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Entretien avec Cheikh Mbow de la Cosydep : «Un gouvernement responsable s’engage sur des points soutenables»
Publié le mercredi 16 mars 2016  |  Le Quotidien
élève
© Autre presse par DR
élève dans une école primaire de la ville de Dahra




L’école sénégalaise est à nouveau frappée par des grèves. Le supérieur, le moyen secondaire et l’élémentaire connaissent ces derniers mois des grèves répétées. Pourtant, un grand espoir était né après des assises de l’éducation et de la formation. Cheikh Mbow, le coordonateur de la Cosydep (Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique), revient ici sur les causes, les responsables de cette situation désastreuses qui touche encore le système éducatif. Au moment où les politiques semblent envahis par la fièvre du «Oui» et du «Non» en cette veille de référendum, il invite les acteurs de l‘éducation à un autre référendum : «Pour ou Contre une école stable», seul gage selon lui de l’amélioration des performances de l’école.

Actuellement la crise s’est installée de l’élémentaire au supérieur, les enseignants sont en grève et cela ne semble choquer personne. Quelle lecture en faites-vous ?
Le constat, c’est que les secteurs sociaux sont en ébullition. L’éducation n’a pas fait exception ; de l’élémentaire, au supérieur, en passant par le moyen et le secondaire, tous les sous-secteurs vivent d’inquiétantes perturbations. Cela est véritablement préoccupant.
D’autant que nous sommes sortis de plusieurs concertations qui justifiaient notre espoir. Nous pensions que l’organisation des assises nationales de l’éducation et de la formation, qui étaient demandées par tous les acteurs, allait enfin nous permettre de disposer d’un système pacifié, performant, efficace et efficient. Nous fondions cet espoir sur le fait qu’on allait apprendre des états généraux de 1981 qui avaient retenu de fortes recommandations sans suivi. Mais hélas, nous vivons la même déception, aucune perspective sérieuse jusque là.
Pire, face à la rupture tant chantée, nous constatons que toutes les revendications s’articulent autour d’un seul refrain ‘‘le non-respect des accords’’. Je pense que le gouvernement doit nous aider à bannir ce refrain. Un gouvernement responsable ne doit s’engager que sur des points soutenables et pour lesquels il peut aller vers leur mise en œuvre.
Nous espérions que notre enthousiasme en début d’année n’allait pas si vite s’estomper en se transformant en un stress brutal. Cette année devait être une année d’exception : la campagne ‘‘Ubbi tey Jang tey’’ que nous avons courageusement reconduite après les Assises suivie du conseil présidentiel, de la première rencontre entre le Président de la République et la communauté éducative avec des instructions fermes à son gouvernement, etc.
Cet espoir pourtant fondé fait aujourd’hui face aux préavis de grève suivi de grève effective. Vous comprenez que nous sommes très inquiets et pensons que celui qui est responsable de cette situation, c’est celui qui avait pris des engagements devant les syndicats mais aussi devant la communauté à travers les Assises.
Vous semblez pointer du doigt l’Etat du Sénégal qui avait pris des engagements qu’il n’a pas respectés. Est-ce que c’est lui qui a la baguette magique pour tirer l’école de cette situation ?
Oui, l’Etat qui avait annoncé ne plus s’engager sur des questions non maîtrisées, mais sur des points réalistes et réalisables. L’Etat qui a la responsabilité première de l’éducation. L’Etat qui est en contradiction avec ses propres agents est le véritable responsable. Le gouvernement doit faire en sorte que ses engagements soient respectés. Les communautés ne doivent pas rester spectatrices. Elles ont aussi une grande responsabilité.

Est-ce qu’on ne peut pas soupçonner un agenda caché de l’Etat du Sénégal qui semble avoir opté pour le pourrissement alors que c’est lui qui a la solution aux revendications enseignantes ?
Ce que nous avons dénoncé et ce sur quoi nous alertons la communauté depuis quelques années, ce sont deux ou trois choses.
La première, c’est que ce pays regorge de ressources humaines de qualité. Nous avons profondément réfléchi sur les maux du système et proposé des solutions. Donc, avec une forte dose de volonté politique, nous n’avons aucune raison de ne pas dépasser ces questions d’ordre matériel qui gangrènent, chaque année, le système. Les mêmes questions, les mêmes réactions, les mêmes résultats, et le même stress ; ça suffit, nous avons envie de progresser.
Le deuxième aspect, c’est que nous pensons que des acteurs responsables ne devraient pas jouer la carte du pourrissement. Avant chaque perturbation, les syndicats déposent leurs préavis de grève qui couvrent un mois. Les organisations de la société civile comme la nôtre ne cessent d’alerter à travers des rapports, des déclarations, des communiqués. La presse organise des débats autour de la question. Donc, il y a suffisamment d’alertes. On se demande si nos gouvernants ont un mécanisme qui capte ces alertes, qui les analyse sérieusement, les traite objectivement afin d’anticiper les perturbations. Il nous faut rompre d’avec une stratégie de réaction ; ne se concerter que quand on est dans une situation de pourrissement.
On ne doit pas attendre la toute dernière minute pour ensuite chercher à sauver une année scolaire ou à organiser des ‘‘coups de poing’’. Anticiper et planifier sont des règles de base pour toute administration.
Le troisième aspect, un soupçon d’une privatisation rampante de l’éducation. L’école publique est en train d’être dévalorisée. Les budgets régulièrement amputés à près de 50% en plus de la promotion d’écoles privées à coûts bas qui ne répondent à aucune norme avec des enseignants qui ne sont pas toujours formés et par conséquent des résultats plus que médiocres. L’éducation est un droit. Elle n’est pas un produit à vendre ou à acheter. D’ailleurs, la Cosydep va produire un rapport avec une question simple : ‘‘A qui appartiennent ces écoles et instituts privés’’ ?

