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Yeene : La Cité des ministres en ruine
Publié le lundi 18 avril 2016  |  Le Quotidien




L’accaparement du domaine public maritime est un fléau qui continue de gangrener les côtes sénégalaises. A Yenne Tode, village situé à une quarantaine de kilomètres de Dakar, les princes de la République ont conquis la façade maritime. A la recherche du confort et de leur bien-être, certains anciens dignitaires du régime libéral, en complicité avec les autorités locales, se sont partagé les terres des paysans, non loin de la mer, pour avoir les pieds dans l’eau. Ils y ont érigé des résidences de luxe aux normes de construction contestables. Aujourd’hui, ce cadre paradisiaque est presque sinistré. Face à l’impuissance des villageois, les vagues ont pris le relai : Elles secouent les murs et détruisent les châteaux. Méprisée, la population sourit en constatant que ses hôtes «encombrants» ont perdu leurs privilèges financiers après la chute de l’ancien régime.

Yenne Tode. C’est un coin paradisiaque, bercé par la mer qui lui donne son image de carte postale. Il est aussi son cauchemar qui emporte dans son sillage les investissements de toute une vie. Ici, la vie est rythmée par le bruit des vagues et la danse des écumes. Le vent frisquet caresse les visages. Un paradis balnéaire où cohabitent nécessiteux et nantis. Situé dans le département de Rufisque, Yenne Tode attire les adeptes de la belle vie et de la belle vue. C’est un havre de paix au beau milieu des terres paysannes. Un lieu de culte qui abrite de maisons cossues où vient se relaxer la «bourgeoisie» dakaroise, souvent le temps d’un week-end. Il est généralement composé, a-t-on appris, des ministres, des députés et des agents des Douanes. Dès l’entrée du village, sur la route caractérisée par des nids de poule, on peut déjà remarquer la nette disparité entre Yenne Tode et la «Cité des ministres».L’un est situé presqu’à 500 mètres de l’autre.
A travers ce décor à la fois campagnard et moderne se hisse à gauche un petit village où les constructions aux architectures modernes rivalisent de design avec les châteaux qui font la «Cité des ministres». Ces derniers peuvent avoir les pieds dans l’eau. Plus loin des résidences près de la mer se tient le quai de pêche des villageois. C’est le point de départ de l’alignement des maisons, belles par endroits et laides par virage. «Ces maisons datent de l’époque de Senghor», informe notre interlocuteur.

La force de la nature, un frein à l’imagination de l’homme
Peinte en orange et blanc, cette résidence abandonnée est la première de la ligne. Elle fait office de frontière entre la cité et le village. Toutefois, la puissance des vagues ne lui a laissé aucune chance de survie. Elles échouent derrière les murs et inondent les concessions. Le constat est le même après un kilomètre de marche. Des résidences attirent le regard du fait de leur architecture moderne. Elles sont bâties presque sur toutes les formes, des toitures en terrasse. Le confort est offert par les petits jardins équipés en chaises, tables et parfois même en balançoires. Tout y est. Même une piscine. Ce sont des maisons tout simplement ouvertes à la mer, exposées à la furie des vagues.
Par endroits, les murs sont complètement rongés par la mer et l’intérieur des maisons est envahi par le sable. Sur son passage, elle n’a rien épargné. Un habitant, qui a le sens de l’humour, avance : «Ici, la force de la nature est un frein à l’imagination de l’homme.» Ironie de l’histoire ? «La politique pour la sauvegarde de l’environnement est prônée, alors que ce sont ces mêmes gens qui mènent cette lutte à travers le pays qui viennent occuper le domaine public maritime», s’offusque le guide. Sur cette partie de la Grande côte, les nantis rivalisent par châteaux interposés. Le goût du luxe semble primer sur le coût. Même sur les toits en chantier «en stand by pour des raisons politiques», on note nettement cette force financière des propriétaires à l’image de la villa du secrétaire général adjoint d’un grand parti politique de l’opposition. Des logements vastes de plusieurs mètres carrés, dont le design en dit long sur le coût de la construction. Bref, la «Cité des ministres» au bord de la mer est un îlot cossu au milieu d’un océan de misères.
Aujourd’hui, elle ploie sous le poids de l’érosion côtière. Les eaux marines gagnent de plus en plus de mètres sur la terre ferme. Ces châteaux se transforment de jour en jour en décombres. S’il y en a qui résistent encore grâce à la rénovation, d’autres ont tout simplement disparu en laissant sur place des vestiges. Ils deviennent de véritables maisons fantômes. Par sa force et sa fureur, la mer détruit tout ce qui a été construit par l’homme.
Face à cette évidence, les propriétaires dont la plupart sont «des anciens ministres, des agents des Douanes et des députés» préfèrent seulement abandonner tout sur place. Portes en fer, en bois ou en aluminium, vitres, lits, tables, lampes, rien n’est emporté. Ainsi, la plupart des résidences secondaires des princes de la République, qui leur rappellent leur puissance emportée par le temps, sont mises en vente. Qui voudra bien arrêter la mer avec ses bras ? Cependant, cet abandon a une explication différente de celle relative à l’œuvre de la nature.

