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Cotiser pour faire face à la cherté de la viande: Le ‘’bokkaaté’’ fait le bonheur de ces dames
Publié le samedi 25 juin 2016  |  Enquête Plus
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© Autre presse
Les éleveurs font face à une recrudescence du vol de bétail dans le monde rural




Vouloir régaler sa famille de mets copieux avec une bourse de prolétaire. Voici le dilemme auquel sont confrontées les femmes du Djolof. Pour s’en tirer à bon compte, les ménagères font recours à une astuce appelée ‘’bokkaaté’’ (cotisation) et dans le respect des règles d’hygiène. Il faut savoir que la localité offre le paradoxe d’être une zone d’élevage où la viande coûte cher. De quoi pointer du doigt les rabatteurs. Reportage !

Malgré l’heure matinale au marbath (marché des petits ruminants) de Dahra, le lieu grouille de monde. A 9h déjà, les rayons mordants d’un soleil brillant annoncent une journée encore chaude. Les populations, venues des quartiers périphériques de la ville et des bourgades du Djolof, ont fait le déplacement qui pour vendre leur bétail qui pour s’approvisionner en viande. Mais, il n’y a pas que les deux bouts de la chaîne de production. C’est un monde hétéroclite. Chacun essaye de régler au mieux son problème. Bouchers et rabatteurs y trouvent leur compte. Sans oublier les vendeurs d’arachide et de foin, les charretiers, les cochers, les vétérinaires, les taxis-brousse, les marchands ambulants, etc. qui squattent les lieux.

En ce mois de pénitence, les braves ménagères mettent un point d’honneur à servir autre chose que le célèbre et non moins tyrannique ‘’ceebu jën’’ (riz au poisson). Ramadan oblige ! Les chefs de famille font la fine bouche et boudent ostensiblement le poisson qui n’est pas de première fraîcheur. Ici, dans cette zone sylvo-pastorale, pendant le mois béni, l’on consomme beaucoup de viande, plus que d’habitude. Sur place, le visiteur est attiré par le nombre impressionnant de femmes qui attendent impatiemment l’arrivée des éleveurs de petits ruminants. Les caprins ont la cote. Sont-ils de meilleur goût ou plus abordables ? Les femmes s’assoient par grappes pour faire du bokkaaté. Cette pratique qui consiste à se cotiser pour acquérir un ovin ou caprin, payer les frais de consultation, d’abattage et se partager les tas de viande fraîche au prorata des cotisations. L’astuce ici est de préparer un succulent mets sans trop dépenser.

Le service vétérinaire veille au grain

De mémoire de rabatteur, cette cotisation date d’un demi-siècle au Djolof. Il permet à la ménagère de présenter à sa famille, à l’heure du repas, un plat copieux. Pour en savoir un peu plus, nous prenons l’attache de Talla Babou, un jeune boucher qui a trouvé sa voie dans le créneau.

Nous croisons sur notre chemin le chef des lieux, Baba Ndiaye, qui ne cherche pas midi à quatorze heures pour dévoiler les avantages de ce partage de bonne chair qui est inscrit maintenant dans l’agenda culturel du Djolof. « Les femmes qui sont les principales bénéficiaires marchandent elles-mêmes une chèvre à un bon prix. À trois ou quatre, elles donnent chacune 3 000 à 4 000 F pour acheter l’animal, à raison de 12 000 F. A la fin de l’opération, chacune se retrouve avec 3 à 4 kg de viande qui coûtent normalement 10 000 F dans les charcuteries », révèle Baba Ndiaye. Notre interlocuteur précise que cette pratique « concurrence sérieusement les bouchers, spécialistes du bœuf » qui ont pignon sur rue le long de la route nationale. Vu qu’ils ont revu à la hausse le prix du kilogramme jusqu’à 2 500 F, les femmes vont voir ailleurs. B. Ndiaye nous rappelle que l’abattage clandestin est formellement interdit.

En effet, après avoir rassemblé une huitaine de bêtes, T. Babou affrète une charrette. Direction, l’abattoir au sud-est de la cité. Quelques-unes de ses clientes en profitent pour faire le plein de provisions au marché central, non loin. Les autres l’attendent. Afin de voir à quoi ressemble tout ce processus, nous avons décidé de faire le trajet avec lui. Une fois arrivés, Talla passe devant le médecin vétérinaire. L’homme ausculte les animaux avant de donner son aval. Sans perdre une minute, Babou le boucher entre en scène. « J’égorge la bête, la dépèce et la vide, en prenant le soin de laisser une partie de la peau pour la reconnaissance par leurs propriétaires. Il me faut moins d’une dizaine de minutes par animal», clame-t-il guilleret. Top chrono, il est largement dans le temps ! Le véto repasse, constate, fait des prélèvements, si nécessaire, et met son cachet d’une encre bleue sur la croupe.