Madame le ministre de la Fonction publique oppose aux syndicats d’enseignants la soutenabilité de la masse salariale. Le gouvernement vient de rencontrer sans succès les enseignants.
L’argument relatif à la soutenabilité des accords n’est pas, à notre avis, recevable. il devait être posée en amont de la signature des accords. A propos de la masse salariale, nous continuons à croire que les enseignants ne sont pas bien payés, tout au moins, en termes d’équité comparativement aux autres fonctionnaires. L’exploitation du rapport sur le système de rémunération est par conséquent attendue. En outre, la question du nombre et par conséquent du coût souvent mis sur la table nous pose problème du fait qu’il y a encore des classes pléthoriques et des enfants non scolarisés. Des écoles qui manquent de professeurs de mathématique ou de philosophie. Aussi, l’orientation et la distribution des ressources pour régler les questions d’équité se posent. Les ressources de l’éducation doivent aller là où on en a le plus besoin, au niveau des enfants et jeunes issus de familles modestes, dans les zones rurales et moins nanties, dans et autour des écoles. La décentralisation du système éducatif, y compris de ses ressources, doit devenir une réalité.

Est-ce qu’on n’est pas en train de vivre la même situation que celle de 2012 lors des élections présidentielles avec le référendum ?
L’histoire du Sénégal a montré qu’à la veille de chaque période électorale, nous vivons des perturbations. Cela veut dire que le lien dialectique entre le référendum, qui est par ailleurs une veille d’élection, et les perturbations, est établi.

Donc, il est essentiel de dépolitiser le système éducatif. Ceci s’adresse aux enseignants, mais aussi au gouvernement. Dans le contexte du référendum, nous nous demandons si le gouvernement a le temps du système éducatif ? Si tous les syndicats ont pour seul agenda l’éducation ?
Nous avons participé à la récente concertation entre le gouvernement et les syndicats, mais le problème fondamental est relatif à la crise de confiance, quels que soient les efforts annoncés. Les syndicats ne font plus confiance au gouvernement.

Le référendum est au cœur des débats et l’éducation n’est même pas évoquée. Est-ce que cela ne vous inquiète pas ?
Notre pays mène constamment et en permanence une vie politicienne avec un gouvernement totalement plongé dans ce référendum. Nous invitons les acteurs à un référendum ‘‘Pour ou Contre une école stable’’, seul gage de l’amélioration des performances. La réponse est attendue par des actions. Ce qui nous intéresse, y compris dans cette période référendaire, c’est la volonté et l’engagement des différents protagonistes pour la stabilité de l’éducation.
Il y a aussi une complicité voulue ou non de la presse avec l’agenda politicien qui occupe toujours la Une des journaux. Nous avons besoin d’une presse qui ne met pas toujours en avant les stériles querelles politiciennes, mais plutôt qui oriente le peuple sur les questions de développement.
Au total nous nous rendons compte que c’est une période qui ne sera pas bénéfique aux apprenants, qui, pourtant, ont besoin d’un devenir beaucoup plus solide, ont besoin d’espérer pouvoir changer de situation sociale à partir de l’éducation et de la formation. Le débat public doit changer d’orientation.

On a presque épuisé toutes les cartes, des députés ont fait de la médiation, vous de la société civile avez alerté, malgré tout le problème persiste. Qu’est-ce qu’il y a lieu de faire encore ?
Ce que nous pensons être la solution, c’est qu’il y ait une forte mobilisation citoyenne pour exiger des leaders syndicaux et gouvernementaux une stabilité du système.
Les citoyens doivent casser et refuser cette frontalité entre syndicats et gouvernement. Beau­coup de questions ont été tranchées grâce à une mobilisation citoyenne. Nous engageons nos antennes à continuer à mobiliser, organiser et informer les communautés. La Cosydep ne va jamais se décourager. On essayera de passer par la porte, si ça ne marche pas on passera par la fenêtre. Parce que nous sommes convaincus que la seule clé qui garantisse un Sénégal durablement émergent est l’éducation et la formation.

