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Art et Culture

Bonnes-feuilles - La gouvernance foncière et domaniale : Diop le maire pioche dans le foncier
Publié le samedi 26 novembre 2016  |  Le Quotidien




Docteur d’Etat en droit, ancien ministre et maire de Dakar, Me Mamadou Diop dispose d’une longue expérience politico-administrative. Il a décidé de partager celle-ci à travers son livre La gouvernance foncière et domaniale au Sénégal. Edité aux Presses universitaires de Dakar et préfacé par le Professeur Abdoulaye Sakho, cet ouvrage de 208 pages parle des questions foncières dans toutes les largeurs.

«Dans les sociétés négro-africaines, le problème de la terre a toujours revêtu une dimension mystique. En Afrique de l’Ouest, comme dans le reste de l’Afrique, la terre a certes une valeur marchande, mais elle est surtout un objet de sacralisation. Ainsi, son mode d‘appropriation, de transmission et de gestion est toujours conçu autour de croyances, mythes et tabous qui remontent à la nuit des temps.
Les premières occupations du sol ont été réalisées par divers modes parmi lesquels «le droit de feu» et «le droit de haches»… Chose essentiellement familiale, voire communautaire, la terre est très vite apparue comme un lien unitaire entre le groupe familial, le lignage des morts, des vivants et des générations futures. Elle est à la fois un instrument de subsistance et un moyen de promotion sociale et politique du groupe familial. (...)

Les enjeux politiques du régime foncier
L‘évolution des systèmes politiques est marquée depuis la fin de la seconde guerre mondiale par une tendance générale orientée vers la centralisation des pouvoirs. Cette tendance s’est accentuée dans les pays en développement, plus particulièrement en Afrique. Pour la plupart des gouvernements africains, il s’est agi d’accélérer la croissance économique et de renforcer la cohésion nationale. Les modèles choisis ont été généralement conçus à l’image du système colonial dans lequel le pouvoir était concentré entre les mains d’un exécutif puissant, soumis au seul contrôle de la métropole. C’est ainsi que les Etats africains ont été amenés à construire des systèmes de gouvernement et d’administration dotés de pouvoirs exorbitants. Pour renforcer leur assise politique, ils ont élaboré des programmes d‘unification nationale, réduit les pouvoirs des autorités locales et traditionnelles et consolidé leurs systèmes répressifs. (...) Des oligarchies militaires et civiles se sont installées à la tête de certains pays et ont fini par centraliser toutes les ressources, parmi lesquelles les terrains urbains. Cette situation d’accaparement a surtout permis de récompenser une clientèle politique qui soutient, de manière intéressée, les autorités en place.
Cette situation, déplorable à tous points de vue, a pu justifier l’exercice d’un pouvoir fort et solitaire. Dans le domaine de la gestion des terrains urbains, plus particulièrement, elle a conduit à la nationalisation des terres, au dessaisissement des autorités locales et traditionnelles au profit d’agences para-étatiques, chargées de contrôler les transactions foncières et d’assurer la gestion des programmes de rénovation urbaine et d’orientation agricole.
La hausse vertigineuse de la valeur des terrains qui est la conséquence de cette politique hasardeuse a largement contribué à la réalisation d’importants profits et suscité des intérêts économiques énormes. Cette situation n’a pas manqué de faire apparaître une nouvelle classe d’hommes d’affaires qui exercent aujourd’hui des pressions fortes sur les décideurs politiques et les administrations officielles afin de couvrir les défaillances énormes du marché foncier. Toutes les stratégies élaborées par les pouvoirs politiques pour améliorer la gestion du système foncier dans sa globalité deviennent ainsi inopérantes sur le plan économique et social. (...)

La gestion du domaine public
Le domaine public est «inaliénable et imprescriptible». L’inaliénabilité du domaine public signifie qu’il ne peut faire l’objet ni de commerce ni de transaction quelconque. Seul le droit d’usage peut se concevoir après autorisation délivrée par l’autorité administrative compétente. Cette autorisation revêt des formules fort diverses : permission de voirie, autorisation d’occuper, concessions et autorisations d’exploiter. Toutes ces autorisations donnent lieu au paiement d’une redevance dont le montant varie selon les cas.

Les autorisations administratives
Les autorisations d’occuper et d’exploiter sont délivrées, selon leur nature, par les autorités habilitées à cet effet. Elles comprennent :

Les permissions de voirie
Elles sont délivrées à titre personnel et sont essentiellement précaires et révocables. Les permissions de voirie «n’autorisent que des installations légères, démontables ou mobiles, n’emportant pas emprise importante du domaine public ou modification de son assiette. Leur retrait ne donne lieu au paiement d’aucune indemnité».

Les permissions d’occuper
Elles peuvent porter tant sur le domaine public naturel que sur le domaine public artificiel. Elles sont accordées dans les mêmes conditions que les permissions de voirie. L’acte accordant l’autorisation doit préciser les conditions d’utilisation de la dépendance du domaine public qui en fait l’objet. L’autorisation peut être retirée à tout moment. Le bénéficiaire peut renoncer à l’autorisation qui lui a été accordée, moyennant toutefois le paiement des redevances échues et en délaissant l’immeuble dans l’état où il se trouve, si la remise de l’état des lieux ne lui est pas imposée. (...)

