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Mbour, le kankourang et son évolution: Un chaos urbain face à ses mystères
Publié le samedi 15 octobre 2016  |  Sud Quotidien




C’est dans une belle ambiance de fête et l’apothéose que se sont achevées les cérémonies de la circoncision à l’intérieur du Djoudjou à Mbour, dimanche 02 octobre. Commencée dans une certaine forme de frénésie et de folie chez les uns et les autres, qui ne disait pas son nom, la fin fut plus belle que le début. Et au bout, une belle fête organisée pour une jeunesse qui retrouve quelque chose qu’elle aime ; à savoir la culture mandingue et son Kankourang. Cependant, si derrière toutes ces festivités qui annoncent le passage de l’enfance à l’adolescence pour les plus petits, Mbour n’en étale pas moins souvent ses grandes faiblesses et de sérieuses questions sur son avenir en termes d’évolution urbaine et de développement tout court. Ce dossier qui fait le pari de revisiter en quelques lignes l’univers complexe du Djoudjou et du Kankourang dans une grande agglomération comme Mbour, se propose ainsi en deux versions, de poser la nécessité d’un débat de fond sur le devenir d’une cité dont le futur ne devrait plus laisser personne indifférent, à commencer par le Président de la République.

Mbour, l’organisation du Djoudjou, son évolution avec le Kankourang, des questions de fond au cœur du développement d’une ville qui a du mal à faire face aux questions nouvelles suscitées par son évolution et le fonctionnement de l’administration communale. Au fil des années, depuis la fin de la décennie 1970-1980, rien n’a été fait dans la facilité en matière de gestion de l’espace des djoudjou et celui du Ké woulo (autre nom du Kankourang qu’un non initié ne connaît pas). Des heurts, des histoires entre gens d’un même univers culturels, des problèmes de gestion mais encore de personnes ; il y a eu du tout au sein de la maison des circoncis.

Cette année, n’a pas fait exception. Et, le temps est venu de regarder tout cela en face. Le beau coté des choses en rappelant comme en 1982 et 1986, que c’est dans une ambiance de folie que s’achève la cérémonie de la circoncision à Mbour. Un moment fort au cours duquel, toute une ville, à travers toutes ses générations de jeunes, d’adultes, de jeunes, de moins jeunes, des femmes et des enfants se retrouvent en fête, un seul fait : la culture et ses aspects les plus constructifs, les plus beaux et les significatifs. 2016, le début d’une nouvelle ère ou la fin d’un cycle. On s’est cru dans l’un et l’autre scénario.

Dimanche 02 octobre, à l’intérieur de sa maison, il est 18 heures. Et, pendant que les lambee (suivants) attendent devant le portail de la maison familiale, leur maître venu lui rendre visite, c’est un cheikh Famara Demba, humble, sobre, tranquille et fort de son état d’ancien, qui se retrouve au sol au milieu de cette grande concession ; accueillant le kankourang. C’est une marque de respect et de reconnaissance. Mais aussi, un petit aspect de la vie dans la case des circoncis.

L’homme est un initié. A terre, il veut montrer à cette jeunesse qui apprend encore à se comporter en adulte, le sens de la modestie et de la bonne éducation ; toutes choses que cherche à véhiculer la philosophie du Djoudjou et des initiés. La beauté de l’accoutrement, un genre de Simbong nouvelle formule qui marie aussi l’ancienne, çà aussi c’était le sens du geste de ce grand initié qui aura fréquenté ses propres parents, les grands initiateurs de la chose dans cette pittoresque ville du bord de mer. L’homme est un cheikh ; donc doté d’une certaine sobriété, il n’oublie pas qu’il est avant tout un suivant de l’ordre établi. Il doit montrer la voie même devant ses enfants.

Son geste renvoie à tous ces dimanches d’avant au cours des années 60, 70, 80, 90 où l’on rencontrait Manfodé Touré avec ses beaux pantalons en tissus simples et ses habits de chefs, le sourire au coin qui n’enlevait en rien à sa grande personnalité. Le regard du chef, le Kuyan manso. C’était toute la beauté des actes posés dans les chants, la danses et les échanges au sein du djoudjou et en dehors. L’acte de simplicité et la leçon de ce dimanche donnée encore par Famara Demba est aussi dans le fait de ramener les choses à leur juste valeur comme pendant l’époque où l’on se «courbait devant la science d’autres géants du milieu… Bambo Camara, pour ne pas le nommer : le batteur au grand bonnet venu du sud aux mains d’or.

