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Talibés-émigrés: quand des soi-disant marabouts organisent le trafic
Publié le vendredi 21 avril 2017  |  Walf Fadjri L’Aurore
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© Autre presse par DR
Des enfants talibés (les disciples) mendiant dans les rues, au Sénégal




Le 20 avril ayant été décrété Journée nationale du talibé, WALFnet vous propose ce reportage paru au journal Walf Quotidien il y a plus d’un an.
Une façon de montrer que malgré les discours de bonnes intentions des autorités, la condition des enfants dans la rue ne s’est guère améliorée. Hier comme aujourd’hui, ils demeurent des proies.
La capitale sénégalaise est la plaque-tournante d’un trafic qui rappelle à bien des égards la traite négrière. Ce ne sont, certes, plus de vaillants hommes qui sont déportés d’une contrée à une autre ; mais chaque année, ce sont des centaines d’enfants âgés entre 5 et 7 ans qui traversent les poreuses frontières sénégalaises en direction de Dakar. Une fois arrivés, ils sont éparpillés dans les quartiers, à la recherche d’une pitance dont la plus succulente partie participe à gonfler de poulets les ventres des fameux « maitres coraniques ».
Ils sont des centaines et sont âgés entre 5 et 13 ans. Ils viennent tous de la Guinée Bissau. Leur « travail », récolter le maximum d’argent, des pièces qui ne font que passer leurs paumes endurcis. Ils, ce sont les gamins que l’on retrouve un peu partout dans les artères de Dakar et qui répondent au nom de mendiant, talibé en Wolof. Leur particularité, ils ne comprennent pas la langue nationale du pays qui les accueille. Tout ce qu’ils peuvent dire en Wolof c’est « Sarakh guir Yalla » (de l’aumône au nom de Dieu) ! Les rares qui parviennent à aligner deux phrases correctes dans la langue de Koch, l’ont assimilée en arpentant les rues de Dakar au fil des âges. Comme les autres enfants sénégalais qui les ont précédés dans le « métier », ils sont habillés de haillons et parcourent journellement des kilomètres sans chaussure avec comme unique bagage, un pot tomate vide qui sert de récipient.
Aboulaye, Seydou Diamanka et Mady sont Bissau guinéens, Walf les a rencontrés respectivement à la Médina, à Sacré-cœur et à Niarry Tally. La mission du second cité n’a rien à voir avec ce qui motivent les deux autres. Seydou, 12 ans révolus, explique, tel un muet qui s’exprime par la gestuelle, qu’il est depuis le matin à la recherche d’un condisciple. « J’habite à Guédiaway, je cherche Thierno depuis la prière de l’aube » parvient-il à renseigner. Le jeune garçon qu’il dit rechercher serait âgé de 6 ans. Il a déserté la couchette, pour aller vaquer à des occupations qui ne rapportent rien au « Maitre ». C’est en créole que Seydou finira par révéler les tenants et les aboutissants de son nouvel objectif, mettre la main sur Thierno le déserteur. Celui-ci, après qu’on l’a molesté à deux reprises parce qu’il rentrait tard et sans les 500 F Cfa exigés, s’est évaporé dans la nature. « Nous avons cherché des parcelles assainies, au centre ville en passant par la Médina » révèle Seydou qui a du mal, par contre, à expliquer comment il avait atterri à Sacré-coeur. Néanmoins, Il révèle qu’ils sont nombreux comme enfants Bissau guinéens à être regroupés au quartier Baye Laye de Guédiaway. A la question de savoir pourquoi une annonce n’a pas été faite dans les média pour faciliter la recherche, il indique que c’est son marabout qui ne veut pas que la fugue s’ébruite.
Mady lui est un véritable roc. Il ne pipe pas un mot en Wolof. En dehors de la phrase qu’on lui a apprise par cœur, « Sarakh guir Yalla », il ne comprend nenni. Tu habites où ? Tu as quel âge ? Rien ! Tout ce qui l’intéresse, c’est la couleur et la forme de la pièce qu’on s’apprête à lui donner. Sans chaussure, la tête blanchie de crasse, le t-shirt, allant au de-là des genoux, refuse de communiquer sur sa couleur originelle. Le môme semble être programmé pour susciter la pitié. La pièce tombée dans son escarcelle, il traverse la rue en courant, évitant à peine de se faire renverser par une voiture. Visiblement gêné par les nombreuses et incompréhensibles questions qu’on lui posait, il disparait.