La question de l’éducation ne mobilise pas. On a vu des jeunes sortir pour exiger qu’on ne touche pas à la Constitution. Qu’est-ce qu’il faut faire pour mobiliser les populations autour de la question de l’éducation ?
L’éducation devrait davantage mobiliser si nous comprenons les enjeux. Les organisations de la société civile sont surtout attendues dans ce sens. L’école doit être l’affaire de tous, pas seulement l’affaire de l’enseignant ou du gouvernement. Les communautés doivent davantage s’impliquer dans la gestion du système. Aussi le rôle de la presse, est essentiel. Elle a la capacité d’orienter le débat et de permettre aux communautés de mieux comprendre les enjeux.
Il ne faut pas désespérer car la mobilisation citoyenne surprend toujours. Nos leaders ne le savent pas toujours. Les citoyens dépassent très largement ceux qui les dirigent. Nous pensons qu’il faut faire attention. On peut avoir l’impression que ça ne mobilise pas en oubliant que le Sénégalais réagit lentement mais devient déterminé et féroce quand l’injustice perdure. Ils l’ont suffisamment démontré. Je crains qu’on ne soit surpris par une forte mobilisation citoyenne qui exige l’école dont ils ont besoin.
Ces communautés qui ont construit les consensus autour des assises nationales, qui comprennent que les ressources injectées dans le système leur appartiennent, qui jusque-là font montre de patience, peuvent surprendre et exiger le fonctionnement régulier de l’institution scolaire.
Aujourd’hui, nous en avons assez de vivre continuellement ces perturbations, de l’édicter en règle jusqu’à être surpris par la stabilité du système entre octobre et février. Il nous faut retourner à la norme, à l’orthodoxie et faire des perturbations une exception.

Est-ce que vous redoutez cette année une année blanche ou bien l’Etat va attendre les derniers mois pour sauver encore l’année scolaire….
Nous devons rompre d’avec des années à devoir sauver in extremis. Nous continuons à lancer un appel au Président de la république qui doit nous aider à mettre en place un comité de suivi multi acteurs des recommandations issues des Assises. C’est cela qui nous permettra de dépasser durablement la situation actuelle. Nous n’avons pas le droit de limiter les Assises aux trois jours du King Fahd ou de nourrir le sentiment d’avoir investi nos ressources pour rien. Cela n’est pas acceptable. Nous avons l’impression de vivre un sabotage. Des syndicats qui refusent de s’unir et un gouvernement qui ignore les consensus. C’est soit du sabotage ou de l’incompétence. Le Sénégalais reste très intelligent, il le démontre partout ; au niveau régional ou international ; en termes de réflexions, d’analyse, de productions. Il est clair que le système est bien maîtrisé en termes de diagnostic : le problème est connu, les maux sont connus et les solutions sont proposées. Les gouvernants qui ont la responsabilité et le rôle d’appuyer sur les boutons de changement doivent nous aider à avancer.

Vous aviez été approché par le candidat Macky Sall en 2012. Après des années de gouvernance qu’est-ce qui reste de ses engagements ?
En 2012, nous avions joué le rôle principal qui a permis d’éviter l’année blanche. Tous les acteurs le savent même s’ils ne l’avouent pas publiquement. Aujourd’hui, nous constatons encore du surplace ; en réalité, il n’y a pas de rupture significative ; mêmes questions, mêmes revendications, mêmes réactions, mêmes réponses, mêmes résultats, même stress. Nous demandons plus de pragmatisme, d’humilité, d’ouverture. Le système éducatif a besoin d’une approche partenariale où on valorise chaque acteur, on prend le maximum de chaque acteur, on se convainc de la complémentarité des familles d’acteurs.

Mais quand on entend le ministre parler de l’école on a l’impression que tout marche et de l’autre côté on a les syndicalistes qui vocifèrent. Est-ce qu’il n’y a pas un problème de communication entre les acteurs de l’école ?
Le ministre doit être plus ouvert. C’est ce que réclament tous les acteurs. Les syndicats, les parents, les partenaires nationaux lui reprochent son inaccessibilité. C’est cela qui lui permettrait d’avoir une lecture plurielle de la situation afin de mieux décider. Cette ouverture lui aurait permis de comprendre que tout ne marche pas bien. Nous pensons que nous avons besoin de rupture dans ce sens là. Il nous faut réinterroger le management et le pilotage du système éducatif.
Quand on veut nous démontrer que le système éducatif est performant, cela pose problème parce que nous savons qu’il ne l’est pas. Nous vivons depuis des décennies une crise des performances qui fait qu’on n’arrive pas à dépasser 40% en termes de résultats. Les résultats sont médiocres. Il ne faut pas qu’on essaie de cacher les réalités. La meilleure façon de soigner un mal c’est de le reconnaître. Le système ne se porte pas bien. Il n’est pas performant. Les acteurs ne se font pas confiance. C’est ça la réalité du terrain. Nous devons faire face à beaucoup de défis tels que la problématique de l’état civil, le délabrement de l’environnement des apprentissages, le système d’évaluation, d’orientation et de guidance scolaire,… Nous pensons que les citoyens doivent se mobiliser autour de l’enjeu de l’éducation.
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