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Docteur Mouhamadou Mansour Fall, anesthésistes-réanimateur, brûlologue: ‘’Il y a un projet… pour qu’on puisse parler le même langage’’
Publié le vendredi 12 mai 2017  |  Enquête Plus




La brûlure grave est une pathologie traumatique mortelle. Sa prise en charge hospitalière adéquate est problématique au Sénégal, parce que nécessitant des soins médico-chirurgicaux spécifiques. Dans cet entretien, le docteur Mouhamadou Mansour Fall, brûlologue anesthésiste-réanimateur à l’hôpital Principal de Dakar fait le diagnostic et la prescription.

Comment se fait la prise en charge des brûlés graves ?

La prise en charge des brûlés à l’hôpital Principal a connu plusieurs phases. Il y a de cela un peu plus de dix ans, les brûlés étaient pris en charge dans un service de réanimation polyvalente, presque sans particularité. Ils étaient tout simplement sectorisés et étaient mêlés aux patients de réanimation, ce qui était source de beaucoup de complications infectieuses. Ils étaient en contact avec des patients infectés, ce qui ne favorisait pas leur prise en charge. Dans la dynamique de la direction et avec l’engagement du personnel à prendre en charge cette catégorie particulière de patients, l’hôpital a pris la décision, lors de la réhabilitation du service de réanimation, de créer une unité de traitement des brûlés. Depuis 2009, on a cette unité de trois lits avec des annexes fluidisés, un flux laminaire qui permet de fluidiser l’air et la température dans l’unité. La réalisation de cette unité nous a permis d’autonomiser la prise en charge des brûlés. Cela veut dire que les brûlés, dès leur admission en milieu de réanimation, ne sortent plus que pour aller au bloc pour des actes de chirurgie ; alors qu’avant, ils sortaient un jour sur deux pour faire des pansements, sous anesthésie certes, mais ils étaient mêlés à d’autres patients septiques.

Maintenant, comme les pansements se font dans l’unité sous anesthésie, on a moins d’infections. La qualité de l’offre est devenue meilleure, mais le handicap est qu’on a diminué notre capacité d’accueil. Parce qu’on a une unité de trois lits. L’incidence a été vue. Le taux de mortalité aux années 2006 était autour de 60%, presque deux brûlés sur trois décédaient. Maintenant, on est à 33%. Ce qui est très important parce que nous ne sommes pas un centre spécialisé. On est une réanimation polyvalente avec une unité. Malgré les efforts de lutte contre les agents infectieux, particulièrement l’infection nosocomiale, on se rend compte que ce taux de mortalité est très acceptable.

Quelles sont les complications auxquelles sont exposés les brûlés ?

Par rapport aux risques, c’est des écorchés, ils n’ont plus de barrières protectrices. La principale barrière protectrice étant la peau, ils deviennent des sujets carrément exposés à l’infection. Au même titre que les autres patients de réanimation ou hospitalisés, chez eux, l’immunodépression, entraînée par le syndrome inflammatoire, facilite la survenue d’infections chez ces patients. L’immunodépression est la baisse ou une quasi-perte des mécanismes de défense de l’organisme. L’accès des germes est devenu facile, la capacité de réaction de l’organisme est anéantie. Ce qui les expose à des infections très sévères qui nous posent beaucoup de soucis dans le cadre de la prise en charge.

Durant les premiers jours de prise en charge, tu as un problème hémodynamique, parce que souvent, nos brûlés ont un profil très compliqué, car ne venant pas tôt dans les hôpitaux. Ils font parfois deux ou trois hôpitaux et arrivent 12 ou 24 heures après leur accident, avec des lésions relativement vieillies, une déshydratation et d’autres complications. Ils sont brûlés certes, mais compliqués par l’inexistence de médecine pré-hospitalière ou l’absence de médicalisation avant leur admission en réanimation. Ce qui fait qu’en plus de leur lésion, les brûlures deviennent compliquées, parce que n’ayant pas bénéficié d’une prise en charge adéquate. Le deuxième risque par rapport à l’infection est la cohabitation. Malgré nos efforts de sectorisation et d’autonomisation, la proximité des patients de réanimation fait que nous sommes dans un environnement où l’écologie bactérienne du service facilite la survenue d’infections sévères chez ces patients.

Donc, on peut en déduire que ces infections sont les principales causes de mortalité des brûlés ?

