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Investiture des marabouts dans les listes à Touba : Les populations étalent leurs craintes
Publié le mercredi 19 juillet 2017  |  Enquête Plus




C’est un monde en profonde mutation. D’une part, il y a les conservateurs, d’autre part, les progressistes. Les premiers veillent jalousement sur l’héritage de Khadimou Rassoul. Ils réprouvent toute sorte de mondanité. Les seconds, de plus en plus, flirtent avec le pouvoir. Si certains talibés dénoncent cette nouvelle tendance de certains descendants de Bamba, d’autres disent respecter leur choix.


Un pied dans le spirituel. Un autre dans le temporel. Avantage ou inconvénient ? Les mourides sont divisés sur la question. Trouvé à la Résidence secondaire de Serigne Touba, ce jeune militant du Parti démocratique sénégalais dénonce l’implication des marabouts dans la vie politique : ‘’Je parle au nom des jeunes de toutes les mouvances. L’implication des marabouts dans la vie politique nous porte vraiment préjudice. Il est difficile de faire la politique à Touba. Nous sommes sur le terrain 24 heures sur 24. Nous abattons un travail colossal. Mais à l’arrivée, ce sont les marabouts qui sont primés. C’est à eux qu’on donne les moyens. Je pense que c’est injuste’’.

Mais, le jeune politicien, la trentaine, ne désespère point. Aujourd’hui plus que jamais, il se dit engagé et déterminé pour le triomphe de son parti et de sa coalition. Même s’il aurait souhaité que la direction de sa structure revoie la formule d’investiture à l’avenir. Il déclare : ‘’Les marabouts, nous les respectons beaucoup. Mais je pense qu’ils devraient se retirer de la politique et s’occuper de l’héritage de leur aïeul. Ce que Serigne Touba leur a laissé est beaucoup plus important que le pouvoir’’.

Cheikh Ahmadou Bamba, estime Dame Fall, n’a jamais souhaité avoir une quelconque proximité avec les détenteurs du pouvoir temporel. Toute sa vie, il l’a consacrée à Dieu et à son Prophète. Le bonhomme de teint clair, ancien pensionnaire du ‘’daara’’ de Serigne Saliou, pense aussi que la place d’un ‘’Mbacké-Mbacké’’ n’est pas dans la politique. Il convoque un poème de Serigne Moussa Ka pour justifier son propos : ‘’Serigne Touba disait, selon ce dernier, que Borom xam-xam bouy dèm ci buur, mingui mélni ap wègn bouy dèm ci ay guinaw keur (un religieux qui va vers un roi, c’est comme une mouche qui se dirige vers des excréments)’’

Dans son livre intitulé la doctrine de Cheikh Ahmadou Bamba paru aux éditions l’Harmattan, Ahmadou Khadim Sylla précise le contexte de cette mise en garde de Bamba. Nous sommes le 20 décembre 1881, Mame Mor Anta Saly, érudit et père de Serigne Touba, vient de quitter ce bas monde. Après avoir présidé la prière mortuaire, Serigne Tayba Muhammad Ndoumbé invite Serigne Touba à se joindre aux anciens camarades de son père pour aller chez Lat-Dior lui présenter leurs condoléances, mais aussi lui demander de confier à Borom Touba les anciennes fonctions de son père. La réplique de Cheikh Ahmadou Bamba, selon l’auteur, ne s’est pas fait attendre. Devant l’assistance, il exprime son point de vue : ‘’C’est gentil à vous de m’avoir consolé et présenté vos condoléances. Que Dieu vous récompense et vous protège ! Quant à ce qui concerne le roi, sachez que moi je n’ai pas l’habitude de fréquenter les monarques. Je ne nourris non plus aucune ambition à l’égard de leur mondanité. Je ne cherche d’honneur qu’auprès du Seigneur’’. Page 45 du livre.