Pour avoir une idée plus précise de l’aspect sanitaire de cette activité génératrice de revenus, nous avons rendu visite au chef du centre d’animation vétérinaire, Moustapha Biaye, où transitent toutes les bêtes sur pied. Pour ne pas répondre aux questions relatives à ce sujet, il prétexte une réunion pour se soustraire à l’exercice. Il faut faire le pied de grue, près d’une heure, avant d’être reçu par celui-là que les populations du Djolof appellent communément Biaye.

Au début, il se monte hésitant. ‘’C’est le ministère de l’Elevage et des productions animales qui s’occupent du volet viande.’’ Mais au fil de la discussion, il finit par se rassurer, reconnaissant au passage sa ‘’mission de surveillant des abattages’’. ‘’C’est nous qui veillons à la bonne qualité de la viande consommée. Les animaux tombent souvent malades, comme les personnes. Ils peuvent être atteints de zoonose, de tuberculose, de charbon bactérien ou de rage’’, fait-il remarquer. Pour cette raison, chaque jour, les équipes de contrôle sont obligées de faire les visites anté-mortem puis post mortem. Y compris pour le ‘’bokkaaté’’. ‘’Avant qu’une bête ne soit consommée, il faut notre estampille. C’est indispensable. Les contrevenants encourent des peines allant de l’amende à la saisie partielle ou définitive.’’

Le bokkaaté en chiffres !

Au Djolof, les statistiques révèlent qu’entre 1 et 4 bœufs sont abattus, chaque jour, du lundi au samedi. Le pic est atteint le dimanche, jour du marché hebdomadaire (louma). A cette occasion, 15 bovins sont conduits à l’abattoir. Chez les petits ruminants, il faut compter de 1 à 15 animaux pour les jours ordinaires et 50 à 100 bêtes enregistrées le dimanche. En ce mois de ramadan, les chiffres explosent ! Ils parlent d’eux-mêmes. Chaque jour, une centaine de chèvres sont abattues par les bouchers. La demande est forte. Et pour cause. Nombreuses sont les familles qui choisissent la viande fraîche, plutôt que le poisson congelé qui dure on ne sait combien d’heures voire de jours dans les camions frigorifiques en provenance du littoral atlantique.

Il est onze heures. Retour à Marbath. La température monte. Muni d’un couteau et aidé par son apprenti (voir photo), T. Babou travaille à la va-vite, mais avec dextérité pour satisfaire les femmes, seau ou panier sous le bras. Il pratique ce métier depuis sa tendre enfance. L’odeur du sang des bêtes embaume l’atmosphère, mais les femmes y sont habituées. Concentré sur sa besogne, Talla, du menton, désigne un groupe de femmes qui s’assoient à même le sol. En quelques coups secs et précis, il charcute chaque carcasse en autant de parts qu’il y a de cotisations.

Pas besoin de balance ! Avec son œil exercé, il arrive à faire des tas équilibrés sans susciter la convoitise ou la jalousie des femmes qui sont réputées difficiles à ce jeu. Ensuite, vient le moment du partage. Chaque dame donne au boucher un objet personnel : bout de bois, pochette, bracelet, etc. que l’apprenti pose au hasard sur les parts parfaitement égales. « Vous avez vu les femmes ; elles se regroupent souvent par affinité, mais elles guettent tous mes gestes», lance-t-il, le sourire aux lèvres, satisfait de sa belle journée. En plus d’empocher sa paie directement des mains des femmes, la vente des peaux aux tanneuses va lui offrir une rondelette somme supplémentaire.

Khady Diop ne dira pas le contraire. Cette quinquagénaire tient un seau à la main. Elle dévoile la part appréciable obtenue, après le fameux tong-tong (partage) des petits ruminants qui génère quotidiennement des revenus importants. Une véritable économie d’échelle, mais qui n’est pas bien organisée par les pouvoirs publics, au premier chef la mairie qui se contente de la taxe municipale.

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CHERTE DE LA VIANDE

Les rabatteurs aux bancs des accusés

‘’Dahra est la capitale de l’élevage, mais pas celle de la viande bon marché’’, fait remarquer un charretier. Le kilogramme de viande coûte cher dans cette localité bien fournie en têtes de bétail. Un paradoxe ! Les consommateurs s’interrogent et ne savent plus à quel… boucher se vouer. Ils ne comprennent pas comment, à Dahra, la viande est si chère ? Au point d’être plus abordable dans les grandes villes du pays, notamment Dakar. Des gens du sérail pointent un doigt accusateur sur les rabatteurs qu’ils qualifient d’intermédiaires ne cherchant qu’à augmenter les prix pour empocher le maximum de gain.