Les concessions et autorisations d’exploiter
Les concessions et autorisations d’exploitation du domaine public sont accordées de «gré à gré ou par adjudication pour une durée déterminée ou non, aux clauses et conditions fixées dans chaque cas. Elles sont réservées aux installations ayant un caractère d’intérêt général». Des dispositions, ainsi rappelées, il résulte que l’Administration dispose d’un pouvoir d’appréciation très large en ce qui concerne la délivrance des concessions et autorisations. La détermination de leur durée et des conditions de leur délivrance sont laissées à sa totale discrétion.

Les redevances
Les autorisations d’occuper ou d’exploiter donnent lieu au payement d’une redevance. Celle-ci est fixée compte tenu des «avantages de toute nature procurés aux permissionnaires et concessionnaires et des charges qui leur sont imposées». Elle est révisable chaque année. Des dérogations peuvent être cependant être accordées lorsque les autorisations «revêtent un caractère prédominant d’utilité publique ou d’intérêt économique ou social et sous réserve qu’elles ne constituent pas pour les bénéficiaires une source directe ou indirecte de profits».

La gestion du domaine privé de l’Etat
La gestion du domaine privé de l’Etat est assurée par l’Administration. Elle est soumise au droit privé. Il reste cependant que les règles du droit privé applicables peuvent être altérées en raison du caractère du service public et de l’exigence d’une administration de biens appartenant au domaine de l’Etat. Dans ce cadre, le régime de droit privé peut comporter certaines clauses exorbitantes du droit commun : possibilité d’utiliser l’expropriation, règles particulières relatives aux biens vacants et sans maître, libéralités avec charges, régimes fiscaux spéciaux, etc. Les règles de gestion applicables au domaine privé de l’Etat varient selon que celui-ci est affecté ou non. (...)

La domanialité nationale
Institué par la loi 64-46 du 17 juin 1964, le domaine national a vocation à inventer un système d’organisation et de gestion de la terre fondamentalement différent du régime foncier antérieur caractérisé par sa diversité et sa complexité.
La loi sur le domaine national est certainement la loi qui a le plus marqué les esprits depuis l’accession en 1960 du pays à l’indépendance nationale. Sa grande portée économique et sociale s’explique par les profonds changements qu’elle a introduits dans tous les domaines de l’activité nationale. Mais malgré le recul du temps et les précautions prises par le législateur de l’époque, des zones d’ombres persistent encore, des difficultés de toutes sortes continuent d’envenimer les rapports entre les pouvoirs publics et les populations.
Les conséquences de cette situation inquiétante sont vécues quotidiennement par l’ensemble des acteurs de la vie nationale et plus particulièrement par des populations désemparées devant un système dont elles ne voient ni l’objectivité ni la rationalité. Les enjeux sont donc importants. Ils portent sur le plan politique, économique et social. (...)
La question de la terre a toujours affecté l’état des relations entre les pouvoirs publics et les populations. Celles-ci se sont, en effet, opposées aux bouleversements imposés par l’Etat et à la mainmise de l’Administration sur les terres héritées de leurs ancêtres. Le Président Léopold Sédar Senghor n’avait-il pas reconnu, alors qu’il était député à l’Assemblée nationale, que le problème des terres avait «créé un malaise qu’il serait impolitique parce que vain de dissimuler». Les réponses apportées à la question foncière par l’Etat du Sénégal, au lendemain de son accession à la souveraineté internationale, n’ont pas résolu le problème. Il s’est agi d’installer un nouveau mécanisme de gestion de la terre et de nouvelles méthodes d’organisation de l’occupation du sol. Longtemps caractérisé par sa diversité et sa complexité, le régime foncier sénégalais a ainsi fait coexister trois catégories de terre : les terres qui ont fait l’objet d’une immatriculation, les terres du domaine de l’Etat et celles du domaine national. La première catégorie est basée sur le droit privé de la propriété, la seconde et la troisième sont régies par des règles spécifiques. Avec la loi sur le domaine national et eu égard à son étendue (95% du territoire), l’Etat marque ainsi sa prépondérance dans la gestion des terres au Sénégal.
Le résultat est une marginalisation des populations urbaines, économiquement faibles et qui, exclues de l’accès à la propriété foncière, sont obligées de s’installer de façon précaire dans la périphérie des villes. Les nombreuses dérives vécues quotidiennement, la spéculation foncière effrénée et les conflits fonciers multiples qui affectent gravement le climat social montrent que le régime foncier actuel n’est pas parfait. Il s’y ajoute la lourdeur des procédures administratives qui ne contribue nullement à la transparence des opérations foncières et à l’accessibilité des sols. Une gouvernance foncière d’envergure s’impose donc, non seulement pour moderniser et adapter les textes au contexte actuel, mais surtout pour favoriser l’accessibilité à la propriété et assurer la promotion d’une politique foncière dynamique, associant l’Etat, les collectivités territoriales et les populations concernées car, comme le disait Simone Veil, «tout Peuple qui devient une Nation centralisée et bureaucratique devient aussitôt et reste pour longtemps un fléau».
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