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Lu pour vous - Afrotopia - FelwineSarr -Éditions Philippe Rey - Mars 2016. 155 pages: "être au meilleur de soi-même"
Publié le vendredi 11 mars 2016  |  Sud Quotidien




Dans son essai “Afrotopia”, Felwine Sarr développe l’idée d’une Afrique qui ne peut pas continuer de faire comme les autres ou tout au moins comme les autres voudraient qu’elle fasse. Ces autres, l’occident notamment, qui ont mis dans nos cerveaux des concepts qui tournent le dos aux perspectives particulières et singulières pour se poser avec outrecuidance comme la référence universelle.

Aussi s’insurge-t-il contre le fait que de manière insidieuse, le Continent se soit laissé divertir par les injonctions des institutions financières internationales dont les maîtres-mots sont des “mots valises” comme “développement, émergence; croissance, lutte contre la pauvreté” qui sont autant de mythes projetés sur les trajectoires des sociétés africaines. Consacrant une partie importante de sa réflexion au débat économique, il met en garde contre le risque de se “laisser piéger par une pensée des nécessités, et subordonner l’économique et la technique à la recherche des fins”.

Agrégé de la discipline, l’auteur est d’avis que “l’efficience d’un système économique est fortement liée à son degré d’adéquation avec son contexte culturel”, lequel a un impact sur les perceptions, les attitudes, les habitudes de consommation, d’investissement et d’épargne, les choix individuels et collectifs. D’où son appel à analyser “la coexistence d’une économie dite formelle avec une économie populaire fondée sur une socioculture et dite informelle, qui pourtant, assure la subsistance à une majorité des populations africaines”.

Ainsi pourrait-on noter selon l’auteur qu’au sens strict “l’Homo africanus n’est pas un homo economicus”, ne serait-ce que dans les motivations de ses choix viennent se greffer des logiques de l’honneur, de la redistribution, de dépenses de prestige, d’ investissement dans les biens symboliques, etc. Ce sont là autant de “survivances de certains traits de la culture traditionnelle” qui se retrouvent concurrencées par des logiques utilitaristes et individualistes découlant, souligne l’auteur, “ de rapports induits par une modernité sociétale qui désormais fait de la réussite individuelle le moteur de l’aventure sociale”. On y découvre une“ contemporanéité de plusieurs mondes” qui témoigne relève Felwine Sarr de la“ juxtaposition au sein d’une même société de temporalités et d’épistémès différentes, parfois même au sein du même individu, où plusieurs systèmes de référence peuvent cohabiter, négocier, entrer en conflit ou s’inter-féconder”

Autant de choses qui lui font dire qu’ “instinctivement , l’on ressent ce que les indicateurs fondés sur la valeur ajoutée additionnelle annuelle produite par an (le Pib); ainsi que les classements et les ordonnancements des niveaux de richesse relatifs des pays ont d’inopérant, d’abstrait et de limité”.

C’est pourquoi, souligne Felwine Sarr, l’urgence n’est pas de s’engager dans une course poursuite encore moins dans une tentative de rattrapage mais plutôt de chercher à “être au meilleur de soi-même” puisqu’il s’agit de mettre en place “ une stratégie de subversion et d’insurrection devant aboutir à l’élaboration de son propre discours et d’une représentation de soi même”. Non point pour espérer s’enfermer dans une insularité improbable mais pour déterminer sa pratique à l’aune de normes et de critères propres. Une telle posture suppose selon l’auteur de pouvoir développer à la fois une attitude critique vis-à-vis du savoir de l’Occident sur l’Afrique, mais aussi des discours affligeants que les Africains tiennent sur leur histoire, leur culture en empruntant le même dispositif théorique de l’Occident qui a enfermé le Continent dans la barbarie, la primitivité, la sauvagerie, l’oralité, le paganisme.

Tout en se démarquant de cette propension à s’enrouler dans une victimisation paresseuse, l’auteur n’en récuse pas moins les discours qui se veulent responsables et qui pêchent par une auto flagellation en tentant de minimiser voire de nier les conséquences de la traite et de la colonisation sur ce que l’Afrique est devenue, préférant au contraire fustiger la mauvaise gestion économique des leaders des jeunes nations africaines indépendantes. Au contraire pour Felwine Sarr, nul ne peut ignorer qu’au regard du temps long, quatre siècles de traite transatlantique et un siècle de colonisation “ont eu des conséquences démographiques, économiques, politiques culturelles et sociales majeures, ensablé les rouages de la machine et infligé des coûts énormes aux sociétés africaines au sud du Sahara”.Il est par conséquent important fait-il remarquer, de “réussir à se dire et surtout se penser en dehors des injonctions civilisationnelles des autres”.

Porté par une écriture et une réflexion exigeantes;“Afrotopia” invite le Continent à ne plus courir sur les sentiers qu’on lui indique , mais à marcher prestement sur le chemin qu’elle se sera choisi. Seulement se choisir un chemin suppose d’avoir procédé au préalable à une évaluation critique de son propre parcours et de ceux des autres qui nous entoure pour pouvoir à l’aune de tout cela produire un discours encodé dans son environnement et susceptible de le transformer . Ce que l’auteur a bien compris puisqu’il estime que “l’intelligence d’une civilisation réside dans sa capacité à faire la synthèse des mondes complémentaires qui s’offrent à elle et à les intégrer dans un telos“, déroulant ainsi un projet pour elle-même et l’humanité. Ce livre lumineux appelle à une insurrection, à une déconnexion voire un décrochage de l’Occident. Il nous dit aussi qu’il “n’est point de fatalité historique à laquelle seraient soumises les sociétés, à condition de concevoir leur avenir, d’en avoir une vision et d’agir dans le temps présent pour transformer leur réalité”. Il se pose par conséquent pour Felwine Sarr, l’impérieuse urgence édifier un “Afrotopos“ ou plutôt un “atopos de l’Afrique“, c’est-à-dire : “ce lieu non encore habité par cette Afrique qui vient“.
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