Si Daouda Sané a usé de sa science du rythme jusqu’à être célébré par les Touré Kunda, après imposé le son lumineux des tambours mandingues du côté de Ziguinchor, à Mbour, c’était Bambo, comme l’appelaient ses amis et proches. Et son fils Mamadou Lamine, qui a vécu à Mbour et aujourd’hui décédé, ancien infirmier à la Trypano, lui connaît bien cette autre virtuose. Sa magie du son et son génie pouvaient réveiller le « Fandombi », le plus teigneux et le plus capricieux qui se refusait aux batteurs amateurs. Septembre 1974, Dabo Kunda, ce n’est pas si lointain pour les souvenirs, quand juché sur un vieux manguier de la concession sis au quartier thiocé-ouest devant la route, le capricieux «Ké woulo» a résisté à tous les sons jusqu’à l’arrivée du vieux «Crocodile», Bambo en mandingue avant de se jeter à terre provoquant la débandade de tous les suivants peu habitués à voir ce genre de scène insolite. Le Fambondi était bien là.

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L’on voit encore d’autres phénomènes aujourd’hui disparus, Dianoune Sarr, parti récemment. Placide et derrière son calme, l’homme était un éducateur hors pair. Son sacrifice n’a pas été inutile dans sa manie à prendre ce qui est bon chez les anciens pour l’adapter aux méthodes des jeunes d’aujourd’hui. L’homme n’a pas été toujours compris. D’autres phénomènes ont encore influencé jusqu’à la «folie» des jeunes d’aujourd’hui et sous un autre registre, un nom revient celui de Ngor Signaté, l’homme au pilon devant son maître le Kankourang.

A côté de lui, un autre maître est à ne pas oublier. Il s’appelle Mamady Gassama. Grand danseur, chanteur de talent. Longiligne comme Don Quichotte, Mamady est un autre phénomène. Un artiste. Un poète dans le sens noble du terme. Le Kankourang, ce n’est pas sa tasse de thé. A sa simple vue, le voilà parti pour un sprint. Mais, dans l’art de regarder la foule et d’improviser ou d’adapter tout de suite un chant populaire ou un chant de case qu’il n’aura pas le temps de terminer, il n’avait pas d’égale. Alors on n’ira pas loin pour aller voir un autre «comédien» de talent. Lui se nomme Me Amara Dabo, l’homme au Kimono dans ses phases, le dimanche matin. Il était d’une autre trempe dans l’animation du matin avec ou sans le Kankourang, et le public d’initiés ou non adorait. Il dansait comme dans un combat de judo. Avec le sourire, la tranquillité, ce qui importait, c’était la leçon aux jeunes.

Dire que tous ces noms étaient des experts dans l’administration, dans le privé ou encore dans leur domaine, mais ils avaient appris l’humilité à redonner aux autres ce que le grand Djoudjou leur avait légué. Quelle leçon de grandeur pour celui qui arrivait qui ne les connaissait pas sous ce registre. On peut encore citer Fodé Sagna, maître dans l’art de suivre le Kankourang et de lui obéir. Après ses études à Paris dans le domaine l’ingénierie des Transports et la Logistique, l’homme est revenu à ses anciens amours : le Djoudjou et le Kankourang. Grand maître dans l’initiation, à presque 70 ans, il est encore derrière le Kankourang en train d’organiser, de parler, de tempérer et de débattre sur la nécessité de placer tout cela sous le signe de la démonstration, du respect de l’autre et de sa différence sans renier ce qu’on est dans le fond.

Et encore, la liste est longue de gens à ne pas oublier comme Sirifo Daffé, parti trop tôt il y a quatre ans. N’est-ce pas ce même Sirifo, aujourd’hui disparu, qui disait, il y a quelques années, que «ce qui fait la beauté de notre initiation à Mbour, c’était la symbiose entre toutes les ethnies et groupes sociaux» répétant que finalement dans la philosophie de cette histoire, le mandingue ne peut pas dire que seul, il fait le succès de l’espace des circoncis.