Affirmatif. En dehors des complications de réanimation à la phase initiale, la principale cause de décès chez nos patients brûlés, c’est l’infection. La mortalité précoce est liée aux anomalies de réanimation surtout hémodynamique et respiratoire. Mais dès qu’ils sortent de la première semaine, pour ne pas dire des dix premiers jours, la principale cause de mortalité est l’infection.

L’hôpital Principal est le seul au Sénégal qui a une unité de prise en charge des brûlés, celui de Fann n’étant pas opérationnel. Comment parvenez-vous à traiter vos patients ?

La prise en charge chez nous est articulée en une stratégie qui a consisté d’abord à l’investissement sur l’environnement, à savoir la création de l’unité. Même si on a réduit la capacité de 5 à trois lits, il y a l’autonomisation avec une baignoire fluidisée des annexes pneumatiques et tout. Mais l’aspect le plus important, c’est l’investissement sur les ressources humaines. On a envoyé un médecin qualifié, spécialisé déjà en formation de brûlologie en France et des infirmiers en formation. Au retour de ces gens, on a fait une restitution, c’est-à-dire une formation interne.

On a formé pratiquement plus de 15 infirmiers et aides-infirmiers aux pansements de telle sorte que tout le personnel de réanimation chirurgicale est apte à faire des pansements de brûlures. Sachant qu’on a des médecins réanimateurs dans le service. Un réanimateur basique de vogue a la formation adéquate pour s’occuper de brûlés graves. De par la vocation de notre hôpital qui est appelé à travailler dans le sens de la médecine de guerre tributaire de pathologie de brûlés, on a une vocation, une expérience. C’est pour cela qu’on a investi sur la formation et le cadre. Ce qui nous a permis d’avoir une activité. On est très à l’aise par rapport à certains niveaux de gravité. Mais pour être plus apte à faire mieux et à prendre une grande capacité, il nous faut évoluer vers ce projet de centre de traitement de brûlés.

Vous parlez d’un projet de centre de traitement de brûlés. Quand sera-t-il réalisé ?

C’est un projet en cours. On a un site à l’hôpital et il sera bientôt réalisé. Je n’ai pas parlé des brûlés pédiatriques. Les enfants constituent un lourd tribut des brûlés que nous prenons en charge. Dans l’année, nous prenons plus en charge des enfants brûlés que des adultes. Dans cette unité, on ne prend que des adultes, la pédiatrie qui est de l’autre côté prend en charge les enfants brûlés et difficilement. Parce que tout simplement les enfants font toujours la navette, plus facilement transportables entre la pédiatrie et le bloc opératoire pour les pansements.

Le projet, c’est pour avoir un meilleur cadre de soins en termes techniques, d’associés, de nombre. C’est un projet de 13 lits, avec 8 lits de réanimation : 6 lits adultes et 2 lits enfants, 4 lits de périphérie et une cabine d’isolation pour des patients brûlés particuliers. Ça sera avec un bloc opératoire intégré à deux salles qui va nous permettre d’être au top en termes techniques avec toute la chirurgie plastique de reconstitution. Actuellement, on utilise l’autogreffe, on prend la peau du patient pour la greffer sur les zones à recouvrir. Mais quand on va évoluer, les aspects techniques, l’offre en termes de plateau technique vont changer, les moyens vont changer, parce qu’on va accéder à la xénogreffe, à la greffe artificielle. Ceci est très important parce que ça nous permet de sauver les patients à la phase aiguë de réanimation les dix premiers jours.

Cela va révolutionner la prise en charge des brûlés dans notre pays. Cela peut amener le taux de mortalité à moins de 5%. Actuellement, la moitié du service a été mis à disponibilité pour prendre en charge cet afflux massif. On sera outillé non seulement pour prendre en charge les brûlés pédiatriques et adultes, mais pour gérer les afflux massifs en cas de catastrophe, surtout que le Sénégal évolue vers l’industrie pétrolière. On est obligé de nous mettre à jour pour pouvoir faire face à toute complication, tout en sachant que la meilleure prévention est la prévention primaire. Il faut tout faire pour qu’il n’y ait pas de brûlure.

Est-ce que vous prenez tous les brûlés qui vous arrivent à l’hôpital ?