En fait, rappelle M. Sylla dans son ouvrage, Mame Mor Anta Saly et Lat-Dior se sont connus dans le Rip où régnait Maba Diakhou Ba. Ce dernier qui voulait établir un Etat islamique dans cette partie du Sénégal avait fait appel à tous les musulmans. Le père de Serigne Touba faisait partie de ceux qui l’ont rejoint dans son ‘’djihad’’. Quant au Damel, il a été contraint de quitter le Cayor suite à ses divergences avec Damel Madiodio Fall à l’époque soutenu par les colons. Dans le Rip, explique toujours Ahmadou Khadim Sylla, le roi a été converti à l’Islam par Mame Mor Anta Saly. A la mort de Maba, les différents ‘’djihadistes’’ étaient contraints de se disperser. Le rêve de fonder un Etat islamique est tombé à l’eau. Lat-Dior qui retourna au Cayor ‘’reconquit le trône et fit appel au père de Serigne Touba qui accepta dans l’optique de servir les musulmans. Il fut ainsi nommé magistrat et conseiller religieux auprès du roi’’, enseigne Khadim Sylla.

Le rappel est long. Mais il a son sens. Voila le poste que les compagnons de Mame Mor Anta Saly voulaient à leur ‘’fils’’ Khadimou Rassoul. Mais, ce dernier n’en voulait point. Il réfute catégoriquement. Naturellement, sa réponse n’a pas manqué de susciter des commentaires de toutes sortes, des reproches de toutes sortes.

Aujourd’hui, que devient cette position de Cheikh Ahmadou Bamba vis-à-vis du pouvoir ? Beaucoup estiment que c’est un ostracisme en voie de disparition. La plupart de nos interlocuteurs, trouvés aux alentours de la Grande mosquée de Touba, bottent en touche. Voix basse, taille moyenne, teint noir, Serigne Cheikh Camara donne sa version : ‘’Serigne Touba a beaucoup de petits fils. La plupart d’entre eux, vous ne les entendez nulle part. Vous ne les connaissez même pas. Ils ne s’occupent que des questions islamiques, des champs et des «daaras». Comme le recommandait Serigne Saliou Mbacké. Serigne Cheikh Sidi Mokhtar a aussi adopté la même position. Je pense que les jeunes Mbacké-Mbacké gagneraient à s’approprier cette même attitude’’.

Il y va de leur propre intérêt d’après ce cheikh, très proche de l’establishment mouride. Il explique : ‘’un marabout qui fait de la politique sera traité comme un homme ordinaire, y compris par ses talibés. Il n’aura jamais le respect dû à son rang. On ne l’appellera pas pour effectuer des prières mortuaires. Personne n’aura plus foi en ses prières. C’est vraiment quelque chose de déplorable. S’ils étaient sous ma tutelle, je leur aurais conseillé de ne pas s’immiscer dans la politique. Mais je n’ai aucune autorité sur eux’’.

Le débat passionne dans la ville sainte. Si le phénomène ne date pas d’aujourd’hui, il a pris des proportions ‘’inquiétantes’’, selon certains disciples mourides. De l’avis de Serigne Mbaye Sy, ‘’Il faut retourner à l’orthodoxie : le savoir et les champs. Serigne Touba a consacré toute sa vie au savoir et au travail. Si nous voulons être respectés par les talibés, nous devons nous éloigner de la politique. Le rôle d’un marabout est d’être un arbitre. Mais comment peut-on jouer ce rôle si on porte le maillot d’une des équipes ? Ce n’est pas possible. Et de ce fait, notre autorité sera remise en cause’’.

SERIGNE CHEIKH ABDOUL AHAD GAINDE FATMA (TETE DE LISTE DE BBY’’

‘’Nous ne devons pas céder à la pression’’

Ce samedi, la tête de liste de Benno Bokk Yaakaar, Cheikh Abdoul Ahad Gaindé Fatma, était en tournée dans différents foyers religieux. Le marabout homme politique qui a repris ses activités était à Khayra à la pêche de grands électeurs. Au domicile de Serigne Modou Mbacké Sy, chef religieux et grand cultivateur, le fils de Gaindé Fatma a essayé de justifier pourquoi il est entré dans la politique. ‘’Un jour, quelqu’un est venu me demander si je ne peux pas me retirer de la politique. Il m’a dit que Serigne Touba nous a tout donné. Je lui ai demandé à mon tour : «Mais, qu’est-ce que nous, nous avons fait pour Serigne Touba ?» Moi, je ne suis pas de ceux qui pensent qu’un marabout doit rester les bras croisés et attendre tout de ses talibés. Ce sont les autres qui veulent nous cantonner dans cette mission parce qu’ils se sentent menacés. Touba connait beaucoup de difficultés, si on n’est absent aux sphères de prise de décisions, personne ne va défendre nos intérêts. Si je suis entré dans la politique, c’est juste pour vous servir’’, dit-il aux nombreux dignitaires présents à cette rencontre.

