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Khady Fall Tall, vice-président de l’Ecosocc de l’UA: ‘’Je n’ai rien contre cette société civile politique, mais…’’
Publié le lundi 10 avril 2017  |  Enquête Plus




La présidente de l’Association des femmes de l’Afrique de l’Ouest (AFAO), Ndèye Khady Fall Tall, a été nouvellement élue vice-présidente du Conseil économique, social et culturel de l’Union africaine (ECOSOCC). Dans cet entretien accordé à EnQuête, Mme Fall Tall revient sur son élection. La présidente de l’AFAO jette aussi un regard critique sur la société civile sénégalaise qu’elle divise en trois catégories, sur la jeunesse très pressée. Le combat des femmes pour l’accès à la terre, la parité, le financement des ONG sont autant de questions qu’elle aborde.

Vous êtes nouvellement élue vice-présidente du Conseil économique, social et culturel de l’Union africaine (UA). Pouvez-vous revenir sur cette élection ?

Comme vous le savez, l’ECOSOCC est l’abrégé en anglais du Conseil économique, social et culturel de l’Union africaine. C’est un organe composé de l’ensemble des organisations de la société civile éligibles. Il faut préciser qu’on y entre par sélection de dossiers. Toute ONG africaine qui a au moins cinq ans d’existence, ainsi qu’une provenance africaine de ses ressources à au moins 50%, est éligible. Ces critères sont une clause de sécurité qui permet d’éviter que l’ONG soit caporalisée par l’extérieur au nom de la pauvreté.

Mais est-ce que l’Afrique a les moyens de financer ses propres ONG ?

En tout cas, c’est une clause de sauvegarde de l’Union africaine pour éviter que les ONG aillent demander de l’argent en dehors de l’Afrique et viennent servir une autre cause. Vous avez suivi les histoires d’homosexualité, de terrorisme et leurs financements. Il y a d’autres extrêmes qu’on pourrait évoquer mais l’idée est que l’Afrique ne soit pas un terrain fertile pour tous ceux qui blanchissent de l’argent. Parce qu’on soupçonne certaines ONG de faire du blanchiment. C’est la raison pour laquelle, dans les budgets que nous avons fournis, nous avons montré que nous ne sommes pas allés au-delà de 50% des ressources venant des Etats. C’est un peu difficile à comprendre, car nous n’avons pas de ressources internes. Néanmoins, c’est une clause de sauvegarde à préserver, parce qu’il y a des défis auxquels tous les Etats du monde sont exposés. L’Afrique ne fait pas exception. Donc, elle doit se prémunir et montrer à la face du monde, au moins que tout n’est pas possible.

Concrètement, quelles sont les fonctions assignées à l’ECOSOCC ?

Sa mission sera de plusieurs ordres. La première et la plus en vue par tout le monde, c’est l’implémentation et la vulgarisation des contenus de l’agenda 2050. En dehors de cette mission, il y en a dix. Tous les domaines sectoriels prioritaires au nombre de 10 commissions, notamment, la commission de l’agriculture, sociale, la commission paix et la sécurité. L’Afrique de l’Ouest s’est retrouvée avec 2 commissions dont l’une est au Nigeria, l’autre au Togo. Evidemment, il y a également la question du genre qui s’est invitée aux débats. Malheureusement, cette année, la place qui devait revenir aux femmes est prise par un homme. On n’a pas manqué de le déplorer mais ce sont les risques du vote.

Comment jugez-vous l’action de la société civile sénégalaise dans un contexte où beaucoup d’acteurs sont accusés de s’être mués en politiques ?

Je pense qu’il y a un certain classement, une certaine analyse de la typologie de la société civile à faire. Si cette analyse n’est pas faite, on tombe facilement dans la confusion et l’amalgame. J’ai l’habitude de dire qu’il y a trois types de société civile. Parmi ces trois, il y en a qui n’ont jamais changé, qui n’ont jamais quitté la société civile pour aller vers la politique. D’abord parce que cela ne les intéresse pas, mais il faut aussi être intéressé par la politique ou être dans une position où sans la politique, on ne peut rien faire pour aller se jeter dans la politique. Ceci n’est pas le cas de plusieurs acteurs qui sont dans la société civile de développement. Ils s’occupent de pêche, d’agriculture, ils construisent des puits. Si elle ne fait pas plus que l’Etat, elle fait autant pour aider les populations à la base. En tant qu’acteur de cette société civile de développement, je suis partout où les chefs d’Etat sont. Pourquoi donc ferais-je de la politique, alors que je peux me retrouver là où les politiques se trouvent pour prendre des décisions pour l’Afrique ?