Malheureusement, à l’état actuel des choses, on en prend autant qu’on en refuse. Ce qui est dramatique et déplorable, malheureusement, tous ceux qu’on refuse décèdent. La dernière série qu’on a faite entre 2009 et 2015 nous a permis de voir qu’on a pris autant. On a pris 110 et récusé 95, ces derniers étaient des patients de réanimation, amenés dans d’autres structures, on sait que le pronostic n’était pas bon. Parce que les soins optimisés dont ils pouvaient bénéficier ici étaient importants par rapport à leur pronostic. Ceux qu’on récuse ont un pronostic très réservé.

Vous recevez combien de brûlés, par année ?

Avec cette limite de capacité, pour les brûlés adultes nous sommes aux alentours de 40 par an avec une durée moyenne d’hospitalisation de 15 jours. Il y en a qui font moins, mais la durée moyenne d’hospitalisation de nos patients, c’est 15 jours. Malheureusement, souvent leurs séjours sont prolongés par la nécessité de faire des pansements sous anesthésie. Dès que le patient est bien et qu’on parvient à faire un pansement sans anesthésie, on passe la main à nos amis chirurgiens plasticiens pour la prise en charge ultérieure.

Disposez-vous d’assez de moyens pour prendre en charge de façon adéquate les patients ?

On a les moyens qui collent à notre environnement, à notre offre technique. J’ai parlé tout à heure de l’allogreffe. Pour le moment, c’est un circuit d’approvisionnement assez particulier. Tant qu’on ne sera pas au stade de centre, c’est illusoire d’utiliser ces moyens différenciés. Par contre, on a les tropiques qu’il nous faut à la phase initiale, c’est la surface diastyle argentique entre autres et dès que nos patients rentrent en phase de début de bourgeonnement, quand les essarts tombent, on utilise deux topiques très disponibles, essentiellement à base de dioxine ou de miel. La révolution dans la prise en charge des plaies en général dans ce monde réside dans l’efficacité des produits à base de miel qui marchent bien. Par contre, ce qui coûte cher, c’est les topiques qu’on utilise durant la première semaine ou les dix premiers jours. L’hôpital fait l’effort d’en acheter, mais très souvent, c’est sujet à des prescriptions. Quand on va évoluer, l’offre technique sera mieux pour tout le monde. Parce qu’en plus de ces topiques, on a toute une panoplie de matériel de pansements qui ont révolutionné la prise en charge des brûlés dans ce monde qui font que, dès la prise en charge initiale, vous faites un premier pansement avec du matériel assez spécial et vous ne touchez le malade que 8 à 10 jours après. La métamorphose des lésions fait qu’il n’y a pas de pansement, ni de risque anesthésique, moins de risque infectieux, moins de douleurs. On veut évoluer vers cette qualité de prise en charge des brûlés. En termes de coût, l’investissement en vaut la peine.

Est-ce que vous avez la capacité de faire un diagnostic précis au tout début pour savoir exactement ce dont le patient a réellement besoin ?

Parfaitement ! Depuis qu’on a créé cet hôpital, il y a ce qu’on appelle le circuit patient brûlé. Par exemple, lorsqu’un brûlé est annoncé dans un hôpital régional, ou en milieu de travail, nous dialoguons avec le médecin sur place (via le téléphone avant). Mais le diagnostic précis en général est dynamique. Le pourcentage qu’on vous annonce au service d’accueil et celui du bloc opératoire présentent des différenciations.

Cela ne nous pose pas de problème en général. Par contre, ce qui est important, c’est le remplissage vasculaire, la réhydratation qui sont importantes et dépendent de la surface. Mais en général, l’enjeu majeur, pour les cas graves, c’est de venir vite dans une unité spécialisée. Nous, à notre niveau, nous nous sommes évertués à créer un circuit brûlé pour que les brûlés soient accueillis par les services d’urgence, s’occupent du premier pansement au bloc opératoire avant de venir chez nous pour être pris en charge avec nos chirurgiens traumatologues qui leur donnent des avis jusqu’à leur sortie. Mais le monde a changé. Lors du dernier congrès des médecins en France, on nous a présenté de nouvelles applications qui permettent de dessiner les lésions. Ces dessins, les médecins peuvent se les partager sur WhatsApp. Avec ces applications, nous avons moins de risques de nous tromper. C’est tout le sens et l’intérêt aujourd’hui de se connaître et de travailler en réseau. Ça facilite les choses.

