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Mame Matar Guèye (Ong Jamra): ‘‘Supprimer la loi Latif Guèye, c’est dérouler le tapis rouge aux narcotrafiquants’’
Publié le samedi 1 octobre 2016  |  Enquête Plus
Cérémonie
© aDakar.com par DF
Cérémonie publique d`incinération de drogue
Dakar, le 07 Novembre 2014- Le ministre de l`Intérieur et de la Sécurité publique a participé à une cérémonie publique d`incinération de drogue, en présence du directeur de l`Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), Mame Seydou Ndour.




Le vice-président de l’Ong Jamra, Mame Matar Guèye, s’exprime sur les possibilités d’abrogation ou de révision de la loi criminalisant le trafic de drogue, qui porte le nom de son frère, Latif Guèye. Sous le feu de vives critiques, cette mesure trouve un défenseur en ce médiateur social qui estime qu’il est dangereux de l’extraire du dispositif légal. Entre autres questions d’actualité, Matar Guèye suggère également à Aliou Sall de ne pas répondre par le mutisme face aux interpellations sur l’affaire Pétro-Tim.

L’actualité est marquée par la mutinerie de Rebeuss, on n’a pas entendu Jamra se prononcer malgré les critiques sur la loi Latif Guèye (Ndlr : loi 2007-31 du 30 novembre 2007 criminalisant le trafic de drogue).

C’est une tragédie parce qu’il y a eu mort d’homme. Il y a tout naturellement une levée de boucliers de certains responsables d’acteurs de la société civile qui ont embouché la même trompette en rendant la loi Latif Guèye responsable de l’encombrement carcéral et par conséquent de la mutinerie du mardi 20 septembre. Cette loi avait pour origine de barrer la route aux narcotrafiquants qui étaient sur le point de transformer le pays en plaque tournante sous régionale du trafic de drogue. Pour l’exemple, il y a l’héroïne pure, aussi appelé héroïne-base, qui vient du triangle d’or Birmanie-Thaïlande-Laos traité et conditionnée dans les laboratoires sud-américains.

La destination finale, c’est l’Europe mais les barrières douanières sont infranchissables. La stratégie pour les trafiquants a été de pénétrer l’Europe en passant par l’Afrique. Le point le plus à portée pour eux, c’est l’Afrique de l’Ouest et Dakar se trouve à la pointe la plus occidentale. Ils ont été effrayés par le Code pénal gambien avec lequel ils encouraient un minimum de 20 ans de prison ; le Nigeria où en fonction de la quantité de drogue saisie l’auteur peut encourir jusqu’à la peine de mort. C’est là qu’ils se sont rabattus sur le Sénégal où le Code pénal était trop laxiste avec un maximum de six mois, et si vous avez un bon avocat, que trois mois. Avec 10 kilos d’héroïne, pour une valeur de 800 millions, ils étaient prêts à courir le risque. Ce qui fait que le Sénégal était presque devenu la poubelle du trafic de drogue et c’est ce qui a motivé Jamra à interpeller les autorités pour renforcer les sanctions pénales

Donc ce serait un mauvais signal envoyé que de revenir sur cette loi ?

Le 30 novembre 2007, cinq mois après être élu député, Abdou Latif Guèye a déposé sa proposition de loi. Elle a été votée à l’unanimité, et elle dit que si quelqu’un est pris pour trafic de drogue, c’est minimum 10 ans, assorti d’une amende qui fait le triple de la valeur de la drogue saisie. Bien sûr, cette loi n’a pas la prétention de résoudre à 100% le trafic de drogue. Mais elle a le mérite d’être une épée de Damoclès sur la tête des narcotrafiquants qui y regardent de plus près avant de prendre la destination Sénégal. C’est une loi fortement dissuasive ; vouloir l’affaiblir et a fortiori la supprimer, reviendrait à dérouler le tapis rouge. C’est une manière de leur dire : ‘‘Revenez ! la voie est libre.’’ Nous ne l’accepterons pas, le peuple sénégalais ne l’acceptera pas. Nous avons eu l’aval de tous les foyers religieux musulmans et de l’Eglise.