Et les autres types… ?

Nous avons une société civile des droits de l’Homme qui se bat pour que l’humanité puisse être libérée des contraintes et des injustices. Pour finir, il y a cette société civile politique qui fait le tour des médias pour parler de ce que Macky Sall a fait de bien ou de mal et ce qu’ils auraient souhaité qu’il fasse. Est-ce que vous avez vu les gens de la société civile de développement le faire ? Vous ne me verrez jamais le faire, car je n’en sais rien, mais eux, ils ont la capacité. Donc, toute société civile n’en est pas une et nous devons faire l’effort de préciser qu’il y a plusieurs types d’acteurs. Je n’ai rien contre cette société civile politique, mais je veux qu’on fasse la différence, car c’est souvent pour certains une salle d’attente pour entrer dans la politique. Je n’ai pas de jugement de valeur à faire, mais on peut reprocher à certains de prendre la société civile comme alibi pour faire de la politique. L’organisation qui me donne le plus de fierté, c’est l’AFAO (Association des femmes d’Afrique de l’Ouest). Elle n’est pas politique et pourtant elle a eu à déplacer plusieurs chefs d’Etat, à maintes reprises. Cela n’a jamais voulu dire que nous avons quitté notre place et pour y arriver, il faut des critères de représentation. Si ton organisation n’est pas portée par une région, tu ne peux pas gagner un poste même si tu abats un excellent travail dans ton pays.

Vous suggérez donc une plus grande ouverture des organisations sénégalaises ?

Ce que je veux dire, c’est qu’il faut que nous ayons une meilleure compréhension de l’intégration africaine, car de plus en plus, aucun Etat isolé ne peut aller seul. D’ailleurs, c’était ce qui explique notre problème avec la candidature du Sénégal à la présidence de la commission de l’Union africaine. Il faut être porté par une région. Cela ne veut pas dire être porté par un ou deux pays. Il faut que la région se réunisse et vous désigne comme candidat. Si on n’est pas porté correctement par la région, ce n’est pas facile.

Une certaine opinion pense que la relève n’est pas assurée concernant le combat des femmes pour l’égalité ?

Je suis parfaitement d’accord, mais la relève suppose beaucoup de choses et ce n’est pas parce qu’on n’a pas essayé. Déjà en 2009, je m’étais employée à créer à l’Université de Dakar une organisation appelée AJAO (Association des jeunes d’Afrique de l’Ouest). Elle réunissait des jeunes filles de chaque pays d’Afrique de l’Ouest. Je les mettais en rapport avec des structures afin qu’elles obtiennent des financements, car elles travaillaient beaucoup dans la santé. Mais c’était une erreur de compter sur des étudiantes qui sont rentrées en fin de formation. Cependant, le véritable problème, c’est le volontariat par lequel nous sommes passées, pour travailler en tant que militante pendant 10 ans, 15 ans. Pour ma part, c’est mon poste que j’ai laissé au niveau des Affaires étrangères pour venir travailler dans les ONG. C’était un poste diplomatique. Ainsi donc, cette abnégation et ce désintéressement, cette génération ne l’a pas. Et je suis très malheureuse en le disant, car on a tendance à dire que nous n’avons pas assuré la relève. Moi, j’ai recruté combien de jeunes ici ? Mais le jour où elles trouvent un 50 000 F de plus, elles s’en vont pour le regretter après. Quand elles partent pour de l’argent, elles perdent la visibilité, le travail de terrain.

Pendant des années, j’ai payé des salaires à l’AFAO sans financement. Nous avons commencé par nos propres moyens en achetant le terrain construit petit à petit, mais l’actuelle jeunesse est trop pressée. C’est comme ça que nous avons gagné en légitimité. On ne gagne pas une légitimité en se faisant payer. Tu travailles, tu es payé ; et si tu ne travailles pas, tu es viré. La légitimité de risquer, de laisser ses intérêts de côté, de suivre un but ; ça malheureusement, l’actuelle génération ne l’a pas. Dans ces conditions, qu’est-ce qu’on peut nous reprocher ? Le travail de la société civile est essentiellement militant, volontariste et porté vers la philanthropie, car les ressources de la société civile ne sont pas pérennes pour pouvoir bâtir un plan de carrière, mais nous luttons farouchement pour vivre d’une année à une autre. Le résultat est là, puisque maintenant nous faisons partie de l’histoire de l’Afrique. L’Afrique ne peut pas se passer de sa société civile et il a bien fallu que des gens se sacrifient pour qu’elle fasse partie du dispositif de gouvernance du continent et du monde.

