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Awa tounkara Cissé, secrétaire exécutive de l’Ajs: « La violence sexuelle existe dans tous les milieux »
Publié le lundi 11 juillet 2016  |  Enquête Plus




La secrétaire exécutive de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs) est en croisade contre la violence sexuelle dont les jeunes filles sont souvent victimes. D’ailleurs, pour faire face à ce phénomène qui, à ses yeux, est devenu récurrent, Awa Tounkara Cissé invite l’Etat du Sénégal à harmoniser sa législation avec les instruments juridiques internationaux qu’il a déjà ratifiés. Dans cet entretien, Mme Tounkara, qui lève un coin du voile, jette un regard critique sur ce fléau qu’elle qualifie de « néfaste ».



Votre association travaille dans le domaine de la lutte contre la violence sexuelle exercée sur les jeunes filles. Quelle appréciation faites-vous de ce phénomène social au Sénégal ?

Comme tout le monde, c’est un phénomène que notre association déplore. Et on dirait qu’il est devenu quelque chose de vraiment accru, malgré tous les efforts consentis au niveau de la législation, de la prévention, de la protection, etc. Nous avons l’impression qu’il ne recule pas du tout. Parce que, pratiquement, on enregistre tout le temps des cas de viol, de harcèlement, de pédophilie entre autres, au niveau de nos différentes boutiques de droit. C’est comme si on ramait à contre-courant. Malgré le travail immense de sensibilisation et de plaidoyer que nous avons fait, le mal persiste. Mais avec le temps, nous espérons que les résultats seront très marquants.

Quelles sont, à votre avis, les formes de violences sexuelles auxquelles cette classe sociale est confrontée?

Les violences sexuelles sont les plus frappantes, marquantes. Mais il y a celles dites silencieuses, le harcèlement sexuel au niveau des établissements scolaires, des lieux professionnels. Et parfois, les gens pratiquent le phénomène sans le savoir. A titre d’exemple, des parents qui commettent des actes de violence envers leurs fils de façon insoupçonnée dans la manière de les traiter, les petits noms, les injures, les mariages d’enfants… Tous ces facteurs peuvent blesser la jeune fille. Donc, les jeunes sont exposés à plusieurs formes de violence.

Quelle est, sur la liste dont vous venez de faire état, la violence la plus récurrente que vous enregistrez dans le cadre de la lutte que l’AJS mène pour la protection de ces jeunes filles?

Au niveau de nos boutiques de droit, nous enregistrons des violences physiques, sexuelles, les abus, etc. Par contre, il y a des victimes qui n’osent pas dénoncer les actes de viol. Et il y a beaucoup de cas de violence psychologique. Je rappelle que toutes les violences ont des conséquences psychologiques.

Selon vous, quelles sont, au Sénégal, les zones géographiques les plus affectées par ce fléau?

Je dis que c’est général. Il existe dans tous les milieux rural et citadin. Maintenant, je dois signaler qu’il y a des pratiques qui sont culturelles. Et elles sont néfastes à l’éducation de l’enfant. Par exemple, le faire travailler à un certain âge, la mutilation génitale. A Dakar, vous trouverez beaucoup moins de mutilation génitale que dans la région de Kolda ou Sédhiou. Et à mon avis, le Sud est la région la plus touchée par le phénomène de la violence sexuelle faite aux jeunes filles. Au Fouta aussi, les gens pratiquent le mariage précoce.

L’augmentation géographique de la population, la pauvreté … peuvent-elles être des facteurs qui favorisent la violence que vous qualifiez «néfaste»?

Effectivement, si ces facteurs ne sont pas bien maîtrisés, ils peuvent y contribuer. Hormis ces éléments, il y a la promiscuité, l’ignorance, etc. Cette dernière est à la base de tout cela. Donc, je pense qu’on doit davantage travailler à informer les populations sur la violence sexuelle faite aux jeunes.

Quelles sont les conséquences qui peuvent en découler?

La violence impacte sur le trauma de la victime ; la fille victime peut même avoir un comportement déviant. La violence sexuelle est une menace pour la paix sociale. Economiquement, les conséquences peuvent avoir des impacts sur l’Etat. Parce qu’il doit les prendre en charge, de même que toutes les personnes qui sont victimes de ce fléau.

Vous avez mentionné le rôle que l’Etat doit jouer, en cas de violence sexuelle. Réellement, sentez-vous le soutien du pouvoir public à vos côtés dans cette lutte ?

Oui, on le sent, même si on peut déplorer certaines choses. Parce que ce qu’il fait est minime par rapport à nos attentes. Il a fait de l’enfant une préoccupation majeure. Tout ce qui concerne l’éducation, les politiques et programmes, l’enfant est au cœur. Il est pris en charge dans toutes les directions, ministère de la Santé, de l’Education, de la Famille, du Travail,…De ce point de vue, je dis que c’est une question transversale. Mais on doit faire encore plus d’efforts, parce que le phénomène persiste.

L’AJS est-elle satisfaite de la politique de l’enfance que l’Etat déroule?

Bon, nous l’encourageons, parce qu’il peut mieux faire. La preuve, on a ratifié tous les instruments juridiques ; le Code de l’enfant est en état de projet. Je pense qu’il y a des efforts à faire, c'est-à-dire que le Sénégal doit harmoniser sa législation nationale avec les instruments juridiques internationaux qu’il a ratifiés. L’Etat aurait dû avoir le courage d’appliquer les lois protectrices des droits des enfants. Le pays a ratifié la Charte africaine pour les droits et le bien-être de l’enfant qui fixe l’âge du mariage à 18 ans aussi bien pour la fille que pour le garçon. Mais, malheureusement, on ne respecte rien, parce que le Code de la famille permet de marier l’enfant à 16 ans. Sous ce rapport, il faut que ce Code soit harmonisé avec les conventions internationales protectrices de l’enfant.

Y a-t-il des obstacles auxquels vous faites face dans cette lutte ?

Souvent, c’est le problème de l’application de la loi. Parfois, certains parents ne dénoncent pas la violence sexuelle. On arrive même à les banaliser. Les gens ne comprennent pas que la pédophilie est aussi grave que le viol ; le retrait de la plainte par les parents de la victime. Par ailleurs, ils n’ont pas le temps de suivre le dossier de l’enfant au tribunal, du fait des contraintes économiques de la vie. Et on comprend, parce qu’ils font tout pour assurer la dépense quotidienne. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle il y a un fonds d’assistance au tribunal pour ces familles démunies. Nous aussi, au niveau de l’Ajs, nous faisons la même chose avec un fonds de soutien. Mais ce n’est pas du tout suffisant.

Justement, dans ce cas, l’accès à la justice est-il facile pour ces familles?

Non, pas pour tout le monde. Parce qu’au Tribunal, on vous demande un certificat médical qui a des coûts, des actes d’huissier. Si la personne n’est pas préparée à toutes ces questions, elle va renoncer. Il y a des parents qui ne peuvent même pas établir l’âge de leur fille victime de violence sexuelle, parce qu’elle n’a pas de certificat de naissance. Là aussi, ça pose beaucoup de problèmes à notre niveau.

Vous avez diagnostiqué le problème. Maintenant, qu’est-ce qu’il faut faire pour enrayer le mal?

D’abord, il faut lutter contre l’ignorance. C’est la base de tout, informer les gens sur les conséquences de ce phénomène. Les enfants, dès le bas-âge, doivent être éduqués à respecter les valeurs des droits humains. Ceci pour qu’ils puissent, demain, être des citoyens respectueux des droits de l’Homme.
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