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Observations sur le projet de reforme portant sur le statut des magistrats et le conseil superieur de la magistrature
Publié le mercredi 17 aout 2016  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par DF
La Rentrée solennelle des cours et tribunaux 2016
Dakar, le 12 Janvier 2016 - La Rentrée solennelle des cours et tribunaux a eu lieu, ce matin, à la Cour Suprême. Elle a été présidée par le chef de l`État Macky Sall. Les plus grandes personnalités de l`État ont assisté à la cérémonie qui avait comme thème: "les collectivités locales et le contrôle de légalité".




Lors de l’ouverture de l’Assemblée générale de l’Union des magistrats sénégalais (UMS) tenue à SALY les 5 et 6 Août 2016, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, a fait part aux magistrats de la décision du gouvernement sénégalais de faire passer, à la prochaine rentrée parlementaire, le projet de réforme portant sur le Statut des magistrats et le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM).

Cette réforme, destinée à renforcer les garanties statutaires des magistrats, est naturellement attendue avec beaucoup d’impatience par l’ensemble du corps judiciaire.

La lecture du projet de réforme laisse apparaître beaucoup d’aspects positifs tels que :

- La création de nouveaux emplois judiciaires,

- La réduction de la durée de l’avancement dans l’ordre hiérarchique des magistrats qui peuvent désormais accéder au grade Hors Hiérarchie dès la 18ème année d’ancienneté,

- L’augmentation du nombre de magistrats élus au Conseil Supérieur de la Magistrature,

- L’aménagement d’une voie de recours contre les sanctions prononcées par le Conseil de discipline,

Il nous semble toutefois, au regard des objectifs annoncés, que la réforme comporte des insuffisances qu’il serait utile de redresser.

Ces insuffisances concernent principalement deux aspects : l’indépendance du juge et la gestion de la carrière du magistrat.

DE L’INDEPENDANCE DU JUGE

Deux dispositions nous semblent poser problème :

- L’article 5 relatif à la règle de l’inamovibilité,

- L’article 17 relatif au pouvoir d’avertissement conféré aux chefs de juridiction



A. Les nouvelles dispositions sur la règle de l’inamovibilité

Quand on parle d’indépendance de la justice, il est capital de distinguer ce à quoi renvoie cette notion de ce qui la garantit.

En disposant à l’article 90 de notre Charte fondamentale que, dans l’exercice de leurs fonctions, les juges ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi, le constituant sénégalais a entendu donner l’exacte mesure de cette condition, qui exige des magistrats qu’ils s’affranchissent de toute forme d’influence.

Ainsi entendue, l’indépendance renvoie non seulement à une question d’état d’esprit, mais également aux rapports que la justice entretient avec les autres pouvoirs ou groupes de pression.

Cependant, pour être effective, l’indépendance doit être garantie de manière à ce que le juge soit assuré de pouvoir exercer son office en son âme et conscience sans s’exposer à des mesures de représailles de la part de l’exécutif ou d’un quelconque autre pouvoir.

C’est précisément l’objet de l’article 5 de la loi organique n°92-27 du 30 mai 1992 portant statut des magistrats qui pose la règle de l’inamovibilité, les juges ne pouvant en principe être affectés sans leur consentement, sauf en cas de nécessité de service.

Mais cette règle qui est censée préserver l’indépendance du juge en le mettant à l’abri des velléités de représailles du pouvoir exécutif, a toujours été, en pratique, vidée de sa substance par le recours systématique à la notion de « nécessité de service », installant du coup les juges dans une situation très précaire.

Cette situation de précarité dans laquelle se trouvent la quasi-totalité des magistrats, y compris certains chefs de cour,[1]nous paraît incompatible avec la sérénité et l’esprit d’indépendance que requiert la fonction de juger.