Beaucoup parlent de relâchement des organisations, depuis le vote de la loi sur la parité ?

Là, c’est toujours l’erreur des gens en matière de société civile. La parité, les gens ne s’en rendent pas compte, mais elle est destinée aux femmes politiques. Ce n’est pas les femmes de développement ordinaires comme nous. Lorsqu’on parle de parité telle qu’elle a été votée, ça ne sort pas des partis, au niveau des instances de décisions électives, comme le Conseil régional, le Conseil économique et social…. Toutes ces structures devraient en faire partie. Mais là aussi, vous avez vu ; le Haut conseil des collectivités territoriales devait l’observer, idem pour le Conseil municipal, les Conseils ruraux. Vous n’avez vu aucune femme leader à l’Assemblée nationale…

Celles qui sont leaders, elles sont plus dans la politique. C’est la raison pour laquelle, s’il ne s’agit que de ces femmes pour défendre la parité… Elles en bénéficient, mais la plupart du temps, elles ne comprennent même pas les tenants et les aboutissants de la parité. Une bonne partie d’entre elles sont obnubilées par ce qui se passe dans leur parti. Malheureusement, elles ne comprennent même pas qu’elles sont là-bas au nom de la parité. De ce fait, elles ne sont redevables à personne, y compris même les leaders qui se sont battus du temps du Président Wade pour faire voter la loi… C’est ça la grande difficulté. L’autre question, c’est que le Président Wade a fait voter la parité et il est parti entre-temps. Son successeur (Macky Sall) ne l’a pas enlevé, mais il n’est pas obligé d’avoir la même conviction que celui qui l’a mise en place et qui en parlait pour en faire un cheval de bataille. Il l’applique et nous ne pouvons que le remercier. L’Etat est une continuité. Mais nous comprenons, au regard de ce qui s’est passé à Touba et ailleurs, que le travail n’était pas achevé.

Vous luttez beaucoup pour l’accès des femmes à la terre. Est-ce une manière pour dire que le combat pour la parité, l’égalité dépasse les femmes élitistes ?

La parité ne va pas au-delà de l’espace politique. En dehors de celui-ci, elle n’existe pas. Donc, rien n’autorise la femme à accéder à la terre au nom de la parité. Elle peut l’avoir au nom du nombre, c'est-à-dire son poids démographique. Dans nos villages, à Lambaye ou ailleurs, on peut dire que les femmes sont nombreuses à rester dans les villages pour cultiver. Et dans l’agriculture, le premier facteur de production, c’est la terre. Vous savez, en Afrique, les us et les coutumes font que les femmes ont une petite portion de terre.

C’est la famille qui garde les terres. Il y a certaines zones où, si vous perdez votre mari, vous êtes isolée dans un village et mise à l’écart pour le reste de votre vie. Parce qu’on considère que vous avez porté malheur à votre mari, et vous risquez de faire la même chose au village. Ces réalités font que la femme se trouve dans des difficultés. Et je signale que nous ne sommes pas à ce niveau. Notre loi agro-sylvo pastorale est claire. Il s’y ajoute que, dans notre Constitution, rien ne discrimine la femme pour l’accès à la terre positivement ou négativement. Donc, c’est à la femme de se défendre. Souvent, l’héritage traditionnel se fait au détriment de la femme, sous le prétexte qu’elle va se remarier et s’approprier des terres de la famille de son défunt époux… C’est pourquoi, il faut que les partenaires au développement avec lesquels nous travaillons comprennent qu’il n’y a pas de terre à fournir en Afrique à une femme ni à un homme, notamment celles qui sont bonnes.

Si vous n’avez pas de terre, vous êtes obligé de louer entre 15 à 20 000 F Cfa. Si vous n’avez pas les moyens économiques, vous allez exploiter la terre et après la récolte, vous versez… Tout ceci ne permet pas à la femme de pérenniser son travail. Nous, au niveau de la Cedeao, nous avons pu obtenir une directive concernant l’accès à la terre. Malheureusement, ladite directive est bloquée par deux pays dont je me garderai de citer les noms. Ils disent qu’ils ne peuvent pas le faire chez eux, parce qu’aucune terre n’est libre. Toutes les terres sont occupées par quelques chefs coutumiers et des chefs traditionnels. Donc, ils ne peuvent pas appliquer la loi. Vous vous imaginez, deux pays sur 15. Il n’y a que le Mali qui a décidé, de lui-même, de prendre 10 entreprises et 15% des terres arables déjà aménagées à donner aux femmes. Il n’y a que ce pays qui l’a fait dans notre région.
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