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Plus d’un mois après le naufrage: L’eau, source d’épouvante à Bettenti
Publié le samedi 10 juin 2017  |  Enquête Plus
Drame:
© Autre presse par DR
Drame: Une vingtaine de femme meurent dans un naufrage à Bettenty




L’onde de choc n’a pas fini de propager ses vibrations destructrices dans la presqu’île de Bettenti. Les naufragées refusant obstinément de retourner à l’eau, l’économie locale en pâtit. Mais à toute chose malheur est bon. Le port du gilet pour la traversée, la pêche ou le ramassage des fruits de mer est désormais de rigueur

C’est un retour en territoire meurtri qui s’est plutôt atténué. Plus d’un mois après le naufrage qui l’a notoirement sortie de l’anonymat, Bettenti s’égaie peu à peu, préférant oublier le drame. Sur le rivage, tout semble indiquer que la presqu’île de beauté a renoué avec la normalité. Jeunes enfants pataugeant dans l’eau, jubilant sur les pirogues ou accueillant les passagers sur le quai ; partie de foot sur le sable fin à l’ombre des cocotiers ; poissonnières attendant le débarquement de pêcheurs..., l’instantané rime avec la vision romantique d’une carte de visite qui caractérise si bien l’île.

Mais en grattant un peu, le traumatisme d’avril est encore profondément dans l’esprit de ces insulaires. La vie tourne au ralenti car les séquelles du 24 avril 2017 demeurent toujours. ‘‘Depuis lors, les femmes ne ramassent plus les huîtres (yoxoss), mais le murex (tufë)’’, explique Mariama Djiba, une résidente. Déplorant l’apnée économique dans laquelle se trouve la contrée depuis que le traumatisme oblige ses consœurs à rester chez elles, elle explique que ces fruits marins sont plus faciles à collecter que les huîtres ou les aches puisqu’il suffit juste de se baisser pour les ramasser, à marée basse. Dans son ensemble Lagos, cette femme de forte corpulence ne se fait toutefois pas d’illusions : ça mettra le temps qu’il faudra, mais les femmes vont renouer avec ce vieil amour marin, estime-t-elle. Le chef de village Tidiane Diouf n’en mène pas large.

‘‘Elles sont encore sous le choc. Elles refusent systématiquement d’aller en mer. Même mes femmes ne veulent plus franchir le seuil de la concession depuis’’, lance-t-il, désignant du doigt les appartements séparés de ses épouses. Dans un ensemble patchwork, il déplore l’inanité de ses réunions de sensibilisation pour faire reprendre aux femmes leurs activités. ‘‘Un Niominka ne peut pas se passer de l’eau. On n’espère rien de la terre ferme. Si elles ne vont pas en mer, où iront-elles. C’est vraiment éprouvant puisque depuis le drame, la situation est plutôt préoccupante. Personne ne va plus travailler’’, poursuit-il. Tamara Sarr une des rescapées du drame affirme qu’il lui est mentalement impossible de se tenir en face de l’étendue marine, à plus forte raison d’y aller. ‘‘Peut-être qu’un jour, je m’y remettrai, mais pour le moment je ne suis pas disposée à y aller. C’est trop dur pour moi. Je revis la scène comme si ça s’était passé hier’’, avance-t-elle, au grand désarroi d’une famille qui peine de plus en plus à joindre les deux bouts.

Le gilet obligatoire

Le délaissement momentané de la mer n’est manifestement pas la seule réaction née du chavirement de la pirogue ayant causé la mort de 21 femmes de l’île. Le port du gilet de sauvetage est devenu obligatoire pour la traversée. Mercredi 23 mai, la marée commençait à peine à monter juste avant 14h que le capitaine de ‘‘Barrow’’, la petite embarcation d’une contenance de 25 personnes, intime à un de ses petits ‘‘matelots’’ de distribuer les gilets, sur le quai de Missirah-Niombato. ‘‘Depuis ce jour, nous veillons nous-mêmes au respect de cette disposition.’’, déclare-t-il avant de s’asseoir à la poupe de la pirogue, tournant une sorte de manivelle qui sert de gouvernail. Les passagers, des femmes pour la plupart, contentes de recevoir ces accessoires orange, s’empressent de les mettre avec beaucoup plus d’enjouement que de sérieux.