Lorsque des membres du conseil supérieur de magistrature, dont le rôle est de veiller au respect des garanties statutaires des magistrats, sont eux-mêmes dans une situation de précarité qui les expose à la colère de l’Exécutif, il devient naturellement difficile pour ne pas dire illusoire, de parler d’indépendance de la justice.

Dans le projet de réforme, de nouvelles dispositions ont été prévues pour remédier à cette situation. C’est ainsi que pour renforcer l’indépendance du magistrat, l’article 5 du statut, devenu article 4, a été modifié ainsi qu’il suit :

Ancien article 5

« Les magistrats du siège sont inamovibles. Ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement, sans leur consentement préalable.

Toutefois, lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination, après avis conforme et motivé du Conseil Supérieur de la Magistrature qui indiquera la durée maximum pour laquelle le déplacement est prévu ».

Nouvel article 4 :

« Les magistrats du siège sont inamovibles.

En dehors des sanctions disciplinaires du premier degré, ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement sans leur consentement préalable, sous réserve des dispositions des articles 89 et suivants.

Toutefois, lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination,

après avis conforme et motivé du Conseil Supérieur de la Magistrature spécifiant lesdites nécessités de service ainsi que la durée du déplacement et uniquement pour un emploi supérieur ou équivalent à celui qu’ils occupaient précédemment. Cette durée ne peut excéder trois ans ».

L’article 89 auquel renvoie l’article 4, précise que la durée maximale d’exercice de la fonction de chef de juridiction à la tête d’une Cour d’appel, d’un TGI et d’un TI est fixée respectivement à six, cinq et quatre années.

Comme on peut le constater, les modifications envisagées portent sur l’encadrement des affectations pour nécessité de service. Mais à l’analyse, il est aisé de constater que cette modification ne résout pas les préoccupations des magistrats par rapport à la problématique de leur indépendance.

Certes, le nouveau texte a prévu que les nécessités de service doivent être spécifiées et que le juge ne peut être affecté qu’à un emploi supérieur ou équivalent. Mais même si elles ont le mérite d’encadrer l’usage de la notion de nécessité de service, ces deux conditions ne remettent nullement en cause la possibilité pour l’Exécutif de faire déplacer un magistrat jugé « récalcitrant ».

D’une part en effet, l’indication des motifs caractérisant les nécessités de service ne constitue pas une condition suffisamment contraignante pour limiter le recours à cette notion car à supposer même que les motifs avancés ne soient pas convaincants, le magistrat concerné a peu de chance de faire annuler la mesure une fois que le conseil l’a entérinée.

D’autre part, des emplois peuvent être équivalents en droit sans revêtir le même attrait du point de vue des responsabilités et de l’expérience professionnelle qu’on peut en tirer.

Ainsi, avec le nouveau texte, le Doyen des juges pourrait légalement être affecté comme premier substitut ou premier vice-président d’un TGI hors Classe, pourvu que les nécessités de services soient spécifiées.

De même, le président du TI hors Classe de Dakar pourrait se retrouver juge d’un tribunal de grande instance hors classe sans qu’on ne puisse invoquer une atteinte à son indépendance. En tout état de cause, le problème du magistrat réside moins dans la nature de l’emploi auquel le destine la nouvelle affectation que le sentiment de précarité dans lequel le confine la possibilité d’être affecté à tout moment.

Au regard de ces considérations, il nous parait clair que le recours à la notion de nécessité de service, même avec l’encadrement envisagé, contribuera à maintenir le juge dans cette situation de précarité jusqu’ici décriée.

La solution consisterait à notre avis à supprimer toute référence à l’affectation pour cause de nécessités de service et à prévoir, lors de chaque nomination à un poste, une durée maximale d’exercice au cours de laquelle aucune affectation ne serait autorisée sans le consentement de l’intéressé, sauf en cas de faute disciplinaire ou d’empêchement dûment constaté.

A l’expiration de la période, le juge pourrait choisir entre plusieurs juridictions d’affectation. Cette solution aurait l’avantage de concilier le souci de favoriser une nécessaire mobilité professionnelle avec le respect dû à la règle de l’inamovibilité.

