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Le calvaire invisible des femmes de ménage
Publié le samedi 27 mai 2017  |  Seneweb




Cet essai remarquable est l'épilogue d'une vie professionnelle consacrée aux travailleuses «invisibles», celles que l'on remarque à peine tant leur tâche peut sembler insignifiante.
Karen Messing, ergonome et spécialiste mondialement reconnue de la santé des femmes au travail, vient en effet de prendre sa retraite. Pendant quarante ans à œuvrer pour «une science du travail à l'écoute des gens», elle aura observé des caissières, des serveuses, des vendeuses, des balayeuses. Le monde du nettoyage, en particulier, l'a beaucoup préoccupée. Ce qu'accomplissent les personnes qui rangent, trient, nettoient, frottent, récurent, astiquent, encaustiquent ou désinfectent est colossal mais ne se remarque que lorsque c'est mal fait. On ne s'étonnera pas, dès lors, que les souffrances de ce «petit» personnel soient elles aussi «invisibles».
De quoi souffre-t-on quand on souffre au travail ?
Karen Messing a découvert «l'invisible qui fait mal» dans les années 1980 lors d'ateliers où siégeaient des syndiquées.
Comme bien des gens, j'avais l'idée que les femmes faisaient du travail léger, écrit-elle. Mais j'ai plutôt entendu parler d'ouvrières enceintes sur leur machine à coudre qui se démenaient pour atteindre leur quota de production ou d'autres en blanchisserie qui s'évanouissaient sous l'effet de la chaleur.
Dans la littérature scientifique d'alors, il n'y a rien ou presque sur ces risques. Karen Messing observe aussi l'indifférence réitérée des chercheurs à l'égard des travailleuses de basse condition. Sur ce mépris social elle pose un concept: le «fossé empathique».
Sa vocation éclot à Paris où elle séjourne en 1990 et 1991 en tant qu'«ergonome novice». La France a trois coudées d'avance et de jeunes chercheurs qui montent comme Christophe Dejours, qui fera bientôt de la psychologie du travail un sport de combat, ou Catherine Teiger, figure de la pensée ergonomique.
La "danse" douloureuse
Gare de l'Est, des femmes d'Afrique du Nord font le ménage dans les trains. Leurs grands seaux bleus sont trop lourds, chargés de choses inutiles imposées par le règlement. Karen Messing suit l'une d'entre elles, Nina Khaled, qui nettoie 200 toilettes chaque jour et court d'un quai à l'autre parcourant ainsi quotidiennement 24 kilomètres en moyenne. Pour gagner du temps, elle lave le sol en faisant glisser un chiffon savonneux sous ses pieds tandis qu'elle frotte le lavabo et le miroir, exécutant ainsi ce qu'elle appelle sa «danse».
La première guerre du Golfe jette dans les trains les militaires en permission. Les cuvettes portent la trace de leurs beuveries mais le matériel ne convient pas pour nettoyer la matière coagulée. Nina use d'un racloir qu'elle dissimule aux agents de la RATP car il pourrait endommager la porcelaine. Par ses travaux, Karen Messing a démontré que les concepteurs de train ne pensent pas à la façon dont il faudra les nettoyer. Elle a aussi rédigé des rapports sur le mal de dos de celles qui s'accroupissent pour nettoyer sous les sièges des wagons.
“Tu crois qu’on s’intéresse à not’gueule?” : ce que vivent les pompiers
De retour au Québec, la voici en milieu hospitalier à observer les familles qui offrent des cadeaux aux infirmières en oubliant que la femme de ménage, avec son chariot plein de produits toxiques, a passé bien plus de temps dans la chambre.
Les employées du nettoyage avaient douloureusement conscience de leur statut au plus bas de l'échelle professionnelle, écrit-elle.
Vider les poubelles des chambres, retirer le sac en plastique plein et le remplacer par un vide, n'est pas si anodin. Il n'y a qu'un modèle de sac qu'il faut ajuster par un nœud aux différentes poubelles. Avec plus de cent nœuds par jour, certaines femmes ont de graves problèmes de mains et de poignets. Mais en 2007, encore, aucun personnel de nettoyage n'était associé à la réflexion quand il s'agissait de choisir le revêtement d'un sol ou d'un mur.
Pour faire connaître les tribulations du personnel de ménage, cette chercheuse pourtant réputée, auteur d'un essai traduit en six langues intitulé «Comprendre le travail des femmes pour le transformer», a eu autant de difficultés au Québec qu'elle n'en avait eu à Paris. Le fossé empathique, là encore.
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