Bafata, ville de départ
Le dimanche 03 mars 2013, une des centenaires baraques de la Médina avait pris feu à la rue 19X6. Résultat : neuf morts dont sept talibés, trois Bissau guinéens et quatre sénégalais. Le Président de la république, Macky Sall, s’était dépêché sur les lieux de la catastrophe pour présenter ses condoléances au nom de la nation toute entière. Il va en profiter pour tenir un discours guerrier qui n’avait pas manqué de froisser certains maitres coraniques qui s’étaient sentis visés par les allusions présidentielles. Pour Macky Sall, c’était à la mendicité qu’il fallait s’attaquer. Et sous ses ordres, les forces de l’ordre vont atténuer l’étreinte qu’elles exerçaient sur les malfrats pour s’occuper des mendiants qu’il fallait éloigner des routes que le Chef de l’Etat était sensé emprunter. Comme le leader de l’Apr, tous les sénégalais s’étaient attendris de la disparition tragique de ces neuf enfants brûlés vifs. Tout le monde s’était insurgé contre la maltraitance qui avait mené ces gamins à cette rue. Mais, personne ne s’était demandé ce que ces Bissau guinéens étaient venus faire à Dakar. Le coran étant très bien enseigné dans leur pays. Comment de leur pays d’origine, ils ont abouti à ce taudis qui n’a même pas pu résister à une étincelle ?
Un an près cette calamité, comme a recommencée la surcharge interdite aux lendemains du naufrage du bateau le Jola, la mendicité va reprendre de plus belle. Et alors que les mendiants semblent de nouveau avoir le droit de déambuler jusque devant les grilles du palais, le trafic d’enfants s’intensifie.
Ils sont, en effet, une quinzaine de marabouts répartis dans différents quartiers de Dakar à accueillir ces enfants. Régulièrement, des facilitateurs, gracieusement récompensés selon le nombre d’enfant envoyé, leur convoient des gamins. Ceux qui empruntent assez souvent les routes menant au Sud du pays n’on pas manqué de les croiser. Dans des bus qui franchissent curieusement barrages de policiers et autres militaires, sans grande difficulté, ces enfants sont acheminés à Dakar. Une fois à destination, ils sont répartis entre ces marabouts qui deviennent ainsi leurs nouveaux tuteurs. D’après nos sources, nombreux de ces enfants viennent de Bafata, une région située au Centre de la république de Guinée Bissau. Dans cette région très atteinte par une pauvreté endémique, nos renseignements précisent qu’il ne faut pas trop spéculer pour convaincre les parents à lâcher les enfants dont ils peinent à prendre en charge. Il n’est pas encore établi que les parents sont rémunérés.
Abdoulaye explique être au Sénégal depuis 3 mois, comme beaucoup de ses copains talibés, c’est depuis Bafata qu’il a pris départ. Il explique avoir perdu son père et que c’est à la suite de cela que sa mère a pris la décision l’envoyer à Dakar. Pas seulement pour qu’il étudie le Coran mais aussi pour qu’il revienne avec des millions. A la question de savoir si sa mère savait qu’il passait ses journées à mendier, il répond par la négative. « Ma mère pense que j’étudie pour devenir un futur responsable, mais je mendie plus que je n’étudie » renseigne-t-il dans un Wolof approximatif.
Du coté des soit-marabouts, ceux qui acceptent de répondre à nos questions ne vont pas trop loin. Qu’il s’agisse de maltraitance faite aux enfants ou de trafic, ils disent ne pas être au courant. Pourtant, aucun d’entre eux ne partage le même logis que ses disciples. Les enfants étant confinés, jusqu’à 13, dans des chambres louées à vil prix comme celle qui a pris feu à la Médina. Mamadou Lamine Kamby a bien voulu ouvrir son domicile sis à la Rue 6 de la Médina. Il va confirmer l’existence des transferts répétitifs d’enfants depuis la sous-région, tout en prenant le soin de les condamner. Pour lui « c’est une pratique à bannir car désapprouvée par Dieu ». Pourquoi ne le dénonce t-il pas alors ? C’est pour des raisons de sécurité explique-t-il. Il n’en ira pas plus, pressé d’aller à la mosquée.
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