L’article 4 pourrait donc, au regard de toutes ces observations, être reformulé ainsi qu’il suit :

« Les magistrats du siège sont inamovibles.

En dehors des sanctions disciplinaires du premier degré ou d’un empêchement dûment constaté, ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement sans leur consentement préalable, sous réserve des dispositions de l’article 89 du présent statut ».

Bien entendu, l’article 89 devrait être complété de manière à inclure tous les magistrats, chaque poste devant être occupé pour une durée précise.

B. Le pouvoir de donner un avertissement conféré aux chefs de juridictions

Le projet consacre une innovation à travers l’article 17 qui dispose que : « En dehors de toute action disciplinaire, les chefs de cour ont le pouvoir de donner un avertissement aux magistrats placés sous leur autorité. L’avertissement est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucun nouvel avertissement ou sanction disciplinaire n’est intervenu pendant cette période ».

A la lecture de ces dispositions, on ne peut manquer de s’interroger sur l’opportunité d’une telle innovation dans le cadre d’une réforme censée renforcer l’indépendance des magistrats.

Il nous semble au contraire que, tel qu’il est prévu, ce pouvoir risque de constituer une sérieuse entorse à leur indépendance.

En effet, l’article n’indique ni les motifs pouvant justifier un avertissement, ni la procédure à suivre avant d’en arriver à cette sanction. En outre, la possibilité de faire un recours n’est pas évoquée. Ainsi, un juge peut se retrouver avec un avertissement inscrit au dossier sans avoir été entendu ni eu la possibilité de faire un recours. Or, nul ne peut avoir la garantie que tous les chefs de juridiction auront en permanence suffisamment de sagesse pour ne pas abuser de ce pouvoir.

Il est certes louable de chercher à asseoir l’autorité des chefs de juridiction. Mais tout doit se faire dans le respect des règles qui garantissent l’équité dans les procédures administratives ou disciplinaires, à savoir le respect du principe du contradictoire et le droit au recours. A cet égard, nous pensons qu’il vaudrait mieux, à l’instar du statut général de la fonction publique,[2]faire de l’avertissement une sanction disciplinaire soumise au même régime que les autres sanctions.

S’agissant des magistrats, le conseil de discipline devrait être la seule instance habilitée à prononcer une mesure de sanction dans le cadre d’une procédure juste et équitable.

Par ailleurs, il nous semble que la réforme envisagée ne garantit pas suffisamment de transparence dans la gestion de la carrière des magistrats.

I. DE LA TRANSPARENCE DANS LA GESTION DE LA CARRIERE DU MAGISTRAT

La réforme contient des innovations destinées à améliorer la gestion de la carrière des magistrats. Il s’agit de :

- l’augmentation du nombre de magistrats élus au sein du CSM. Ce nombre passe de trois à quatre, le deuxième grade ayant droit désormais à deux représentants élus.[3]

- la fixation de la durée maximale d’exercice de certaines fonctions[4]

- L’amélioration des modes d’évaluation du magistrat traduite par une note chiffrée assortie d’une appréciation globale basée sur le professionnalisme et le mérite[5]

Ces mesures sont loin de correspondre à ce que les Magistrats sont en droit d’attendre d’une réforme du CSM digne de ce nom.

C’est le lieu de rappeler que le magistrat Ibrahima Hamidou Dème a publié, il y a quelques mois, un très intéressant article sur la réforme du CSM[6].

Quelques-unes de ses propositions que nous reprenons ici, nous semblent indispensables si l’on veut aboutir à une gestion véritablement transparente de la carrière des magistrats.

