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Entretien avec Ibrahima Sow : «Si les émigrés étaient bien organisés, ils auraient pu financer le Pse»
Publié le jeudi 7 avril 2016  |  Le Quotidien




Président de l’Association des Sénégalais d’Amérique (Asa), Ibrahima Sow, prône plus d’ouverture dans les quotas des postes à octroyer aux émigrés. Dans cet entretien, il plaide aussi pour que ceux, qui sont appelés à diriger le pays et à occuper certains postes de responsabilité sensibles, soient de nationalité exclusivement sénégalaise et pense que si les émigrés étaient organisés, ils auraient pu financer le Pse.

Il y a une importante communauté sénégalaise aux Etats-Unis dont vous dirigez l’association, quels sont les types de difficultés auxquels font face ces émigrés ?
Les types de difficultés sont d’ordre multiple. La première est celle liée à la sécurité de nos concitoyens vivant aux Etats-Unis. Beaucoup parmi nous ont été assassinés dans l’exercice de leurs fonctions. Beaucoup de nos membres évoluent dans le secteur des taxis ou ont leurs entreprises à eux. Et vu le fait qu’aux Etats-Unis, les politiques sur le port d’arme ne sont pas dures, beaucoup de personnes peuvent avoir une arme. Le taux de criminalité dans ce pays est très élevé. Cela fait que nous aussi, nous sommes victimes de cela.
L’autre difficulté est d’ordre économique. Les Etats-Unis ont été frappés par une crise sans précèdent qui nous a touchés de plein fouet. En plus de cela, il y a les difficultés liées à l’éducation des enfants quand on veut leur inculquer les valeurs sénégalaises qui sont par excellence religieuses et humaines et le faire dans une société américaine très stricte qui partage l’autorité parentale. Il faut donc s’adapter à cela.
La dernière difficulté, nous sommes des populations qui ont un statut hydride. Nous vivons aux Etats-Unis, avons toute une vie là-bas. Nous vivons également au Sénégal et avons toute une vie ici. Donc le fait de jongler entre deux pays, deux sociétés, deux civilisations, c’est la gosse difficulté d’autant plus que la plupart du temps, nous sommes des agents économiques ici et il n’y a pas la protection nécessaire.

Quel est le niveau d’implication des autorités sénégalaises pour vous aider un peu à surmonter ces difficultés ?
Elles essayent autant qu’elles peuvent dans la mesure où il y a des consulats qu’on a ouverts auprès des communautés sénégalaises établies, ça il faut qu’on le reconnaisse. Elles essayent également en tout cas, tous les régimes, particulièrement le nouveau régime donne beaucoup d’importance à la diaspora. Ils ont même parlé de faire de la diaspora, la 15eme région et ça ne s’est pas arrêté là. Il y a aussi que le président de la République particulièrement pense souvent à donner des quotas dans tout ce qu’on distribue ici notamment en matière de logement et il demande à ce qu’on donne une portion aux Sénégalais de l’extérieur. Maintenant, il reste à ce que cela soit matérialisé par une législation. On note des obstacles jusqu’à présent.

Tantôt vous évoquiez les violences dans votre pays d’accueil en faisant allusion aux meurtres, souvent qu’est-ce qui est à la base des violences dont les émigrés sont victimes ?
L’une des premières causes, c’est la vulnérabilité de l’émigré. C’est un maillon qui n’a pas d’attache qui vient dans une communauté dont il n’est pas membre à part entière. Maintenant quelqu’un peut dire oui, même s’il n’est pas membre de cette communauté-là, pour autant si une communauté est régie par le droit, le fait d’en faire ou de ne pas en faire partie ne doit pas exposer quelqu’un mais il faut dire qu’en Amérique, le taux de violence est très élevé. Même les citoyens américains eux-mêmes sont victimes de cela. Alors, on ne peut pas dire que les gens sont assassinés simplement parce qu’ils sont sénégalais, mais on peut dire qu’ils sont assassinés quelquefois parce qu’ils sont émigrés. Peut-être qu’il n’y a pas toutes les ressources pour pouvoir suivre les affaires jusqu’au bout et que de ce point de vue-là, il faut des priorisations et que peut-être on pourrait dire que les nationaux pourraient être prioritaires. Même si ce n’est pas de notoriété publique, on n’a pas vu cette envie d’aller au bout pour résoudre les meurtres dont sont victimes les Sénégalais. Là aussi, on appelle nos gouvernants à peser de tout leur poids pour que les autorités qui nous accueillent, particulièrement les autorités américaines, sachent que nous venons d’un pays et que nous avons des autorités qui veillent sur nous et que si des choses pareilles se passent qu’elles fassent en sorte que les criminels soient pris et châtiés comme il se doit.

