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Migrations : Sur les pas des clandestins routiers
Publié le samedi 1 octobre 2016  |  Le Quotidien




Aller à l’aventure n’a jamais été un exercice facile pour les milliers de candidats qui s’y engagent. Après la mer et les innombrables cadavres jetés à la figure de l’opinion, les jeunes Africains continuent de tenter l’aventure en optant pour les circuits routiers. Cette option qui les conduit pour la plupart dans un pays où pratiquement règne le chaos, la Libye, comporte de nombreux risques et les exposent davantage à un autre fléau devenu mondial, le terrorisme. Ce qui constitue un nouveau défi pour les gouvernants appelés à mettre l’accent sur l’éducation et la formation et à endiguer le chômage des jeunes. En collaboration avec l’Institut Panos, Le Quotidien a cherché à cerner les contours d’un phénomène qui a pris une autre dimension.

Circuits routiers de l’émigration : L’aventure des clandestins de la route

40 minutes. En 40 minutes seulement, Abdoulaye Diallo a changé radicalement d’avis. Et c’est l’effondrement de tout un rêve : l’eldorado. Après de nombreuses années d’épargne pour se faire un bon pactole et rallier l’Europe, voilà que le jeune candidat à l’émigration décide de renoncer à son projet majeur.

«Une prise de conscience» qui bouleverse tout
Qu’est-ce qui a dû «détourner» le jeune Diallo ? Portant en bandoulière ses vingt-six ans et ne rêvant que de l’Europe, Abdoulaye Diallo baisse les armes devant plus fort que lui : la prise de conscience. Il avait, en effet, tenté l’aventure en se rendant jusqu’au Maroc. Mais il a décidé volontairement de rentrer au bercail. Une renonciation au voyage de l’Espagne suscitée par «une prise de conscience» faite à «quarante minutes du retour de la chaloupe qui devait (le) convoyer pour la localité espagnole d’Al Jazira (Sic)». «Au moment où j’attendais patiemment le retour de la chaloupe, j’ai comme reçu une gifle qui me demandait ce que je faisais à Tanger», se rappelle Diallo. «Plus le moment d’effectuer les formalités approchait plus je prenais peur. C’est quand j’ai senti que je courais des risques après ce que j’ai vu sur place que toute ma détermination s’est effondrée», se remémore Diallo. Qui n’a pas manqué d’avoir des remords en pensant aux conseils qu’il prodiguait souvent aux candidats à l’aventure. «Il m’était en effet revenu en tête tout le combat que je menais contre l’émigration clandestine. Tout ce que j’ai fait aux côtés de Boubacar Sèye (Ndlr : président de la section sénégalaise de l’organisation Horizons sans frontières)», se rappelle encore Abdoulaye Diallo.
Ce dernier qui avait acheté son billet à 40 euros quitte donc Tanger, une ville marocaine où «l’on te confectionne des papiers de séjour, des faux qui ressemblent à des vrais». Sa nouvelle destination : Casablanca, la capitale économique du Maroc. Pour y rester pendant «dix-huit jours». «A y regarder de près, je me suis dit qu’avec 700 mille ou un million de francs, une personne peut s’expatrier régulièrement et non se mettre à verser 3 millions de francs que des gens vous proposent au niveau des ambassades et autres consulats», fait comprendre celui qui avait opté pour les circuits routiers à partir de la cité religieuse de Touba, son point de départ.
Le périple de Abdoulaye Diallo le conduira jusqu’à Dahla, ville mauritanienne frontalière au Maroc. Dans cette localité, se souvient notre interlocuteur, «on retrouve toute sorte de nationalité». Mais Abdoulaye Diallo reste impressionné par les cas de dépression ou de folie qu’il y rencontre. De même que le développement de la prostitution. Un constat qui le pousse à «rappliquer sur Nouadhibou (capitale économique de la Mauritanie) qui est située à 5 ou 7 Km de Dahla». Avant de rejoindre le Maroc par les airs à partir de Nouadhibou en payant «un billet aller-retour de 300 mille francs». Un billet dont il se servira pour quitter le royaume chérifien après avoir renoncé à l’aventure avec 50 euros de pénalités du fait d’avoir changé la date de son retour.
A côté de ces constats, celui qui a résisté aux sirènes de l’aventure n’en note pas moins la présence très remarquée à Dahla des rabatteurs qui réclament aux migrants un montant de 50 euros (plus de 32 mille francs Cfa) pour effectuer la traversée. Une somme qui, soutient M. Diallo, sera plus tard multipliée par dix. «Quand le phénomène s’est développé, il y a eu une hausse et ce montant a grimpé jusqu’à 500 euros voire même mille euros». Un business auquel se sont mêlées, indique-t-il, les Forces de l’ordre «qui exigent cette somme en complicité avec les rabatteurs. C’est un grand deal.» Le nombre important de migrants qui atterrissent en Libye pourrait même, à coup sûr, justifier l’existence de ce business. «Plus de 4 mille migrants subsahariens entrent en Libye chaque mois, via le Niger», informe Boubacar Sèye, président d’Horizon sans frontières (Voir entretien en page 13).
Bénéficiant de ce deal, certains migrants qui se sont retrouvés en Espagne ont fini par regretter de s’y être rendu. Par la magie du téléphone, Abdoulaye Diallo parvient à partir des échanges avec certains d’entre eux à apprendre leurs regrets d’avoir quitté leur terre d’accueil, le royaume chérifien. «Handica­pés par leur situation, ils auraient préféré rester au Maroc et continuer à y travailler avant de se rendre en Europe», narre notre interlocuteur.

