La Forêt classée de Mbao, qui faisait 800 hectares, s’étend aujourd’hui sur 722,5 hectares. Immatriculée en 1908, elle est exposée à plusieurs types de pression comme le déclassement, la boulimie foncière, la pollution. EnQuête a fait le focus sur cette zone qualifiée de ‘’forêt urbaine’’.
Située au cœur du département de Pikine, la Forêt de Mbao a été classée depuis le 7 mai 1940. Elle est ceinturée par les localités de Yeumbeul Nord et Sud, Keur Massar, Mbao et Diamaguene Sicap Mbao et ‘’constitue un lieu d’expression d’une nature plurielle’’. Dans cette forêt dite ‘’urbaine’’ et ‘’périurbaine’’ de 722,5 hectares se développent de nombreuses activités comme la culture, le prélèvement de bois et de fruits, le pâturage, le sport, entre autres. Ainsi, lors de la mise en œuvre du projet Autoroute et péage Dakar-Diamniadio, l’Apix, en partenariat avec les Eaux et Forêts, a mis en place un plan d’aménagement. Il est destiné à préserver cette zone qui est le principal ‘’poumon vert’’ ou ‘’espace vert’’ de la région de Dakar.
Lancé en février 2011, le projet d’aménagement de la Forêt classée de Mbao (FCM), avec un budget de 5 milliards de F CFA et un horizon temporel de 12 ans, a quatre objectifs : il permet de conserver les fonctions écologiques et la diversité biologique de la forêt pour en faire un modèle, de contribuer à l’approvisionnement durable des riverains de la forêt en produits agro-sylvo-pastoraux, au développement sportif et culturel des populations et assurer la protection et la conservation des ressources naturelles autour des sites névralgiques tels que les cours d’eau, les mares et les diverses installations.
De 800 à 722,5 hectares
Mais aujourd’hui, le constat est alarmant. La forêt classée de Mbao est fortement agressée avec la boulimie foncière et l’urbanisation. ‘’Nous sommes là depuis 2008 pour l’aménagement de la forêt de Mbao et de Sébikotane. Actuellement, il y a tellement d’empiétements. Cependant, nous avons rendu compte à l’autorité’’, a expliqué d’emblée le colonel Moussa Fall, responsable des opérations de plans d’aménagement de la forêt classée de Mbao (PAFCM) et Sébikotane. Au début, relate-t-il, la forêt classée de Mbao faisait 800 hectares. Aujourd’hui, il ne reste que 722,5 hectares. Ce forestier de formation explique que l’autoroute à péage a pris 35 hectares, tandis que la cité de Mbao ‘’Ville neuve’’ en a rogné 29. Mais ça, dit-il, ‘’c’était au temps de l’ancien chef de l’Etat, Abdoulaye Wade’’.
‘’Avec le Président Macky Sall, nous avons eu beaucoup de changements. Avec le nouveau régime, on est tranquille. Du moins, pour le moment’’, ajoute-t-il. Car aux yeux de l’ingénieur forestier de l’Unité de gestion du Plan d’aménagement de la forêt de Mbao (UGPAFCM), Papa Baka Diop, la forêt de Mbao est en perpétuelle menace. ‘’Il y a d’autres empiétements qui font que le service forestier a jugé bon d’accroître la surveillance au niveau de la forêt et de se caler à son aspect de forêt urbaine’’, dit-il. Sans compter le projet du Train express régional (TER) lancé dernièrement par le président de la République. En effet, ‘’ce joyau’’ va tracer sa route sur ce site.
En fait, la forêt de Mbao est devenue une ‘’zone d’exploitation économique’’. Les populations riveraines y tirent profit. Mieux, avec la pression urbaine, elle est menacée par les programmes de constructions immobilières et l’implantation d’infrastructures à haute consommation de foncier. La création par l’Etat du Sénégal d’une Zone d’aménagement concertée (Zac) en 1992 a participé à la transformation des villages à proximité en faisant de Mbao et de Keur Massar la nouvelle zone de prédilection de l’urbanisation dakaroise. Aussi, la forêt est-elle entourée de 8 villages.
‘’De nombreux programmes fonciers et immobiliers empiètent sur le périmètre de la forêt, qui pourtant est un espace non aedificandi, c’est-à-dire non constructible. La construction de l’autoroute à péage est venue sonner le glas, réduisant les surfaces forestières à une peau de chagrin. Actuellement, avec le tracé de plusieurs pistes et de routes goudronnées, nous notons dans l’enceinte de l’aire protégée trois stations d’essence, un service de redistribution d’électricité, un centre de transfert et de tri des ordures’’, déplore le géographe, Docteur Youssouph Sané, dans une contribution intitulée : ‘’Environnement et ville : il faut sauver les écosystèmes de Dakar’’.