A. Publication des postes vacants et appels à candidature

La logique de transparence et de mobilité professionnelle qui justifie la rédaction de l’article 89 fixant la durée maximale d’exercice de certaines fonctions devrait à notre sens, être renforcée. A l’expiration de la durée prévue à l’article 89, les postes devraient être déclarés vacants et soumis à appel à candidature par la Direction des services judiciaires. Les dossiers de candidature, accompagnés des notes d’évaluation, pourraient être soumis à l’appréciation des membres du CSM pour les propositions de nomination.

B. Le pouvoir de proposer aux postes de nomination devrait revenir exclusivement au conseil supérieur de la magistrature

Aux termes de l’article 8 du statut, c’est le Ministre de la justice qui propose aux postes de nomination. Selon quels critères ? Nul ne peut le dire.

Nous pensons que ce pouvoir de proposition aux postes de nomination devrait revenir au conseil supérieur de la magistrature. Car qui, mieux que les membres du conseil, notamment les chefs de cour, est en mesure d’apprécier les qualités des magistrats et de choisir les personnes répondant aux profils recherchés ?

Cette procédure offre l’avantage de pouvoir mettre fin aux supputations sur les motivations qui seraient à la base de certaines propositions de nominations.

L’article 8 devrait donc être modifié dans ce sens.

A défaut de parvenir à une telle modification, les membres du conseil devraient être mis dans les conditions de pouvoir donner leur avis en toute connaissance de cause. Il nous a été donné d’apprendre en effet que dans la pratique, c’est au dernier moment que les membres reçoivent l’ordre du jour.

Or, ils devraient disposer de suffisamment de temps pour vérifier si les mesures envisagées :

- sont conformes au statut

- ne sont pas susceptibles de créer des dysfonctionnements dans les juridictions

- correspondent aux choix de carrière des concernés

Un délai minimum de quarante-huit (48) heures nous semble indispensable pour examiner sérieusement les propositions de nomination.

Il est temps de mettre un terme à la pratique qui consiste à tenir les réunions du CSM en catimini. Certes, pour justifier cette pratique, on évoque souvent des raisons liées aux interventions jugées intempestives auxquelles on assiste à l’occasion de certaines réunions du CSM.

Cependant, force est d’admettre que ce qui encourage le recours à ces interventions, c’est précisément l’absence de transparence et de lisibilité dans les critères qui président aux propositions de nomination. Il n y a pas mieux que la transparence pour mettre fin aux jeux de coulisse, aux frustrations et au sentiment d’injustice qui gagne de plus en plus du terrain chez les magistrats.

En définitive, les amendements que nous proposons sont les suivants :

v Concernant le projet de loi sur le statut

· Modifier l’article 4 dans le sens d’une suppression de toute possibilité d’affectation pour cause de nécessité service et préciser que durant la période prévue par son acte de nomination, le juge ne pourra être affecté sans son consentement que pour faute disciplinaire ou empêchement dûment constaté.

· Supprimer l’article 17 et intégrer l’avertissement au rang des sanctions disciplinaires de premier degré prévues à l’article 18 du projet de Statut.

· Compléter l’article 89 et prévoir l’obligation de procéder à la publication des postes vacants et aux appels à candidature.

v Concernant le projet de loi sur le CSM

· Modifier l’article 8 pour confier le pouvoir de faire des propositions de nomination au conseil supérieur de la magistrature ou, à défaut,

· Prévoir un délai minimum de quarante-huit (48) heures pour la transmission des propositions du ministre aux membres du CSM.

CONCLUSION

Les projets de réforme que le Ministre de la justice a promis de faire passer à la prochaine rentrée parlementaire consacrent sans aucun doute des avancées qu’il faut saluer.

Mais à notre avis, il n’est pas encore tard pour améliorer le texte et envisager des amendements dans le sens d’un renforcement de l’indépendance des juges et d’une plus grande transparence dans la gestion de leur carrière. Car il serait dommage qu’après avoir tant attendu, nous laissions voter un texte qui, par certains de ses aspects, laisserait croire, comme disait Pascal, que : « Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force ».

Souleymane TELIKO, Magistrat
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