En milieu de trajet toutefois, les mauvaises pratiques reprennent assez vite le dessus. Après quelques instants d’une traversée qui durera deux heures, les gilets ont servi de pare-soleil contre des rayons incléments malgré la bise, ou ont tout bonnement été enlevés et déposés entre les traverses de la pirogue. Frappés par l’onde de choc, les piroguiers n’ont pas attendu la matérialisation des promesses présidentielles lors des condoléances d’Etat du vendredi 28 avril 2017. Nous achetons ces gilets en provenance de Gambie par nos propres moyens. Nous dépensons entre 3 000 et 3 500 F Cfa l’unité. Nous avons bon espoir que le Président va honorer ses engagements, nous n’en doutons pas un seul instant’’, avance Tidiane. Les dispositions du chef de village sont claires : plus d’embarquements sans gilets aussi bien pour la traversée, la pêche, que la cueillette des fruits de mer. Après les engagements fermes du chef de l’Etat Macky Sall le vendredi 28 avril, le chef a bon espoir que ces accessoires vont bientôt inonder l’île pour sécuriser les usagers de ce Delta du Saloum.

Désenclavement

Bettenti est certainement la plus connue des îles. ‘‘Bossinkang et Djinack et les hameaux font tous partie de Bettenti. Je ne peux pas m’avancer sur la date de sa création. Au fait, ça s’appelle Djamane et c’est Bettenti qui en constitue la capitale. Les autres îles ont été colonisées parce que l’agriculture n’était possible que là-bas. C’est comme ça qu’elles ont été peuplées’’, explique Tidiane Diouf. C’est par abus qu’on en parle en tant qu’île puisqu’une voie terrestre existe bien jusqu’à Toubacouta, ‘‘mais elle est impraticable, il faut qu’on crée une vraie route’’ assure le chef du village. Tout comme Alphousseyni Sonko qui ne comprend pas que ce problème revienne à chaque fois qu’on parle de Bettenti. ‘Cela a été notre problème dans le passé, c’est notre problème, et ça sera notre problème. On espère que l’Etat ne nous laissera pas à notre sort puisqu’il a déjà entendu parler de cette localité’’, conclut-il

MAMINA COLY DIRECTEUR ECOLE 1 BETTENTI

‘‘Par le passé, les garçons s’arrêtaient au CM²’’

L’école publique française fait concurrence à son ancienne ‘‘ennemie’’ la pêche, son nouveau concurrent l’enseignement privé arabe, et sa tare congénitale concernant l’enseignement féminin, les mariages précoces, d’après Mamina Coly, directeur de l’école 1 de Bettenti : ‘‘Il y a deux écoles. La nôtre de 12 classes et une autre de six classes. Cette année, nous avons 468 élèves. D’habitude, on allait à 500. C’est du à l’ouverture du collège privé arabe qui a un partenaire puissant qui donne beaucoup de moyens pour la construction des infrastructures.

Les populations ont envie que leurs enfants aient une éducation religieuse. Il y a 281 garçons contre 187 filles. Par le passé, les garçons s’arrêtaient au CM² car il n’y avait pas de CEM, mais aussi à cause de la vague d’immigration clandestine. Elle a pris un peu de recul. Mais ces deux dernières années, ca a repris de l’ampleur à cause de la filière libyenne. La scolarisation des filles est très faible par rapport à ceux des garçons. C’est dû à la compréhension que la société a de l’école. Le taux d’achèvement est consternant. Il n’y a qu’une seule femme fonctionnaire originaire de Bettenti depuis la création de l’école en 1960. Ce qui fait que les jeunes filles manquent de référence pour les aider à poursuivre les études. Les filles sont aussi mariées entre-temps. Mais avec le collège, la tendance revient à la normale. Le taux de réussite à l’entrée en sixième oscille entre 20 et 50 %.

LA LEGENDE DE BETTENTI, SELON TIDIANE DIOUF (encadré)

‘‘On vient de l’empire mandingue en tant que rois. C’était il y a très longtemps. Bettenti a été fondé par Kaya Cissé fils de Ndinga Cissé fils de Djaby Cissé dont l’ascendance remonte jusqu’au Yémen. Sa mère l’avait surnommé Sandy et c’est à l’âge adulte qu’il quitta Tilbou dans le Mandingue, passant par la Gambie pour s’installer ici. Quand il est venu, il a déclaré avoir trouvé ce qu’il cherchait. Il avait l’habitude de dire ‘‘fokéralé, fokélémalé’’, que tout le savoir, la terre, sous les cieux de Bettenti, lui appartenaient. C’est sa lignée qui s’est poursuivie jusqu’à moi et qui a le droit de prétendre à la chefferie du village.

Ceux qui ont contesté mon intronisation sont des roturiers attirés par les futilités de la vie. En règle générale, c’est l’aîné de toute la famille qui doit être le chef. Pour mon cas, les trois premiers ont dû se désister pour des raisons médicales ou d’éloignement. Une autre partie en dissidence, qui ne fait pas partie de la succession, a préféré mettre en avant un jeune pour qu’il me conteste. Ils font de la politique alors que le chef de village est une question qu’on refuse de politiser’’.
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