Parce que disait dans sa langue maternelle, le mandingue, «Dekeundo, diama cia gueun». Allant encore plus loin, l’homme au bonnet rouge de Djinné comme il s’appelait lui-même qui a fait toute la Casamance, une bonne partie du Gabou depuis la Guinée-Bissau et aussi la Gambie, n’était pas avare de ses formules. Sa science, il la tire de son passage dans le Djoudou aussi avec la proximité qu’il avait avec certaines têtes pensantes comme Sidy Daffé son oncle, son grand-père Sana, mais aussi un autre de ses oncles, Ngansou Daffé.

Il évoquait aussi dans ses moments de partages, un aspect très à part dans sa philosophie de «l’un et du multiple», les questions de fond qui touchent la vie commune des gens dans une même ville ; en parlant comme dans un conte, de tous ces mariages consanguins et exogamiques qui ont amené au sein de la communauté des Sèrères (kassinka des îles du Saloum), des wolofs et toutes ces autres ethnies qui n’ont fait que renforcer la bonne entente et la bonne organisation de ce rite. Toutes ces choses révèlent chez cet homme un sens commun dont sa famille pouvait être fière.
Dans son esprit d’homme de savoir et malgré sa grande simplicité, il n’en concluait pas moins que la ville de Mbour et toute son agglomération ont eu le mérite d’avoir réunir autour d’un idéal commun : le vivre ensemble. Disant dans sa langue maternelle le mandingue, qu’il maniait avec une facilité de poète, «Adoung sourwaa lou fanang ya moutanfe le» ; «Dekeundo, diama cia guen», dixit Sirifo.

Aujourd’hui, cette légende qui avait promis en secret l’écriture de ses mémoires, est partie avec son savoir immense (l’homme vous parle du Gabou, de la Gambie, du Pakao et du Balantacounda avec une aisance et une liberté à vous transporter). Il est aussi à l’aise quand il évoque «Sané Mentereng» et son histoire. La vie des chérifs dans la profonde Casamance et leur influence dans la culture mandingue au-delà de l’islamisation de la même zone géographique jusqu’aux rivières du Sud entre le Rio Gêba et le Rio Nunez.

La Casamance et son histoire, il en servait des tomes et des tonnes d’images. Et l’histoire continue pour celui qui lui a été souvent contesté au nom d’une certaine forme de jalousie dans sa famille même. Mais aussi, auprès de ses semblables, initiés du Djoudjou, un espace où de plus en plus, le manque d’autorité avait fini par faire que tout et son contraire étaient devenus contestables ou contestés par des gens qui représentaient qu’eux-mêmes. Le résultat ne s’est pas fait attendre ; et ce fut comme une descente aux enfers, en dépit du succès du Kankourang.

SAUVER LE DJOUDJOU : Un espace sacré pour l’éducation et la formation au leadership

Dans cet univers de symbiose et d’entente cordiale, l’apothéose, n’est peut-être pas un mot de trop parce que quand toute une ville se mobilise pour fêter quelque chose comme çà dans la joie et l’allégresse cela ne peut laisser indifférent. Dans le fond comme dans la forme, cette fête est devenue une forme d’institution qui semble même dépasser ses initiateurs. Le leul chez les mandingues, c’est une belle chose ; mais qui y comprend quelque s’il n’est pas initié. Là réside le fond du problème. Aujourd’hui, quand on veut résumer toutes les intelligences de cette manifestation autour de la seule apparition du Kankourang, on se trompe lourdement. Pour dire que le prochain combat dans la collectivité mandingue, dans les composantes sociétales de la ville, sera de protéger et de sauver l’espace de certaines formes de dérapages, de dérives individuelles, au seul bénéfice de la communauté et des enfants qui y entrent chaque année.