«Après leur limogeage, ils n’ont plus de moyens pour continuer ou entretenir leurs constructions»
Il s’agit des limites de l’homme, de son pouvoir d’achat et son impossibilité de construire et d’entretenir. «Ces derniers sont nombreux à avoir des maisons ici. Tous nos directeurs un ont havre de paix au bord de la mer. Après, ils sont dégommés et n’ont plus de possibilité financière pour entretenir leur maison ou continuer leur chantier», explique un interlocuteur. Abondant dans le même sens, un autre affirme que c’est «une forme de blanchiment d’argent. Ils revendent parce qu’ils ont volé et n’ont plus rien avec eux. Ils ont volé pour acheter. Ils le gardent quand ils n’ont plus rien. Ils revendent et récupèrent cet argent là pour avoir de l’argent propre». Ces riches clament souvent qu’ils n’ont plus d’argent, «mais ce n’est que leurre. Ce sont des gens qui ont des appartements privés dans le 16e arrondissement de Paris, en bordure de la Seine. Et ces appartements, on ne peut les acheter à moins de 4 000 euros (2 millions 600 mille F Cfa). J’en connais une dizaine qui a des appartements chic là-bas. On les croisait, il se promenait avec leur chien pour aller acheter tranquillement du pain», confie-t-il. Il s’indigne alors de la manière dont ces villas sont construites, sans aucun respect des normes de construction. «Ils s’en fichent et accaparent les terres des villageois comme ils veulent. Il faut regarder et noter que ce sont nos gouvernants qui sont là et il n’y a pas de ruelles. Il n’y a rien, ils s’en fichent complètement des autres. Où se situent l’intérêt collectif et l’éthique ?», se questionne-t-il en pointant du doigt les fins espaces qui séparent parfois les maisons qui bloquent toutes les issues.

Les villageois «marginalisés et laissés en rade»
Par ailleurs, au niveau des rapports sociaux, il est important de voir comment ils sont organisés aujourd’hui. Il n’y a pratiquement pas d’échanges entre ces personnes et les habitants du village. Une thèse que conforte Modou Diop, rencontré de retour de son footing matinal. Il affirme ne pas avoir de relations avec les «gens de ce côté là-bas», désignant par un geste de la main la «Cité des ministres». Il dit : «Je ne fréquente pratiquement pas ces gens-là. Et je n’en connais personne. J’entends juste les gens parler d’eux.» Dans la même veine, Aïda Mbodji va plus loin. La quarantaine révolue, la voilée mère de famille ne manque pas de tacler les propriétaires des belles demeures du village de Yenne Tode. «Ces gens ont acquis ces terres sans le moindre effort en complicité avec les autorités du village qui leur avaient cédé gratuitement des parcelles. Malgré le fait qu’ils soient des ministres ou des députés, ils ne sont d’aucune utilité à la population», s’indigne-t-elle. Selon elle, ils viennent jeter leur argent en construisant de belles maisons pour ensuite les abandonner. «Alors qu’ils pouvaient investir dans le village, ne serait-ce que pour réparer la route du village. Ils ne font pas plus qu’employer les filles comme ménagères ou les hommes comme gardiens. Ils n’ont qu’à aider les villageois de Yenne Tode», implore Aïda Mbodji. Alassane Diop, gardien dans la «Cités des ministres», atteste : «Les propriétaires des maisons ne viennent presque jamais dans le village. J’ai l’impression qu’ils n’ont que faire de ces maisons vu qu’ils sont pleins aux as. Je crois qu’ils ont des maisons de repos ailleurs maintenant.» Dépité, il tacle ses patrons : «Ils ne s’associent pas à la vie de la population et ne participent pas au développement du village.» Aujourd’hui, Yenne Tode est pris au piège entre la colère de la mer et la gourmandise des hommes. Combinée, la furie des deux a détruit les terres d’un village angélique.
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