Quel est le coût global du traitement d’un brulé grave ?

En Europe actuellement, la prise en charge d’un brûlé en centre est aux alentours de 1 500 euros minimum par jour et cela peut aller jusqu’à 3 000 euros par jour. Il nous arrive d’évacuer cinq patients vers la France, le Maroc ou la Tunisie par an. Dans le Maghreb, c’est trois fois moins cher. Chez nous, on n’a jamais fait payer à la juste valeur le coût d’hospitalisation ou de prise en charge du brûlé grave. Notre coût journalier de prise en charge est à moins de 50 000 francs Cfa. Ce qui est très loin des coûts réels de prise en charge des patients. Le coût réel minimum de prise en charge d’un patient acceptable ici, par rapport aux moyens, aux produits que l’on utilise, à la logistique et ressources humaines qu’on utilise, ne devrait pas être inférieur à 350 000 francs par jour. Quand on va vers la qualité, il faut accepter de satisfaire les coûts.

Aujourd’hui, il y a les brûlés de Médina Gounass qui sont là. Pouvez-vous nous parler de l’accueil et de la première prise en charge qui ont été réservés à ces personnes ?

La situation de Médina Gounass est particulière. C’est une catastrophe. Nous avons été impliqués au même titre que les autres hôpitaux du pays. Avec une excellente coordination avec les autorités du ministère de la Santé, notamment les directeurs de la santé et du Samu national, la régularité médicale a été assurée. Nous avons reçu tous les patients qui nous ont été proposés et leur prise en charge sur-le-champ a été effective. Ces autorités précitées sont aussi informées au quotidien de l’état de ces patients. Et c’est le lieu de reconnaître l’élan de solidarité de l’ensemble des hôpitaux de Dakar et de l’intérieur du pays (Tamba en particulier). Je suis sûr que ça n’a pas été facile pour eux, mais ils ont fait preuve de générosité et de solidarité. Car, au regard des profils des patients qu’on nous a envoyés, on a su que ça n’a pas été facile pour les médecins. Les brûlures étaient trop sévères avec des brûlures respiratoires qui ne facilitaient pas la prise en charge de ces patients qui suit son cours.

Justement s’agissant de la prise en charge, vous ne disposez que de 3 lits. Comment vous débrouillez-vous ?

Par rapport à cette situation de catastrophe et d’afflux, nous avons augmenté la capacité d’accueil en transformant, pas moins de 4 lits de réanimation, pour en faire des lits de brûlures. Plus de la moitié de notre service est donc constituée actuellement de brûlures. Car, nous en avions déjà des brûlures, avant l’arrivée de ces dernières. On a été obligé d’augmenter le personnel avec l’appui de la tutelle, du médecin chef de l’hôpital. C’est très difficile, mais nous avons fait un grand effort.

Quels sont les moyens préventifs dont on doit disposer pour la gestion d’éventuels cas de cette nature ?

Au-delà de la catastrophe de Médina Gounass, il est important, pour des pays comme le nôtre qui ne disposent pas de beaucoup de moyens, de développer une attitude préventive. Cela, que ce soit en public, en lieu de travail ou lors des événements religieux. Il faut continuer la sensibilisation. C’est la prévention primaire. Par une simple sensibilisation, beaucoup d’accidents auraient pu être évités chez nous. La prévention secondaire, c’est dès qu’il y a l’accident qu’il faut hiérarchiser les moyens, puisque nous n’en avons pas beaucoup. Pour cela, la formation des ressources humaines dans les régions devrait être fondamentale. Sur ce point, il y a un important projet de formation qui sera piloté par l’hôpital Principal avec des partenaires étrangers (américains et français) qui va mettre en place un réseau de médecins référents dans les régions pour qu’on puisse parler le même langage.

Parlant du Sénégal, est-ce que les ressources humaines dans ce domaine sont suffisantes ?

Des ressources humaines spécialisées, je dirais non. Mais normalement, dans tout hôpital où on a des chirurgiens et des chirurgiens réanimateurs surtout, le reste, c’est une question d’organisation. Mais dans le cadre de la prise en charge spécifique de ce type de traumatisme, je pense qu’on est suffisamment outillé au Sénégal pour améliorer la qualité de nos ressources humaines à travers des formations internes, parce qu’on ne peut pas amener tout le monde en stage.
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