‘’Cette idée de déverser les ordures dans la forêt doit être dépassée’’
Papa Baka Diop, qui émet sur la même longueur d’onde, indique que les problèmes rencontrés au niveau de la mise en place du Plan d’aménagement sont également relatifs aux ordures ménagères. Parce que, explique-t-il, les gens ont toujours cette conception qui consiste à dire : ‘’Déversons les ordures dans la forêt, la nature’’. ‘’Cette idée, avec le Plan d’aménagement que nous sommes en train de mettre en œuvre, doit être dépassée. Aussi, certains villages limitrophes de la forêt ont des problèmes pour évacuer leurs ordures ménagères. Eux également, ils viennent dans la forêt. Des pistes de solutions sont envisagées pour faire face à toutes ces situations qui dévalorisent la forêt’’, rassure-t-il.
Par ailleurs, sur les surfaces déclassées, l’ingénieur forestier renseigne que les actions de reboisement initiées depuis 2011 sur 100 hectares ont permis de compenser ‘’largement’’ des espaces qui avaient été perdus. Lesdites actions, dit-il, ambitionnent également de renforcer la défense et la restauration des sols de la forêt. Avec l’aménagement, d’autres fonctions y ont été enregistrées : la prise en compte des aspects socio-économiques qui doit répondre à la satisfaction des besoins des populations qui s’adonnent à l’agriculture, l’élevage, etc. Aussi, il y a la fonction éducative et sociale de la forêt. ‘’Actuellement, on est en train d’aller vers un plus. Parce que nous estimons que l’aménagement de la forêt de Mbao doit être un modèle reproductible au niveau des autres forêts urbaines à l’intérieur du Sénégal’’, vise M. Diop.
Il faut relever que la forêt de Mbao a été immatriculée au nom de l’Etat en 1908. Durant la période coloniale et les premières années post indépendance, elle a fait, dit-on, l’objet d’une attention particulière. La zone a été le réceptacle de plusieurs études scientifiques qui ont conduit à l’introduction de nouvelles espèces végétales, souvent d’origine asiatique : le filao en premier après avoir été expérimenté avec succès au parc de Hann, puis l’eucalyptus, l’anacardier, le baobab, etc.
BIENVENU SAMBOU, DIRECTEUR DE L’ISE
‘’Le peu qui nous reste de verdure à Dakar, c’est la forêt classée de Mbao’’
Le directeur de l’Institut des Sciences de l’Environnement (ISE) de la Faculté des sciences et techniques conçoit mal l’absence d’espace vert dans la capitale sénégalaise. Lors du panel dudit institut tenu à l’UCAD II sous le thème ‘’Des villes vertes pour un développement durable au Sénégal’’, Bienvenu Sambou a laissé entendre : ‘’Si on qualifie Diamniadio de ville verte, ça veut dire que Dakar n’est pas verte. C’est une ville sans espace vert. Le peu qui nous reste de verdure, c’est la forêt classée de Mbao, notre dernier lambeau agressé de tout bord. Aussi, nous risquons de perdre le site de Technopôle’’. Egalement, si la tendance qui consiste à brader le littoral continue, les prochaines générations risquent de ne pas connaître les bienfaits des plages du pays. M. Sambou a tenu ces propos le samedi 3 juin dernier dans le cadre de la célébration de la Journée Mondiale de l’Environnement organisée par l’ISE.
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8 ANS APRES SA MISE EN ŒUVRE
Les réalisations du PAFCM
C’est connu. La Forêt classée de Mbao (FCM) est un potentiel forestier important rempli d’eucalyptus et d’anacardiers. On y fait de la collecte de bois d’énergie et de la pêche aussi. La production maraîchère et agricole est également importante. Des installations et des équipements y sont visibles. Ainsi, les domaines d’intervention du Plan d’aménagement de la forêt classée de Mbao (PAFCM) sont nombreux. Du reboisement et de la conservation à la gestion des ordures, en passant par la production apicole et pastorale, l’organisation et la formation des acteurs ainsi que la construction d’équipements communautaires, tout y est.
Plus de 407 737 plantes ont été produites pour assurer la transformation des peuplements et la conservation de la biodiversité, et plus de 132 hectares ont été reboisés. Un arboretum a été implanté sur 5 hectares dans lequel sont parquées 6 Zones géographiques (Zec) que sont la Casamance, le Bassin, le Ferlo, les Niayes, le Sénégal oriental et le Delta. ‘’On veut mettre le Sénégal en miniature’’, lance le Colonel Moussa Fall. L’inventaire systématique a réalisé 31 espèces pour 2 445 pieds. La clôture Ferlo est mise en place avec 5 bassins réalisés. Idem pour l’adduction d’eau. Un pare-feu périmétral a été accompli sur 750 mètres. Un autre a été installé à l’intérieur et à l’extérieur sur 3 kilomètres. 210 baobabs, 50 tamariniers, 50 ‘’yereck’’ et 65 ‘’khéwar’’ sont plantés tout autour. Une pépinière de production d’essences locales est aussi mise en place. 1 000 eucalyptus ont vu le jour dans une plantation.