Par contre, nous ne nions pas qu’il y ait surpopulation carcérale. Avant les réformes du Code pénal et celle du Code de procédure pénale, l’ensemble des crimes de sang étaient jugés à la Cour d’assises comme les vols à main armée, les infanticides, les incendies volontaires. J’ai récemment entendu que même le vol de bétail devrait être criminalisé. La Cour d’assises était devenue un fourre-tout. Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas d’encombrement ? C’est injuste de cibler parmi l’ensemble de ces crimes-là un seul, la drogue, pour en faire le responsable de cet encombrement.

On peut combiner trois solutions mais avant cela, faisons cet aveu d’échec de l’Etat sénégalais dans la gestion de la répression des crimes et délits. D’abord des Chambres criminelles permanentes à la place des sessions de Cour d’assises. Ensuite, il faut relever les incongruités dans les 34 établissements d’arrêt et de correction comme celle de ce pickpocket à Rebeuss, qui attend son jugement depuis six ans, et les faire sortir pour alléger la population carcérale. Ensuite à notre décharge, nous proposons à l’Etat de revoir les articles 97 et 100 de la loi Latif Guèye. Nous demandons aux autorités d’enlever la dernière afférente à la sanction contre la consommation. Les actes des consommateurs ne doivent pas être criminalisés. Cela ne veut pas dire qu’on les absout. Ils peuvent relever des tribunaux correctionnels et de flagrants délits. Que la criminalisation s’applique seulement aux narcotrafiquants. Si l’Etat commet l’erreur de suivre certains extrémistes qui le poussent à abroger cette loi, il n’y aura plus de garde-fous.

Nous risquons d’être comme la Guinée Bissau, le Panama, la Colombie, tous taxés de narco-Etats. Les USA par exemple ont décidé de se passer de l’avis de l’Etat concerné si ce dernier est laxiste sur le contrôle des personnalités impliquées. Le contre-Amiral bissau guinéen, José Na Tchuto, qui avait des relations avec les cartels colombiens et panaméens, a été jugé aux Etats-Unis qui ont violé l’espace aérien et maritime de la Guinée pour le kidnapper. Il a été présenté devant un juge américain qui l’a inculpé, placé sous mandat de dépôt, sans possibilité de mise en liberté conditionnelle sous caution. C’est une honte pour un pays ! Cette loi, il faut la laisser, sinon d’autres plus puissants que nous vont venir régler les problèmes à notre place.

Concernant la législation toujours, le député Mberry Sylla, qui a déposé un avant-projet de loi pour la pénalisation de l’homosexualité, dit avoir reçu des menaces. Cette procédure a-t-elle des chances d’aboutir ?

Je renouvelle mes encouragements à Mberry Sylla et lui exprime la sympathie de Jamra. C’est un homme très brave. Il a rencontré notre président, l’imam Massamba Diop, alors qu’on venait de sortir de ce scandale du mariage homosexuel dans la nuit du Gamou. Vu notre précédent avec la criminalisation du trafic de drogue, nous nous sommes concertés avec lui puisqu’on n’a pas de députés dans la 12e législature. Il y a eu des séances de travail et un accord a été trouvé pour qu’il porte ce projet. Mberry est un homme du sérail. Il a pris la précaution d’aborder discrètement et individuellement ses collègues députés. Il a réussi la prouesse avant le déclenchement de la procédure législative de collecter 70 signatures qui sont d’accord avec la pénalisation et la voteront s’il y a plénière.

Il a déposé le projet entre les mains du président de l’Assemblée nationale avec ampliation auprès du groupe parlementaire majoritaire sans oublier une copie officiellement envoyée au président de la République Macky Sall. Nous exhortons Moustapha Niasse à programmer cette affaire qui tient à cœur le peuple sénégalais et particulièrement les députés. Nous souhaitons qu’avant la fin de cette législature, on puisse décisivement résoudre la question des provocations de ces lobbies homosexuels qui ne se gênent même plus de nous insulter aussi bien dans notre propre religion que dans nos institutions. Nous déplorons ces menaces de mort et je continuerai à tenter de joindre le député Mberry Sylla pour lui dire qu’il n’est pas seul dans ce combat. L’ONG Jamra l’accompagnera quoi qu’il arrive. Mais ces menaces ne passeront pas ; on a la loi Latif Guèye, on aura bientôt celle Mberry Sylla.

