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Risques, conflits, paix et prospérité en Afrique: Ces investissements fonciers, sources de désordre sociaux
Publié le mardi 14 fevrier 2017  |  Sud Quotidien




Des chercheurs, des membres de la société civile et des spécialistes du droit foncier de plus d’une dizaine de pays africains étaient en conclave, jeudi dernier 9 février, à Dakar. C’était dans le cadre d’une conférence internationale sur l’état des droits et des ressources en 2016 et 2017 dont le thème est: «Passer des risques et des conflits à la paix et à la prospérité en Afrique».

Cette rencontre organisée par l’Initiative des droits et des ressources (RRI, en anglais), la Commission nationale de réforme foncière (CNRF), l’Initiative prospective agricole et rurale (IPAR) et le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) a permis de comprendre le lien étroit qui existe entre les investissements fonciers et les conflits communautaires en Afrique.

Les nombreuses convoitises des terres par les multinationales ont suscité beaucoup de conflits dans le monde et particulièrement en Afrique. Une rencontre internationale de partage d’expériences et de discussions pour analyser les liens qui existent entre les investissements fonciers et les conflits s’est déroulée, jeudi dernier 9 février à Dakar, sous l’égide de l’Initiative des droits et des ressources (RRI, anglais) qui présentait son rapport annuel 2016-2017, en collaboration avec la Commission nationale de la réforme foncière (CNRF), l’Initiative prospective agricole et rurale (IPAR) et le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR).

INVESTISSEMENTS, CROISSANCE ET CONFLITS

L’Initiative des droits et des ressources, présentant sont rapport annuel 2016-2017, a signalé que «partout en Afrique, les investissements dans l’exploitation de ressources naturelles qui ont ignoré les droits locaux ont engendré des conflits graves et couteux». Selon la RRI, «l’Atlas mondial de la justice environnementale a documenté plus de 1880 conflits répartis dans le monde, nombre desquels sont le résultat de projets extractifs ayant pollué ou endommagé les terres, l’air, l’eau, les forêts et les moyens de subsistance des communautés».

A en croire Solange Bandiaky Badji, directrice du Programme Afrique de RRI, «il y a un lien qui existe entre les conflits fonciers et les investissements car, les pays africains veulent devenir émergents. Par conséquents, ils accueillent beaucoup d’investisseurs dans les secteurs des mines et de l’agriculture, ce qui entraine des conflits car les droits des communautés ne sont pas pris en compte». Pour Mme Badji, «ces conflits se déroulent parce qu’il y a des questions liées aux compensations et beaucoup plus aux déplacements des populations. Car, quand les investisseurs viennent, les populations sont déplacées le plus souvent sans être consultées». Toujours selon elle, «les communautés ne sont pas contre les investissements. Mais tout ce qu’elles veulent, c’est que cela se déroule de manière juste et équitable».

REFORMES FONCIEIRES AFRICAINES : CE QU’IL FAUT RETENIR… : «...C’est qu’on n’a pas encore trouvé une solution»

Mais, au Sénégal comme en Afrique, les réformes ne sont jamais terminées. «Une réforme est posée, mais une réforme n’est jamais terminée. Tous les juristes le savent. Personnellement, j’ai participé à l’élaboration du Code électoral sénégalais il y a dix ou quinze ans, mais c’est des choses qui arrivent, jusqu’à présent il y a des choses à améliorer dans ce domaine. Un texte n’est pas éternel. Si la dynamique sociale arrive à un tel niveau, il faut changer les choses», explique Moustapha Sourang.

Pour Samuel Nguiffo, directeur exécutif du Centre pour l’environnement et le développement (CED) au Cameroun, «ce qui est négatif, c’est qu’on n’a pas encore trouvé une solution». Mais il estime que ce qui est important, c’est des processus qui peuvent apporter des solutions dans le futur, «en sachant qu’aucune solution ne sera permanente». Dans la mesure où tous les programmes de développement ont pour objectifs de faire émerger les pays africains, ces derniers doivent tirer les leçons des pays comme le Brésil et la Chine, de cette croissance rapide qui a été faite de manière non inclusive, en laissant de côté une grande majorité de pauvres, en les privant des filets sociaux et sécuritaires comme la terre.

«Quand on a la terre, on peut cultiver, on peut se nourrir. Mais si on est privé de terre et qu’à côté la croissance se fait, avec toute l’inflation que cela peut entrainer, sans que les populations ne soient associées, on aura des émeutes comme au Brésil pendant la Coupe du monde, on aura des problèmes comme en Chine dans les zones rurales ou dans les périphéries urbaines», explique-t-il. Toujours selon lui, «on peut copier le modèle de la croissance, mais il faut qu’on le corrige sur le plan social, en s’assurant de ne pas priver de terres ceux qui ne dépendent que de la terre pour assurer leur survie quotidienne».

LES REFORMES SONT-ELLES DES AGENDAS DES AUTRES ?