Quand les parents mettent fin à l’aventure
Un autre candidat à l’émigration verra aussi son aventure stoppée par ses parents. «Qui ne voulaient pas du tout que je quitte la Libye pour me rendre en Europe», dixit Mikhaïl Diallo, étudiant en Master au département d’anglais de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad). Informés de son aventure, ses parents étaient loin de se douter de l’absence de leur fils. Ils ont fini par le joindre en Libye par l’entremise de son petit frère qui «a vendu la mèche». L’exigence parentale finit par convaincre Mikhaïl de rentrer au pays. Ce jeune originaire du Saloum et âgé de 27 ans s’est vu proposer par ses parents «le remboursement intégral des frais engagés pour son voyage ainsi que son argent de poche contre (son) retour au pays».

150 candidats rapatriés de la frontière nigéro-libyenne
Ce qui n’est pas le cas pour d’autres qui avaient quitté Dakar à bord de bus climatisés pour la ville nigérienne d’Agadez contre un billet aller simple en voiture de 90 mille francs. Un montant qui peut atteindre même 110 mille francs, selon les compagnies de transport, d’après le président des transporteurs maliens. Et ces derniers sont estimés à des centaines par le vieux Sambala Diallo. Prési­dent du Regrou­pement des chauf­feurs maliens à la gare routière des Baux maraîchers depuis 7 ans, ce sexagénaire ne peut s’empêcher de révéler le rapatriement de 150 candidats à l’émigration de la frontière nigéro-libyenne. «Ils étaient là, il fallait les voir. Ils étaient convoyés à bord de trois bus climatisés qui venaient du Niger. Ils sont souvent transportés par des Ong qui aident à leur retour», soutient Sambala Diallo. Qui renseigne que les candidats malheureux étaient des Bissau-guinéens, des Gam­biens et des Sénégalais. Une arrivée qui coïncide avec la «saison morte» de l’aventure. «Ce n’est pas une période de grande affluence ici (la gare routière des Baux maraîchers). En ce moment, les candidats ne prennent pas la direction de la Libye ou du Niger à cause de la forte canicule qui règne dans le désert. La preuve, ce sont les destinations comme le Togo, le Bénin et la Côte d’Ivoire, des pays pluvieux qui sont actuellement très prisés par les voyageurs. La bonne période pour les migrants, c’est vers la fin de l’année, en décembre», informe Mohamed Kane, un chauffeur ivoirien qui fait la navette Dakar-Agadez via Bamako.
Les ressortissants de Guinée-Bissau, de la Gambie et du Sénégal, précise Sambala Diallo, figurent souvent en majorité dans le lot des migrants qui sont rapatriés du Niger ou de la Libye et Diallo d’informer que 90% des candidats n’arrivent pas la traverser la Méditerranée.

Des rabatteurs touaregs se faisant passer pour des Libyens
Au sujet des raisons du retour des 150 migrants de l’avant-veille de la Tabaski, Sambala Diallo explique : «Ils étaient fatigués et à court d’argent.» Ce que semble corroborer son jeune collègue Mohamed Kane. Ce chauffeur ivoirien estime que «pour faire ce genre de voyage, il faut détenir beaucoup de fonds». Ces candidats sont souvent la proie des rabatteurs, soulignent nos interlocuteurs. Et d’indiquer qu’il y a à la frontière nigéro-libyenne «des Touaregs qui se font passer pour des Libyens. Ils proposent leurs services aux migrants en les conduisant à bord de voitures 4X4 en Libye en échange de 100 mille francs». Une somme qui permet aux candidats à l’émigration d’avaler en voiture une distance de 900 kilomètres pour se retrouver au pays du défunt Mouammar Kadhafi. Alors que 75 mille francs sont demandés au candidat désirant se retrouver en Algérie et qui doit parcourir une distance de 600 kilomètres.
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