L’actualité, c’est également le Sénégal qui a été débouté par le Tribunal de grande instance de Paris dans la saisine des appartements de Bibo Bourgi et Karim Wade. Considérez-vous que la traque des biens mal acquis a échoué ?

Il s’agit d’une confrontation judiciaire avec tout ce que cela implique comme hauts et bas. Il y a eu des étapes où c’est l’Etat du Sénégal qui avait eu le dessus quand les avocats de Karim avait croisé le fer dans les juridictions sénégalaises. Et puisqu’on ne peut pas toujours être gagnant, cette fois, c’est Karim Wade qui a eu le dessus. Je félicite les avocats de l’Etat qui ont accepté cette défaite.

Mises à part les juridictions sénégalaises, celles internationales ont toujours débouté l’Etat du Sénégal, que ce soit l’arrêt de l’Onu, la juridiction parisienne…

Je crois que c’est une occasion pour l’Etat du Sénégal de revoir cette juridiction qu’est la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Elle est tellement exceptionnelle que les charges de la preuve sont renversées. Et l’opinion internationale s’en est offusquée de différentes manières. Ensuite, c’est une juridiction qui ne garantit pas la préservation des droits de la défense et la présomption d’innocence. L’Etat doit mettre fin à l’existence de ces juridictions d’exception. Nous avons des instruments juridiques qui n’ont cessé de faire leurs preuves en terme de détournement de deniers publics : la Cour des comptes est là, l’Inspection générale d’Etat également et tant d’autres. Laissons ces structures faire leur travail et essayons de tout faire pour éliminer cette juridiction qui n’a pas bonne presse au sein de l’opinion publique.

Le débat sur l’attribution et la cession de Petro-Tim à Timis Corporation occupe la scène politico-médiatique. Quelle est votre position sur la question ?

Ousmane Sonko était dans son droit quand il a interpellé le gouvernement. Il est non seulement un citoyen mais également un chef de parti et cela a été amplifié jusqu’à aboutir à sa radiation. Une chose que nous avons déplorée, parce que le Premier ministre Mahammad Boun Abdallah Dionne a pris le contre-pied de son prédécesseur, Abdoul Mbaye, quand ce dernier a emboîté le pas à Ousmane Sonko, à travers une sortie épistolaire. Le PM a répondu à cette déclaration point par point pour éclairer la lanterne des Sénégalais, c’est cela la démocratie. Ousmane Sonko pose une question : soit on y répond, soit on ne le fait pas. Mais personne n’a le droit de lui demander le fondement de sa question ou même le radier. Si la démarche du Premier ministre s’était généralisée sur toutes les interpellations autour de ces nouveaux gisements de pétrole et de gaz, je pense que le débat aurait été serein, diplomatique, démocratique. Les Sénégalais ont le droit de savoir. La preuve ? Le président de la République a donné instruction au Premier ministre de publier les contrats. Actuellement, c’est disponible sur le net et tout le monde peut y accéder. Il faut continuer dans cette dynamique et laisser tomber les menaces et autres invectives qui ne font qu’envenimer le débat.

Donc vous êtes contre la cristallisation du débat autour d’Aliou Sall ?

Tout à fait. Si j’étais Aliou Sall, j’aurais fait comme le Premier ministre qui a porté la réplique à son prédécesseur point par point. Abdoul Mbaye s’est vu servir des réponses civilisées et courtoises jusqu’à la fin de sa lettre. Il y a un proverbe qui dit : ‘‘Qui ne dit rien consent.’’ Vous pouvez vous taire et être dans votre droit mais l’opinion dira : ‘‘Puisqu’il se tait, c’est parce que…’’. J’aurais suggéré à Aliou Sall qui a été acteur dans ce secteur d’emboîter le pas au chef du gouvernement, de servir une réponse sous forme de point de presse ou de déclaration plutôt que de s’emmurer dans son mutisme.

