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Violences sexuelles sur les jeunes filles: Indifférence coupable !
Publié le lundi 11 juillet 2016  |  Enquête Plus




Actuellement, il n’est pas rare de voir à la Une d’un quotidien, une histoire sordide de violence sexuelle dont les jeunes filles payent un lourd tribut. Selon des études, au Sénégal, sur un effectif de 10 000 de ces jeunes victimes (de 7 à 12 ans) de violence sexuelle, seules 3 200 cas ont eu accès à la justice. Traumatisé par ces chiffres et les conséquences «désastreuses» de ce phénomène social, le directeur du (Cegid) déplore l’attitude du pouvoir public. Selon Serigne Mor Mbaye, ce pouvoir ne prend pas de sanctions «lourdes» contre les auteurs de ces troubles.


‘’Ahurissant’’, c’est le mot du psychologue-clinicien Serigne Mor Mbaye, par ailleurs directeur du Centre de guidance infantile et familiale (Cegid), pour traduire le phénomène des violences sexuelles dans notre société actuelle. A propos de ces violences, il martèle : « Depuis plus d’une dizaine d’années, on fait une alerte en disant au pouvoir public que notre société est en crise (…) Quand on parle de 3 000 cas, il faut compter 10 000 parce que, tout le monde n’accède pas à une maison de justice, au tribunal non plus. Il s’y ajoute la dissimilation, car peu de violences sexuelles sont dénoncées». Le psychologue-clinicien, Serigne Mor Mbaye, se bat inlassablement contre cette pratique sociale qui dépasse la cruauté humaine. Son centre est basé non loin de Khar Yall, banlieue dakaroise. Il fait un diagnostic sans complaisance du regard de la société sénégalaise sur ce phénomène, et parle de sujet «tabou». ‘’Quand vous dénoncez ce qui se passe, on vous dit : c’est une question éminemment taboue. La société sénégalaise est donc quelque peu folle, parce qu’elle se présente sous un tableau religieux, de paix, alors que le ministère de la justice de notre pays a eu le courage, en 2014, de dire clairement, face aux Sénégalais, qu’il y a eu 3 200 cas de viols recensés au Sénégal.’’

M. Mbaye se dit bouleversé par cette percée de la violence sexuelle exercée sur les jeunes filles. De retour de Centrafrique où il a comptabilisé 600 000 cas de viol dans ce pays qui traverse une situation de conflit, le psychologue estime que la société sénégalaise ne prend pas assez conscience de ce désastre. Qui, avance-t-il, est issu de la crise des valeurs, de la perte de repère situationnel, d’une crise idéologique, etc. Le Cegid, poursuit-il, est déçu de la manière dont on gère ces questions de violence sexuelle sur les jeunes filles au Sénégal. Serigne Mor Mbaye et ses camarades d’accabler le pouvoir public. «Ce dernier, n’en parlons pas. Parce que, comment afficher 3 200 cas de viol et puis, après, on ne fait plus rien ? Nous, ce que nous faisons, c’est comme une goutte dans la mare. Et nous avons la certitude qu’aucune société humaine ne peut évoluer avec cette situation de maltraitance et d’abus sexuels sur les groupes vulnérables qui constituent la majeure partie de sa population », condamne le psychologue. A ses yeux, les enjeux économiques, l’émergence… dépendent aussi de la façon dont les cas de ces femmes et enfants sont réglés.

500 cas de viols à Pikine en 2015

Au Sénégal, les observatoires de lutte contre la maltraitance et les abus sexuels qui se trouvent en banlieue dakaroise (Pikine), à Thiès et à Mbacké (Diourbel) ont, en l’espace de deux ans, reçu 400 victimes d’abus sexuels. La boutique de droit de l’Association des femmes juristes du Sénégal (AJS) a, quant à elle, dénombré 43 jeunes filles victimes de violence sexuelle parmi les 500 cas de viols qu’elle a répertoriés à Pikine (banlieue dakaroise), en 2015. Selon la secrétaire exécutive de l’AJS, qui a révélé ce chiffre au cours d’un atelier de formation sur la stratégie de communication en matière de plaidoyer pour la protection des droits de l’enfant, les autres localités ne sont pas épargnées par ce fléau. Son constat est préoccupant: ‘’Il n’y a pas un jour qui passe sans que la presse ne nous relate dans la rubrique ‘Faits divers’ une sordide histoire de viol ou de violence exercée sur un enfant’’, observe Mme Awa Tounkara.