Le Libéria a engagé une réforme foncière depuis 2014, le Kenya en 2010 et en 2014, le Ghana depuis 2008, le Sénégal depuis 2012, même si le début du processus peut remonter jusqu’en 1996. Cheikh Oumar Ba, directeur exécutif de l’IPAR, qui a rappelé les réformes engagées par les pays africains, a posé la question de savoir pour qui les réformes sont-elles faites ? «En vérité, pour qui on réforme et pourquoi on réforme ? Souvent, c’est des agendas des autres. On réforme parce qu’aujourd’hui il y a les multinationales qui veulent s’installer. On réforme parce que c’est dans l’agenda politique international qui dit qu’il faut réformer si vous voulez qu’on vous donne de l’aide publique au développement, parce que sinon, nos investissements ne seront pas sécurisés», a expliqué M. Ba.

Ce point de vue «n’est pas faux peut-être, mais quelle est la marge de négociation dont on dispose», s’est-il demandé. Cheikh Omar Ba a plaidé pour «des investissements utiles qui préservent les communautés la base et qui permettent, en même temps, d’arriver à la prospérité partagée car, si c’est le contraire, les jeunes vont émigrer».

En définitive, il faut reconnaitre qu’il n’y aura pas de paix en Afrique s’il n’y a pas de réforme inclusive prenant en compte les droits des populations les plus vulnérables. Quatre panels ont permis à plus de 150 participants venus de plusieurs pays d’Afrique et des Etats-Unis de s’en convaincre.

LE SENEGAL, UN CAS A «FACETTES MULTIPLES» : Plus de 60% des litiges traités dans les tribunaux ont un rapport avec le foncier

Le Sénégal, qui est un cas à «facettes multiples», n’échappe pas à la problématique des conflits liés au foncier, avec plus de 60% des litiges traités dans les tribunaux. D’où l’intérêt de concilier l’attrait des investisseurs, la croissance économique, mais aussi la reconnaissance des droits des communautés locales, en perspective de la réforme foncière en cours.

Au Sénégal, il y a beaucoup de conflits liés au foncier. La directrice du Programme Afrique de RRI a signalé, à l’occasion d’une conférence internationale sur l’état des droits et des ressources en 2016 et 2017 qui a pour «Passer des risques et des conflits à la paix et à la prospérité en Afrique», que le Sénégal est un cas à «facettes multiples». «Tout d’abord, il faudrait reconnaitre que le Sénégal a initié une réforme dont l’objectif est d’arriver à clarifier les types de droits qui existent. Mais, en même temps aussi, le Sénégal est en train d’attirer des investissements étrangers pour voir comment développer la croissance économique. Il faut maintenant essayer de voir comment concilier l’attrait des investisseurs, la croissance économique, mais aussi la reconnaissance des droits des communautés locales», explique Solange Bandiaky Badji.

Au chapitre toujours des conflits, Pr Moustapha Sourang, président de la Commission nationale de la réforme foncière, a indiqué plus de 60% des litiges traités dans les tribunaux sénégalais ont un rapport avec le foncier. Le professeur Moustapha Sourang, dans son intervention au courant des différents panels, a tenu à clarifier l’esprit de la réforme foncière au Sénégal.

«En réalité, si nous avons voulu délibérément aller sur le terrain, rencontrer l’ensemble des acteurs, c’était pour avoir au moins un consensus fort. Nous avons dit partout que l’unanimité n’est pas de ce monde. Les juristes disent que l’idéal, c’est le plus grand nombre. L’unanimité est artificielle et même suspect. Mais dans les discussions tenues dans les 14 régions du pays, il y a des choses qui ont émergé», a laissé entendre Pr Sourang.

Et d’ajouter: «le but de notre opération est que l’intérêt du Sénégal soit préservé. Le président de la République m’a dit de faire ce que nous pensons être l’intérêt du pays, donc trouver des mécanismes qui puissent permettre d’avoir le maximum de consensus», poursuit-il tout en relevant qu’il y a une nécessité de procéder à un toilettage juridique des textes car, il n’y a plus de zones de terroir à la suite de l’Acte 3 de la Décentralisation.

Pour Alioune Guèye, président de la Fédération des périmètres autogérés, par ailleurs membre du CNCR, il est urgent de «réfléchir de manière beaucoup plus globale pour prendre en charge les préoccupations des populations par rapport à la gouvernance foncière».
M. Guèye a pointé du doigt «le problème de l’exploitation minière qui est une préoccupation dans le pays avec la zone des Niayes, large de ses 44.500 hectares qui appartenaient jadis aux agriculteurs et servaient à nourrir le pays en production maraichère, qui est en train d’être transformée en zone minière». C’est pourquoi, prône-t-il, «l’exploitation des carrières, dont les ressources ne reviennent pas systématiquement aux populations, mérite réflexions».

Baba Ngom, membre du CNCR, a également tiré la sonnette d’alerte par rapport à l’exploitation minière dans sa commune. «Les communautés ne pourront plus vivre de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. La population augmente et les terres sont surexploitées et convoitées», prévient-il.
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