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Art et Culture

Sahite Sarr Samb - Directeur théatre national Daniel SORANO : ‘’Ce changement ne peut être en défaveur du personnel’’
Publié le lundi 17 juillet 2017  |  Enquête Plus




Le mardi 20 juin 2017, les députés on voté à l’unanimité le projet de loi 10/2017 abrogeant la loi 66-62 du 30 juin 1966 portant création de la compagnie du théâtre national Daniel Sorano. Ainsi, cette dernière a changé de statut. D’établissement public à caractère administratif (Epa), il est devenu un établissement à caractère industriel et commercial (Etic). Un changement qui laisse sceptiques les artistes de Sorano. Ils ne savent pas si la réforme permettra d’améliorer leurs conditions de vie et de travail. Ce qui n’est pas le cas du directeur général de Sorano, Sahite Sarr Samb, qui tente de les rassurer dans cet entretien accordé à EnQuête. Les difficultés de la maison, il en parle également ici.



Que pensez-vous du nouveau statut du théâtre national Daniel Sorano ?

C’est une réforme administrative nécessaire qui est ainsi faite. Parce que la loi 66-62 date de plus de 50 ans. Quand j’ai été nommé directeur, l’un de mes premiers défis était que l’on revoie les textes du théâtre national Daniel Sorano. Cela a abouti à l’abrogation de la loi citée plus haut pour me permettre d’aller vers un nouveau texte qui serait plus adapté au contexte actuel. Ce changement de statut est une exigence. On ne pouvait pas rester dans l’ancien texte qui régissait Sorano. Les établissements publics sont réglementés par la loi 87. Parmi ceux-ci, il y a ce qu’on appelle les établissements publics à caractère industriel et commercial qui ont plus d’autonomie que les anciens qui ne doivent plus exister.

Ce sont des établissements publics à caractère administratif qui sont plus proches de l’administration classique, donc, cela nous donne plus d’autonomie dans l’organisation interne. Avec ce nouveau statut, il appartiendra au conseil d’administration qui sera mis en place de définir l’organigramme interne et c’est très important. Car, l’organigramme qu’on a en ce moment présente des difficultés. Aussi, on aura la possibilité d’une autonomie financière plus grande pour pouvoir lever des fonds ailleurs, car dans notre domaine, nous avons besoin de fonds additionnels et nous ne l’avons pas actuellement. Il y a aussi des exigences avec ce nouveau statut, parce que, pour le début, on compte sur l’Etat pour augmenter la subvention. Donc, l’exigence, c’est d’avoir un plan de développement et nous l’avons déjà car la direction générale avait déjà commencé à définir cette perspective de développement stratégique.

Qu’est-ce qui a motivé la décision de l’Etat, à votre avis ?

C’était une exigence. On ne pouvait pas faire autrement. Cela s’exigeait à plusieurs niveaux, aussi bien à celui de la tutelle administrative qu’à l’interne. Dans la marche quotidienne de notre entreprise, nous nous rendons compte qu’il y a certaines lourdeurs et certaines choses très importantes qui sont dans ces lois. Par exemple, la loi de 66 permet à Sorano de contrôler tout ce qui se passe dans le théâtre au Sénégal. La question qu’il faut maintenant, c’est : cela va-t-il continuer avec l’éclatement que nous avons ? Parce qu’avant, quand nous le faisions, il n’y avait que deux théâtres : le théâtre populaire et le théâtre de l’Etat qui est Daniel Sorano. A l’époque, il n’y avait pas de théâtre public avec des troupes privées. Maintenant, avec ces nombreuses troupes privées et l’éclosion de plusieurs talents et leurs initiatives, les choses deviennent plus difficiles. Il faut comprendre que la loi n’est plus adaptée. Or, une loi est faite pour être appliquée. A un moment, on ne pouvait plus contrôler ou obliger ces troupes de passer par Sorano. Cette loi de 66 stipulait également qu’aucune troupe théâtrale ne devait se rendre à l’étranger pour des spectacles sans pour autant avoir le quitus de la compagnie. Donc, cette loi est obsolète.

Mais ce changement est-il en faveur ou en défaveur des employés ?