Pour les meurtres et les violences, il y a souvent des Sénégalais qui sont victimes et souvent leurs dossiers ne sont pas suivis d’effet immédiat. Quand des occasions comme ça se présentent, comment est-ce que vous réagissez ?
Oui, d’abord nous sommes une association apolitique certes, mais nous regroupons beaucoup de nos membres qui sont des citoyens américains. Donc nous ce que nous faisons, nous les sensibilisons sur ces questions. Nous en parlons également en communauté et nous disons que nos votes doivent aller en priorité à ceux qui prennent en charge, ceux qui prennent au sérieux notre question sécuritaire. Toutes les personnes qui, dans les districts où nous vivons, battent campagne et mettent dans leur plateforme la prise en charge de la sécurité des migrants, que quand des émigrés sont tués que des enquêtes doivent être menées et aller jusqu’au bout. Nous demandons à nos compatriotes de leur prêter attention et de les soutenir parce que ce sont ceux-là qui nous soutiennent dans leur plateforme politique. En plus de cela, il nous arrive, pour des cas extraordinaires de faire des marches, de sortir dans la rue et de dire qu’un Sénégalais de tué c’est quelque chose de sérieux et que la justice doit aller jusqu’au bout. En plus de cela, nous écrivons à nos sénateurs et demandons également au Gou­vernement sénégalais d’agir auprès des autorités américaines pour résoudre ces problèmes.

L’Etat a mis en place des structures pour accompagner les émigrés comme le Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur. Est-ce qu’il vous arrive d’échanger avec cette structure pour mettre en place des mécanismes permettant aux émigrés de se réinsérer ?
Ces structures-là existent et elles ont beaucoup de bonne volonté mais les faiblesses de ces structures, c’est qu’elles sont installées ici (au Sénégal). Ce sont des structures qui n’ont pas la proximité nécessaire pour encadrer. Ça devrait être un travail de tous les jours. Il y a des bureaux économiques qui sont ouverts dans les ambassades, il paraît qu’il y en a dans les consulats mais nous les bureaux qu’on connaît se trouvent dans les ambassades. Cela montre que l’Etat est plus intéressé à capter les investissements des ressortissants des pays d’accueil que ceux de ses propres ressortissants. Si on avait mis des bureaux économiques robustes, sérieux dans les consulats, et qu’on y mette tous ces programmes-là, qu’on y organise des sessions de formation permanente pour montrer aux gens ce qui existe, il y aurait eu plus d’impact.

Il y a les dossiers judiciaires dans lesquels les émigrés sont mêlés au Sénégal sans qu’ils en soient le plus souvent informés. Ce sont des affaires qui vous tiennent à cœur et sur lesquelles vous interpellez les autorités…
Dans mon organisation, beaucoup de personnes ont perdu des biens, quelquefois des biens immobiliers, dans des procès dont ils n’ont jamais été au courant. On vous envoie un jugement pour vous dire que votre ménage est dissous dans un procès dont vous n’avez jamais été au courant. Si un pays a autant d’émigrés, autant de ses citoyens qui vivent à l’étranger et qu’on dise que leur apport est valeureux pour le pays, on doit pouvoir les protéger. Les protéger ne veut pas dire leur donner une immunité de juridiction, que si vous êtes émigré, on ne peut pas vous juger. Mais il doit y avoir une procédure qui fait en sorte que la personne est protégée, qui privilégie la présence de la personne avant qu’elle ne soit jugée. Cela relève même de l’équité. Puisqu’on dit aux gens de venir investir, il faut intégrer cette dimension-là. Si une personne est convoquée au Tribunal, qu’on ne s’arrête pas à lui envoyer une convocation chez elle. Si vous savez que la personne n’est pas là, le simple fait d’avoir assigné la question au Parquet, d’avoir déposé une convocation au Parquet suffit. Si vous mettez une convocation sur le site de votre journal, il y a plus de chance pour un émigré qui est aux Etats-Unis ou bien en Chine de le voir que si vous le publiez dans une annonce légale d’un journal physique. Nous en appelons à l’attention des autorités. C’est une question très épineuse, très douloureuse et très importante, qui est en train de décourager les émigrés, de faire que les émigrés ne se sentent plus chez eux quand ils viennent au Sénégal parce qu’ils disent : «Voici le pays auquel j’appartiens et où je peux être jugé et condamné sans jamais être entendu.»