Pensez-vous que la transparence prônée initialement par le parti au pouvoir est toujours de rigueur ?

Au début, c’était bien parti. Nous avions sorti une déclaration vers les premières heures de l’alternance en saluant cette obligation de reddition des comptes. Ce n’est pas de la politique mais une question de gestion des affaires publiques. On confie à quelqu’un un ministère ou une direction, c’est normal, quand il y a alternance, que le sortant fasse le point ne serait-ce que pour permettre à son successeur de connaître l’état des lieux afin de dérouler un programme. Nous avions salué cette démarche en tirant toutefois la sonnette d’alarme en disant qu’il faut humaniser cette traque des biens mal acquis. Par la suite, il y a eu des arrestations massives comme celle d’Aïda Ndiongue, d’Abdou Aziz Diop, et de Karim Wade qui est venue plus tard. Mais finalement, on voit que c’est en train de se dégonfler et cela nous ramène à cet obstacle majeur de la bonne marche de cette institution.

Est-ce que vous pensez que l’Apr a renoncé à la gestion sobre et vertueuse à travers l’affaire Pétro-Tim ?

J’ai fait allusion à la traque des biens mal acquis qui occupe une place centrale dans leur credo de gouvernance sobre et vertueuse. On s’est rendu compte que la Crei a terminé son travail. Certains sont même tentés de dire : ‘‘Est ce qu’elle n’a pas été créée pour… ?’’ Il n’empêche que c’est un credo louable. Mais le gouvernement et le Président Macky Sall doivent faire des efforts pour mettre en adéquation les actes, les propos par rapport à cette noble démarche. La gouvernance sobre et vertueuse est un travail permanent, de tous les jours, pour qu’on essaye de mettre en adéquation nos actions, nos propos, nos engagements et nos prises de positions.

Les mouvements syndicaux (santé et justice) sont présentement en grève. Que préconisez pour éviter ces perturbations récurrentes ?

Comme disaient nos ancêtres lébous, il faut bien qu’il y ait quelqu’un pour faire la paix quand tout le monde se bat. L’Etat ne peut pas être juge et partie. Quand il est en conflit avec des populations, des institutions, il faut bien faire appel à un ‘‘troisième larron’’ qui joue les bons offices. L’Etat a bien voulu reconnaître ce rôle à Jamra pour les conflits sociaux (Ndlr : Ama-Sénégal, FNPJ, Anej, Anama, anciens combattants de la guerre du Golfe, victimes de l’incendie de la Foire…). Ces dossiers avancent avec l’avantage certain qu’ils ont contribué à apaiser le front social. Pour Ama par exemple, notre médiation a conduit à un premier décaissement de 130 millions et un autre est sur la table de la Trésorerie générale. Que l’Etat fasse la même chose pour l’Enseignement, la Santé, la Justice. Il faut trouver des personnes crédibles dans le milieu religieux, sportif, associatif. Avec ces syndicats, c’est ce type de médiation qui manque. J’invite les bonnes volontés comme Serigne Modou Kara à s’impliquer.

Doit-on s’inquiéter pour l’ouverture des classes ?

Disons-nous la vérité. Les victimes essentielles de ces grèves à répétition sont les enfants. Il faut que le ministre de l’Education maintienne un dialogue permanent avec ceux qui portent les revendications des enseignants. Ce qui est mauvais, c’est que chacun fasse planer sur la tête de l’autre une épée de Damoclès par la rétention des notes ou les menaces de bloquer les salaires. Nous sommes pour le ‘‘Ubi tey, jang tey’’, mais nous sommes contre le ‘‘ubi tey, jang tey, grève subë’’ comme quelqu’un l’a dit. Il faut réussir cette mission pour le bonheur de nos enfants envers qui nous avons de grandes responsabilités.
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