La coordonnatrice du département femme et enfant à la Raddho abonde dans le sens et dénonce les mutilations génitales féminines. ‘’On pensait que cette pratique néfaste était en train de reculer dans ce pays, mais tel n’est pas le cas. Elle reste une réalité dans les régions comme Kédougou où le taux de femmes âgées de 15 à 49 ans, excisées, tourne autour de 92%, à Matam 87%, à Sédhiou 86% et à Tambacounda 85%’’. Et pourtant, le Sénégal dispose d’un cadre juridique très protecteur avec la ratification, pratiquement, de toutes les conventions internationales et régionales qui militent en faveur de ces groupes vulnérables. Les spécialistes de cette question de violence sexuelle, dépités par ces dérapages sociaux, dénoncent le manque de volonté politique de l’Etat. Aussi espèrent-ils que la décision du président de la République de sortir les enfants talibés de la rue sera, cette fois-ci, la bonne. Couna Thioye fait remarquer qu’à ‘’deux reprises, l’Etat est revenu, sous la pression des religieux, sur l’arrêté interdisant la mendicité des enfants sur la voie publique. En opposant un manque de moyens pour financer le plan stratégique national pour la protection des enfants’’. Elle rappelle qu’à cet effet, l’Etat avait demandé ‘’aux bailleurs 5 milliards de F Cfa pour financer ce plan’’.

Phénomène mondial

Le dernier rapport de l’Onu, publié en fin 2015, montre que plus du 1/3 des femmes dans le monde ont été victimes de violence physique ou sexuelle à un moment de leur vie. Et, ces violences concernent les mutilations génitales, les mariages précoces, les violences conjugales, les viols etc. En plus, les récentes études internationales de l’Unicef et de l’Oms font le constat d’une insuffisante reconnaissance et prise en charge des violences sexuelles subies par cette couche sociale. Dans le monde, 120 millions de filles (une sur dix) ont subi des viols. Et la prévalence des violences sexuelles est de 18% pour les filles et de 7,5% pour les garçons. L’étude constate que 81% des victimes de violences sexuelles ont subi les premières violences avant l’âge de 18 ans, 51% avant 11 ans et 23% avant 6 ans. Chaque année, renseigne-t-on, 102 000 adultes sont victimes de viol et de tentatives de viol (86 mille femmes et 16 mille hommes), en France.

Au moment où les mineures, victimes de violence sexuelle en France, sont estimées à 154 000 (124 000 filles et 30 000 garçons), au Sénégal, les acteurs qui s’intéressent à cette question font état de plus de 3 000 cas enregistrés. Et leur tranche d’âge tourne autour de 7 à 12 ans.

Traumatismes psychologiques

Les violences sexuelles font partie des pires traumas. Et la quasi-totalité des enfants victimes développent des troubles psycho-traumatiques. Ces traumas ne sont pas seulement psychologiques, mais aussi neuro-biologiques avec des atteintes corticales et des altérations des circuits émotionnels et de la mémoire à l’origine d’une dissociation et d’une mémoire traumatique. Selon Michel Barzach, présidente de l’Unicef France et Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association ‘’Mémoire traumatique et victimologie’’, ces enfants ‘’gravement’’ traumatisés développent des stratégies hors normes pour survivre aux violences et à leur mémoire traumatique qui- telle une machine infernale à remonter le temps- leur fait revivre à l’identique ce qu’ils ont subi, comme une torture sans fin.

‘’Ces stratégies de survie (conduites d’évitement et conduites à risque dissociantes) sont invalidantes et à l’origine de fréquentes amnésies traumatiques (34 %). Traumas et stratégies de survie s’installent dans la durée. Si la mémoire traumatique n’est pas traitée de façon spécifique, ils vont gravement impacter la santé et la qualité de vie des victimes et les exposer à des revictimisations (7 victimes sur 10 ont subi des violences sexuelles à répétition)’’, lit-on dans leur enquête intitulée : ‘’Violences sexuelles faites aux enfants : une urgence humanitaire’’.

Et il faut noter que les conséquences sur la santé de la victime à long terme sont énormes. Il s’agit du risque de mort précoce par accidents, de maladies et suicides (selon l’enquête, elles sont 45 % à avoir tenté de se suicider), d’épilepsie, de troubles psychiatriques, d’addictions (pour 48% des victimes), de troubles de l’immunité, de troubles gynécologiques, digestifs et alimentaires, de douleurs chroniques, etc. Une prise en charge adaptée permet aux victimes, en traitant leur mémoire traumatique, de ne plus être dominées par les violences et les agresseurs, d’activer une réparation neurologique et d’en stopper les conséquences.
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