Donc plus de sérénité et de tranquillité pour les familles et l’enfant. Tout cela soutendu par le respect des grands principes qui sont dans le respect des codes et des normes. Cela ne sera pas facile. Au sein des Djoudjou, comme en dehors, la question de la discipline est devenue larvaire parce que provenant des familles même qui gèrent la chose. Il faut réorganiser de l’intérieur les choses. L’équation du leadership dans la bataille que se livrent des fois les jeunes, au nom d’une certaine forme de transparence et les moins jeunes pour des questions de légitimité, se pose. Il faut le résoudre.

Or, le Kankourang, s’il n’a plus besoin de publicité, l’espace qui l’a créé et qui le met sur orbite a été toujours un bel espace. Un espace secret dans ses fondements que même les initiés ne connaissent que très peu. Il faut garder son aspect d’inviolabilité. Autre chose, est que la maison des circoncis chez les mandingues de la Casamance, du Sénégal Oriental, de la Guinée Bissau et encore de la Petite côte est une terre de rencontres philosophiques et intellectuelles. Oui, l’Afrique regorge aussi de ce type d’espace, mais on ne sait pas encore les «vendre» et les exposer au monde. Même partis à l’école coloniale, certains parmi les hommes de science qui sont sortis du Djoudjou n’ont jamais oublié d’où ils venaient à cause de ces heures de rencontres entre gens de classes d’âges différents, de connaissances du monde plus variées chez les uns comme chez les autres.

Présenter ce que l’Afrique a de beau ne saurait faire l’économie de cette histoire qui existe et qui se vit dans la Casamance profonde et dans le cœur de la petite et très pittoresque ville d’hier qu’est Mbour. Comme le lycée au début de l’ère moderne, la maison des circoncis chez les mandingues est un lieu qu’on ne peut comparer à très peu d’espaces du genre sur le continent. Là où se retrouvent toutes les composantes de la société, de tous les âges, de l’enfant à l’adulte, du cadre supérieur au plus petit artisan ou simplement du fondinké (le citoyen ordinaire). Un espace de débat ; voilà à quoi on peut assimiler la maison des circoncis dont le site était jadis dans la forêt et que la ville a rattrapée pour qu’il se retrouve du coté de Mbour au sein du quartier, de la cité. Ce fait d’histoire et de géographie ne lui a pas enlevé tous ses secrets, mais a réduit de plus en plus ses véritables espaces d’échanges intérieurs.

Ici, tout est fondé sur les actes qu’on pose avec le respect des mots qu’on sort de la bouche, de la discipline de groupe, de l’humilité et également, de la discrétion partout et dans tout ce que l’on fait. Voilà pour l’enseignement. Parce qu’il s’agit d’une école pour la vie… Ce n’est pas pour rien que l’Unesco a choisi de donner un coup de pouce à la chose. Ces valeurs fondent depuis toujours l’espace de ce lieu d’échanges culturels, mais de partage en tout des choses de la vie. Aujourd’hui, si l’une des faiblesses dans la construction de nos sociétés reste sans doute dans le manque de projets d’avenir pour les jeunes, il reste ce petit espace pour les préparer à faire face aux enjeux de demain.

Dans cet univers, le Kankourang représente bien peu parce qu’il n’est que l’aspect le plus visible d’un scénario bien ficelé de l’intérieur, mais encore et surtout, un modèle d’inspiration qui doit par sa présence, rassurer et donner le ton. Parce que ce qui se dit dans le djoudjou entre initié et circoncis, entre initiés eux-mêmes, mais encore entre gens d’âges différents n’a rien de simple pour le non initié. Même pour celui qu’on a accepté dans la case pour des raisons de commodités. Le nouveau membre de la famille a des pas de géants à faire pour arriver au même stade qu’un initié de la première heure. Dans la manière de recevoir le Kankourang dans le djoudjou et en dehors, dans sa manière de lui marquer son respect et son dévouement, de lui adresser sa parole en initié, il y a dans la gestuelle, des choses qu’un non initié ou qu’un nouvel entrant, fut-il beaucoup plus âgé qu’un simple Quintang, ne saurait jamais connaître. Et voilà le charme ; et c’est cela qu’il faut savoir expliquer et montrer au monde.
A suivre

Dossier réalisé par Mame Aly KONTE
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