L’un des 15 points du référendum est relatif au poste de député dédié aux émigrés. Qu’est-ce que cela vous inspire comme réaction ?
Beaucoup de satisfaction. A deux niveaux : les émigrés viendront participer dans les assemblées délibératives dont l’Assemblée nationale est la plus importante. Les autorités comprennent que l’apport des émigrés c’est peut-être autre chose qu’uniquement l’argent qu’ils apportent, que tout émigré est potentiellement un entrepreneur pour avoir beaucoup voyagé. Nous attendons de connaître les détails de cette réforme parce que jusqu’à présent, on en est qu’aux énoncés. Nous encourageons également les pouvoirs publics à ne pas s’arrêter à ça.
L’Assemblée nationale n’est pas la seule assemblée délibérative, il y a d’autres assemblées consultatives. Il faudrait que dans toutes ces assemblées, on intègre des émigrés. Parce qu’il faut que les gens se rendent compte que les émigrés aujourd’hui constituent un peu moins du quart de la population du pays. On ne peut pas bâtir une démocratie solide, si on n’inclut pas ces gens.

Les émigrés envoient plusieurs centaines de mil­liards de francs Cfa dans l’économie sénégalaise. Est-ce que vous aviez pu évaluer l’impact de ces envois ?
Je crois qu’on parle de milliards, de milliers de milliards. L’impact est réel. Les émigrés soutiennent leurs familles, ne s’en glorifient pas parce que c’est leurs familles. Je fais partie de ceux qui s’inscrivent en faux contre ceux qui disent que tout ce qu’ils font, c’est qu’ils envoient de l’argent mais qu’ils ne participent pas au développement économique. Quelqu’un qui aide à résorber la pauvreté, le chômage, qui donne du travail au secteur du bâtiment, c’est quelqu’un qui forcément est en train de participer au développement économique.

Il y a beaucoup d’émigrés qui font beaucoup d’affaires qu’on n’a pas comptabilisées. Faites le tour à Dakar, vous verrez qu’il y a une floraison de boutiques qui vendent des produits venant des Etats-Unis. Il y a des gens qui ont ouvert des écoles, des hôtels, des banques, à tous les niveaux, il y a des émigrés qui sont revenus.
J’ai dit à des autorités que si les émigrés étaient bien organisés, que si le rapport de confiance était établi, les émigrés auraient pu financer le Pse. Il est plus facile d’aller aux clubs de Paris ou de Rome et qu’on vous donne des mallettes d’argent avec des taux d’intérêts extrêmement élevés, qui sont à la limite usurières. L’objectif, c’est d’inviter les autorités à venir montrer aux émigrés le potentiel qui existe pour investir au Sénégal. Qu’est-ce qui existe dans l’agriculture, dans le pôle de Diamniadio, dans les secteurs primaire, tertiaire, tous les secteurs ? Mais aussi laisser les émigrés leur poser des questions, qu’ils soient en contact avec ces gens-là, que des rapports de confiance soient bâtis.

Qu’est-ce que le débat sur la double nationalité vous inspire ? Etes-vous d’accord avec ceux qui disent que ceux qui voudraient diriger le pays doivent avoir une nationalité exclusivement sénégalaise ?
C’est un débat qui paraît simple mais qui ne l’est pas, qui est plus délicat qu’il ne le semble. On devrait réserver effectivement la direction du pays aux personnes qui sont de nationalité exclusivement sénégalaise d’autant plus qu’une personne peut renoncer à une nationalité. Si vous êtes sénégalais et que vous êtes aussi américain, ce que la loi permet, si vous voulez vous engager à diriger le pays, ce n’est pas trop demander de vous départir de votre nationalité américaine. Il faudrait peut-être, pour certains postes sensibles, dire effectivement que ceux qui peuvent les occuper ne doivent être que des Sénégalais exclusivement mais en tenant compte du fait qu’il y a d’autres aspects de la vie où on a besoin de l’expertise de ces gens qui vivent à l’étranger. La seule manière de l’obtenir, c’est de leur permettre aussi de garder la nationalité de leur pays d’accueil parce qu’ils ont de la famille là-bas.
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