Les employés constituent la ressource de Sorano. On ne peut pas faire des choses qui peuvent être en leur défaveur. Mais il faut qu’ils sachent qu’ils sont soumis à l’exigence de performance. Quand on reçoit des subventions de l’Etat, on doit être à la hauteur. D’ailleurs, cela doit les pousser à mieux travailler et le faire de manière plus rationnelle. Autant, la direction générale, le conseil d’administration que le personnel doit le faire avec des perspectives plus modernes et plus rationnelles. Quelle que soit la situation, cela va fonctionner.

Vous demandez une rallonge de la subvention, cela voudrait-il dire que l’Etat va continuer à vous soutenir financièrement ?

Bien sûr, parce que nous sommes un démembrement de l’Etat, c’est pour cela que nous allons même demander à l’Etat de voir dans quelle mesure la subvention pourrait être augmentée. Nous avons fait des propositions et nous sommes optimistes, parce que l’un va avec l’autre. Donc, ce nouveau statut doit aller normalement avec l’augmentation des moyens sur au moins le moyen terme, pour pouvoir être jugé. Mais aussi, il nous faut la réhabilitation des outils de travail. C’est mon deuxième défi. Car, ce n’est pas seulement le personnel ou la subvention qui feront Sorano. Il faut des équipements et des infrastructures. Et ceux qui sont ici datent des années 1960. Ce qui nous met dans des difficultés de gestion au quotidien. Ce qui nous prend beaucoup temps, car il y a toujours des réparations à faire, alors que nous devons nous pencher vers l’avenir. Cela plombe un peu la direction. Même si nous avons essayé de nous mettre au niveau de la réforme administrative et réglementaire pour que le changement de statut puisse aller en phase avec la réhabilitation qui est sur la table des autorités.

Vous semblez bien imprégné de la question. Ce qui n’est pas le cas du personnel. N’avez-vous pas échangé avec eux sur le sujet ?

Maintenant, avec la nouvelle technologie, si on veut avoir des informations sur quelque chose, on peut les avoir rapidement. Quand on change de statut, il y a des exigences de professionnalisme et de performance. Je me dis que si le personnel veut travailler, il ne peut pas ne pas adhérer à ce programme. Je suis aussi disponible à répondre à toutes leurs questions. D’ailleurs, nous avons informé le syndicat maison et l’ensemble des personnels.

Vous ont-ils fait part, lors de cette réunion, de leurs craintes que ce changement survenu ne soit pas en adéquation avec les réalités de leur structure ?

Il va se conformer à la réalité de la compagnie. Quelle que soit la réalité du théâtre, il reste une structure de l’Etat qui a des dispositions réglementaires pour gérer ses entreprises. Quelle que soit la spécificité, elle doit être réglée dans l’organigramme qu’on va mettre en place. Donc, il faut attendre que le décret sorte. Le personnel va même être représenté au conseil d’administration pour pouvoir prendre en compte l’organigramme. Aussi, les choses ne sont pas terminées, donc, attendons de voir.

Certains sont d’avis que le théâtre national Daniel Sorano n’est plus actif, comme avant. Partagez-vous cet avis ?

Tout est dans le programme global de relance de ce théâtre. Pour les Sénégalais, on n’est plus le Sorano qu’on était. Effectivement, c’est arrivé. A un certain moment, Sorano était en baisse de régime. Parce que le cœur de métier, c’est le théâtre, la musique traditionnelle et la danse traditionnelle. Tout est traditionnel ici. Nous avons trois vecteurs qui nous permettent d’animer les cœurs de métiers : le ballet national La Linguère, L’ensemble lyrique traditionnel et La compagnie nationale dramatique qui font un théâtre historique. Le seul problème est que nous avons un éclatement de l’expression artistique au Sénégal. Quand on faisait Sorano, il n’y avait pas de troupes privées ni de médias. Mais maintenant, l’initiative privée a pris de l’ampleur. Il faut que Sorano s’adapte à la situation sociale. Ce sont des mutations qui ont changé le fonctionnement du théâtre.