Selon la tête de liste de la Coalition de Benno Bokk Yaakaar dans le département de Mbacké, les guides religieux ne doivent pas céder à la pression de certains intellectuels qui ont échoué sur toute la ligne. Le salut du Sénégal, estime-t-il, se trouve entre les mains des hommes de Dieu. Devant les hautes autorités religieuses, le petit fils de Serigne Moustapha (Ainé de Serigne Touba) a décliné quelques aspects de son programme : ‘’Ce n’est pas normal que sur les 40% du budget national, même pas 2% ne reviennent à l’enseignement religieux. Je pense aussi que les guides qui occupent une place importante dans l’éducation des populations doivent être assistés dans leur mission par l’Etat. Voilà pourquoi je suis venu demander le soutien des notables que vous êtes’’.

SERIGNE CHEIKH MBACKE BARA DOLLY ET Serigne Mourtalla Mbacké (WATTU SENEGAAL)

‘’Cheikh Abdou doit démissionner du Comité d’organisation du Magal’’

Serigne Mourtalla Mbacké, fils de Serigne Modou Adjara, est membre de la Coalition gagnante Wattu Senegaal. Lui dit comprendre la suggestion des talibés. ‘’Aucun talibé ne souhaite qu’on dise du mal de son marabout. Or, en entrant dans la politique, celui-ci s’expose aux critiques. C’est peut être pourquoi certains pensent que nous devons rester à l’écart. Quant à ceux qui disent que nous le faisons pour l’argent, je pense qu’ils ont tort. Un vrai marabout ne fera jamais la politique comme n’importe quel citoyen. Les marabouts que je connais dans la politique ont déjà leurs privilèges. S’ils entrent dans la politique c’est juste pour régler les problèmes des citoyens’’, affirme-t-il ?

Toutefois, Mourtalla estime qu’il faut éviter les confusions : ‘’On ne peut pas être au centre de l’organisation du Magal et être dans un camp politique’’. Sa tête de liste, Serigne Cheikh Bara Dolly embouche la même trompette. Selon lui, le chef de file des candidats de Benno dans le département doit quitter la communication du Magal. ‘’C’est évident qu’il ne peut plus continuer à diriger cette commission. Il doit démissionner de son poste. S’il ne le fait pas on doit le démettre. Les mourides sont intelligents. On ne peut plus les tromper. Serigne Cheikh Abdoul Ahad doit démissionner du comité d’organisation du Grand magal de Touba’’, répète-t-il.

Mais, par rapport à l’immixtion des chefs religieux dans le jeu politique, le représentant de Wàttu Senegaal n’y voit aucun inconvénient. Il déclare : ‘’C’est tout à fait normal. Nous connaissons les problèmes de la ville et des populations. C’est normal que nous nous impliquons dans l’intérêt de nos populations’’.

La viatique de Cheikh Ahmadou Bamba

‘’Accours, m’ont-ils dit, vers les portes des sultans, afin d’obtenir des biens qui te suffiraient pour toujours’’. ‘’Dieu me suffit, ais-je répondu, et je me contente de Lui’’.

‘’Et rien ne me satisfait sauf la religion et la science. Je ne crains que mon Roi. Je ne compte que sur Lui. Car Lui, le Majestueux, m’enrichit et me préserve. Comment exposerais-je mes affaires entre les mains de ceux qui sont aussi incapables de résoudre leurs difficultés que les plus démunis ? Et comment la convoitise des richesses m’inciterait-elle à fréquenter ceux dont les résidences sont les jardins de Satan ? Si je suis attristé ou que j’éprouve un quelconque besoin, j’invoque le Maître du trône. Car il est l’Assistant, le détenteur et la Puissance Infinie. Il crée comme Il veut tout ce qu’il veut. S’Il veut hâter une affaire, celle-ci se déclenche très rapidement. Mais s’Il veut l’ajourner, elle s’attardera un moment. O toi qui blâmes, ne vas pas trop loin, et cesse de me reprocher ! Car mon abandon des futilités de cette vie ne m’attriste point. Si mon seul vice est ma renonciation aux biens de ces rois, c’est là un précieux vice dont je ne rougis point’’.

AVEC AHMADOU KHADIM SYLLA
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