’autorité à aller dans ce sens.

Dans ce cas, que sont venus faire les Youssou Ndour, El Hadji Ndiaye et Mbackiyou Faye ?

Eux, ils vont gagner de l’argent, mais pour le consommateur sénégalais, rien ne va changer. Ces opérateurs virtuels ne seront que des relais de croissance pour les opérateurs. Cela va permettre à Tigo, Expresso et Orange de développer leurs activités, leurs chiffres d’affaires, en atteignant des cibles qu’ils ne pouvaient pas atteindre. Mais en définitif, pour le consommateur, il n’y aura ni baisse des tarifs, ni amélioration de la qualité et non plus celle de la couverture du réseau. Donc, les trois questions de base restent les mêmes. Pour le résoudre, il faut un 4ème opérateur. Et l’Etat, de ce que nous voyons, n’est pas sur cette voie parce qu’il est partie prenante. Il a des actions à Sonatel-Orange. On ne peut pas être juge et partie. L’Etat cherche à protéger ses propres intérêts au détriment de ceux du Sénégal.

Vous parlez des intérêts de l’Etat. D’autres y voient ceux de la France

Je vois plutôt ce que l’Etat du Sénégal pose comme acte. C’est ce que j’analyse. Je constate tout simplement que le gouvernement du Sénégal n’a jamais travaillé pour perturber le monopole des opérateurs. Toutes ses décisions visent à préserver les intérêts de Sonatel-Orange. La preuve, entre un opérateur virtuel, et un 4ème opérateur, ils ont préféré le premier. Nous demandons à l’Etat du Sénégal de vendre les capitaux qu’il détient à Sonatel-Orange.

Dans cette lutte pour un service de qualité et à moindre prix, les organisations de défense des consommateurs devaient jouer un rôle décisif, mais on a l’impression que vous ne pesez pas sur la balance !

Dans tous les pays du monde, les organisations de la Société civile sont soutenues, renforcées par leurs propres populations. Dans ce pays, le niveau de développement n’est pas tel que les populations puissent soutenir ces organisations. L’Etat non plus ne renforce pas leurs capacités. Nous nous battons avec les moyens du bord, en faisant beaucoup de lobbying, de plaidoyer. Et, c’est ça le plus important. Que les autorités nous écoutent puisqu’il y a des Sénégalais qui apportent leurs contributions pour le développement du pays.

Les dérives sur la toile défraient la chronique, pensez-vous que les Sénégalais font un mauvais usage de l’Internet, des réseaux sociaux plus particulièrement ?

Nous entendons beaucoup parler de dérives sur le Net. Et cette affirmation est basée uniquement sur deux ou trois faits divers qui ont été hyper médiatisés. Nous estimons que les Sénégalais ne font pas de dérives sur le net. Nous ne sommes pas d’accord et il n’y a aucune étude qui le prouve. Nous pensons qu’il faut une étude sur comment les Sénégalais utilisent l’internet d’abord. Le problème du Sénégal, c’est qu’on ne fait pas de diagnostic. Par exemple, l’Etat a publié il y a un an la stratégie Sénégal numérique 2016-2025. Il l’a fait sans au préalable faire un diagnostic. Cela veut dire que l’Etat n’a pas une cartographie actualisée du secteur des TIC dans ce pays. L’Etat ne sait pas combien de Sénégalais ont des ordinateurs, ni le niveau d’appropriation de ces outils, c’est-à-dire combien de Sénégalais sont capables d’utiliser internet. Il ne sait pas non plus de combien d’heures de connexion ils disposent. Les chiffres que nous avons viennent principalement des opérateurs. Or, ces chiffres ont une logique commerciale et pas celle de politique publique. L’Etat ne sait rien de ce qui se passe. Comment peut-on élaborer une stratégie de développement des TIC, quand on ne sait pas la situation réelle du pays. Pour en revenir à la question, notre analyse est plutôt basée sur l’opportunité de traitement d’une telle information. Il n’y a pas de distinction entre la vie réelle et celle sur internet. Par conséquent, tout ce que vous ne pouvez pas faire sur la vie réelle, vous devez vous abstenir de le faire sur les réseaux sociaux.

Vous pensez que les médias ne doivent pas en parler ?

Chaque jour, des gens tiennent des propos discourtois dans la vie réelle. Est-ce que cela fait la Une des journaux ? Alors, pourquoi ceux tenus sur ces réseaux sociaux doivent l’être ? Donc, il faut se poser des questions sur l’opportunité journalistique de cette information. Parce qu’aujourd’hui, si les Sénégalais sont au courant de ces faits divers, c’est parce que la presse en a parlé. Pour la plupart des cas, les propos ont été tenus dans un cadre strictement privé. Est-ce qu’il est normal que des propos tenus dans un cadre strictement privé soient divulgués publiquement ? Tout ce qui se passe dans les maisons, les arrière-cours, les bureaux etc., toutes ces discussions, si on les enregistrait et les mettait à la place publique, le pays allait s’embraser. Est-ce que dans un pays qui aspire à être émergent, les faits divers doivent être mis en avant. C’est là où nous poussons les Sénégalais à poser le débat.
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