C’est pour cela qu’on veut faire revenir les troupes qui jouaient régulièrement et avoir un programme. Parce que celui des organisateurs privés, normalement, devait être une exception. Notre priorité, c’est de faire jouer nos trois troupes. Mais l’exception est devenue progressivement la règle. Il faut qu’on puisse avoir des propositions d’activités et qu’on puisse avoir nos propres initiatives, comme on a pu le faire ces deux dernières années.

A cela s’ajoute le problème de l’équipement, comme je l’ai expliqué tout à l’heure. Sorano n’a pas un plateau technique qui peut nous permettre de réaliser nos ambitions. Mais là, nous avons une étude de faisabilité de programme global de réhabilitation par un cabinet et chiffrée à 3 800 000 F Cfa. Mais cependant, il y a ce qui relève du personnel même du théâtre, c’est-à-dire la reprise des activités. Il faut que les troupes puissent être là et jouer régulièrement. Là aussi, nous avons besoin des médias, parce que nous n’avons pas de diffuseur. C’est pourquoi les gens ont l’impression qu’on n’existe pas. Il se peut que la situation change, avec ce changement de statut. Car nous aurons une démarche de marketing et communication qui n’a jamais existé. Il nous faut être visible, car tout est parti de Sorano. Et là, il est assis sur plus de 300 œuvres de patrimoine immatériel, que ce soit théâtral, musical et qui reflète les œuvres de l’esprit et de la culture sénégalaise. Donc, il y va de notre intérêt national de préserver notre théâtre national.

La plupart de vos divas sont à la retraite ; est-ce que cela n’est pas un frein pour le bon fonctionnement du théâtre ou avez-vous de nouvelles recrues ?

Il y a l’articulation artistique et les exigences du fonctionnariat de la gestion du travail. À 60 ans, les artistes partent en retraite. C’est du point de vu administratif, mais du point de vue artistique, l’artiste ne va jamais à la retraite, car c’est à 60 ans qu’on retrouve parfois toutes ses qualités. Il faut qu’on réfléchisse au système. Il faut trouver un moyen de les garder, après la retraite administrative. Quand je suis venu à la tête de la compagnie, je les ai engagés sur des projets. C’est le cas de Serigne Ndiaye Gonzales, Ismaïla Cissé etc. En 2015, on a fait revenir, avec la célébration du cinquantenaire de Sorano, les divas cantatrices qui sont à la retraite. Quand elles ont chanté, on a su que le talent est encore là. Nous avons beaucoup d’artistes qui sont là. Et nous avons de nouvelles recrues aussi. Mais il faut revoir le système, peut-être que cette nouvelle réforme va changer quelque chose.

Comment voyez-vous la culture sénégalaise de manière générale ?

Il y a des choses positives. De manière générale, il y a beaucoup d’initiatives, d’énergie, d’espoir et d’espérance par rapport à la culture. Mais derrière tout cela, il y a l’organisation qui manque, parce que si nous ne sommes pas organisés, nous allons perdre beaucoup d’énergie et beaucoup de potentialités. Il est temps, si on veut vraiment avoir une économie de la culture, qu’on puisse identifier les acteurs. On l’a fait avec le cinéma. Depuis que le Fopica est là, on a eu une avancée à ce niveau. Les artistes doivent aussi apprendre à s’autonomiser.

On ne peut pas attendre que l’Etat donne des subventions. On peut être accompagné, mais c’est pour avoir une structuration dans le secteur. Tant que le secteur ne sera pas structuré, ce rêve de mettre en place les industries culturelles, une économie de la culture, va être une chimère. Il faut qu’on fasse un diagnostic du secteur. Aussi, il faut qu’on soit des capitaines d’entreprise qui acceptent enfin de mettre de l’argent dans la culture. Surtout, il faut la formation.

Elle est importante, parce que l’Etat a commencé à prendre des dispositions comme la construction d’une nouvelle école des arts à Diamniadio. Il nous faut une école qui soit dans la modernité. Car ce que je vis à Sorano, c’est ce que je vivais au début des années 2000, quand j’étais directeur de l’école nationale des arts. Il nous faut des réformes. Il est temps qu’on rénove et qu’on s’ouvre. Le potentiel est là, donc, il faut une modernité pour l’accompagner.

HABIBATOU WAGNE
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