Il y a aussi la mise en place de pistes pédestres, une principale et une secondaire, la stabilisation des pistes avec des gravats et de la latérite. S’y ajoute la mise en place d’une palmeraie, d’une cocoteraie et de bambouseraie. Le démarrage des plantations dans la Zeg forestière de fromagers, ‘’touloucoune’’, ‘’gang’’, ‘’benténier’’ et ‘’mboul’’ est en cours. Le maraîchage a même le sol ou sur la table est présent dans la FCM. L’aménagement du marigot de Mbao est fait. De même que l’intensification des productions pastorales et agricoles. L’organisation des acteurs est prise en compte dans le PAFCM. La forêt de Mbao abrite 16 toilettes financées dans le cadre d’un projet du Plan d’aménagement.
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A LA ‘’MARE DE LA BIODIVERSITE’’
15 000 oiseaux dénombrés en une soirée
Nichée dans la forêt classée de Mbao, la ‘’mare de la biodiversité’’ est une attraction. Toutefois, le Typha est une contrainte majeure sur ce site qui a plusieurs fonctions : pédagogique, écologique, entre autres.
La ‘’Mare de biodiversité’’ de la forêt de Mbao accueille 200 à 300 pélicans. Ils restent sur place et y nichent. Présentement, informe-t-on lors de notre passage sur les lieux, ils sont en migration. ‘’Nous parlons de biodiversité parce qu’il y a beaucoup d’animaux qui viennent ici. Une année, je suis venu avec mes amis de l’université de Metz, on a pu dénombrer plus de 15 000 oiseaux en une soirée. Sur ce site, nous valorisons les eaux de ruissellement pour le maraîchage’’, renseigne le responsable des opérations des plans d’aménagement de Mbao et de Sébikotane.
Le colonel Moussa Fall explique que la forte biodiversité dans la forêt de Mbao est surtout au niveau de la faune aviaire. ‘’Nous avons des perroquets et d’autres animaux. Il y a les singes, les chacals, les perdrix entre autres animaux. Bientôt, nous allons faire relâcher des pintades et des canards, avec beaucoup de surveillance, parce qu’il faut enrichir la forêt sur le plan biodiversité. Nous avons un petit bassin pour les canards, des colverts qui vont venir et les pintades seront ici’’. Avant de souligner : ‘’Les pintades auront un dortoir avec les autres oiseaux. La mise en quarantaine signifie que les oiseaux doivent s’adapter dans la forêt.’’
Les quatorze puits hydrauliques de la FCM
En outre, il signale que les quatorze puits hydrauliques qui existent dans la forêt ont des avantages. ‘’Ces puits absorbaient toutes les eaux de ruissellement pendant l’hivernage. Malheureusement, on a fermé toutes les voies d’eau. Elles n’arrivent plus dans la forêt. C’est la raison pour laquelle il y a des problèmes d’inondation. Mais ils sont en train d’être réhabilités’’, informe-t-il. Selon lui, toutes les eaux de ruissellement venant de Thiaroye, de Guinaw Rail et autres localités environnantes étaient drainées vers la forêt. ‘’Elle ne nous appartient pas. Elle est à l’Etat. C’est la gestion qu’on a confiée à la direction des Eaux et Forêts. On tente de mettre en place d’autres conventions internationales dans cette forêt pour la sécuriser davantage. Parce que la forêt est un bassin versant. Pratiquement, les eaux de ruissellement convergent vers Mbao’’, remarque-t-il. D’après lui, les causes de ce phénomène sont liées à une mauvaise urbanisation.
C’est pour toutes ces raisons que le colonel souligne l’importance de la ‘’Mare de la biodiversité’’. Toutefois, insiste-t-il, le typha est devenu une contrainte sur le site, y compris au niveau du Lac de Guiers. ‘’Il colonise l’espace et empêche de voir toute l’étendue de l’eau, agressent les autres espèces. Il faut dire que le typha n’est pas que négatif. Actuellement, les gens ont commencé à faire la récupération du typha pour faire des boulettes de charbon, des nattes etc. Donc, il est utile quelque part’’, constate colonel Moussa Fall.
PAPE NOUHA SOUANÉ & AWA FAY
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