Selon ce technicien-producteur contacté par EnQuête, l’activité de l’élevage est une réalité qui pouvait faire la fierté du Djolof. A son avis, ‘’la viande devait se manger au Djolof comme les populations de Kayar mangent du poisson frais’’. Mais la relation se fait indirectement. Car les propriétaires de bêtes n’interviennent guère dans la vente. Ce sont les rabatteurs qui s’occupent de la vente, provoquant du coup la flambée des prix. Ils sont en amont et en aval du circuit. Le technicien les accuse d’occuper ‘’toute la chaîne de commercialisation des animaux en constituant les principaux obstacles. Et pour les besoins d’urgence comme les cérémonies familiales, le client n’a pas le choix, il est obligé de se conformer aux prix trouvés sur le marché’’. Interpellé, B. Ndiaye botte en touche. Il ne partage guère cet avis. A l’en croire, les rabatteurs facilitent la commercialisation des bêtes sans chercher beaucoup de profit.

L’aviculture aussi connaît un boum jamais égalé !

Même si les bouchers se frottent les mains, le poulet de chair est de plus en plus adopté au Djolof. Il est difficile d’entrer dans une demeure, sans y trouver des poussins qui sont soigneusement entretenus par leurs propriétaires. Même les opérateurs économiques sont entrés dans cette activité génératrice de revenus. Vendu à 2 500 F, le poulet fait l’affaire des organisateurs de cérémonies. Le calcul est simple. Il suffit de s’en référer à la confidence d’un aviculteur. ‘’Si vous élevez 200 poussins en 45 jours, vous pouvez obtenir un bénéfice de 60 000 F ». Pourtant, cette vendeuse de poulets retrouvée dans son verger entonne un autre son de cloche.

Selon elle, l’aviculture commence à perdre son lustre d’antan, puisque le secteur n’est pas réglementé ; et il n’y a aucun contrôle de la part du service départemental de l’élevage. ‘’Avant qu’un opérateur ne se lance dans cette activité, les autorités doivent lui imposer des papiers. Il faut remettre de l’ordre dans le sous-secteur de l’aviculture’’, fulmine MB. ND. Auparavant, ajoute-t-elle, « nos cibles étaient les hôtels, les supermarchés mais maintenant, le marché est trop saturé. Tout le monde est dans le système ».

En tout cas, à la question de savoir quoi mettre dans son assiette : viande de chèvre ou poulet de chair, le docteur vétérinaire, tout en militant pour la liberté des goûts et des couleurs, n’en recommande pas moins la viande blanche car, dit-il, ‘’elle contient moins de graisse que la viande rouge’’.

Le CRZ un vieux qui date de 1948

Parmi les acteurs majeurs du secteur de l’élevage, figure en bonne place le Centre de recherche zootechnique (CRZ). Créé en 1948, le CRZ de Dahra avait comme objectif l’amélioration de la race équine. On ne compte plus les champions des courses hippiques dont le pedigree passe par Dahra. Plus tard, l’amélioration de la race bovine par le croisement de la race locale Gobra avec celle Caujra en provenance du Brésil y fut ajoutée. Dans les années 70, furent introduites la chèvre de Maradi et la race de mouton touabir. Cette dernière continue d’avoir un franc succès. A partir de la décennie 2000, le CRZ a abrité un centre d’impulsion et de modernisation de l’élevage (CIMEL) censé donner un nouveau souffle au secteur. Toutes sortes d’activités de recherches y sont menées, notamment sur les animaux, les systèmes pastoraux, l’amélioration des pâturages, des espaces herbacées et des espèces arboricoles.

Le centre s’adonne aussi à la création de semences aussi bien légumineuses que céréalières. Selon un employé, sous le sceau de l’anonymat, les résultats des activités ont largement dépassé les prévisions. ‘’Si ce n’était pas la cause de la contrainte d’eau, le centre pourrait produire le ¼ des besoins annuels du pays en semences, car les terres du Djolof sont neuves’’. Baba Lissa Ndao, un acteur politique en charge de la commission éducation à la mairie de Dahra, ne cesse de préconiser l’implantation dans l’institution ‘’d’une véritable université à vocation agropastorale. Les terres ne manquent pas, la matière grise est sur place, étayée par des dizaines d’années de recherches effectuées par des sommités et des étudiants », avance-t-il.

Périodiquement, le ministère de l’Elevage et des Productions animales procède à des opérations de sauvetage du cheptel par la subvention de l’aliment de bétail. A ce jour, l’élevage est au bord du fiasco du fait d’une kyrielle de maux : tarissement des points d’eau, faible pluviométrie, raréfaction du tapis herbacé, cultures fourragères pas encore dans les mœurs, feux de brousse, le vol de bétail. À cet effet, les populations souhaitent une police pour épauler la gendarmerie et surtout plus de moyens aux forces de l’ordre.
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