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Mankeur Ndiaye (ministre des affaires étrangères): ’’Un parjure, ça se paye...’’
Publié le mercredi 17 fevrier 2016  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par DF
Le ministre des relations extérieures du Brésil en visite au Sénégal
Dakar, le 2 septembre 2015 - Le ministre sénégalais des Affaires Etrangères a reçu son homologue du Brésil Mauro Viera qui est en visite au Sénégal. Photo: Mankeur Ndiaye, ministre sénégalais des Affaires Etrangères




Le débat sur la double nationalité, loin de s'estomper, continue à provoquer une chaîne de réactions. Le ministre sénégalais des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur, Mankeur Ndiaye, estime que l'ancien président de la République Me Abdoulaye Wade doit s'expliquer sur cette question. Il estime que le fait d'avoir caché sa seconde nationalité, ainsi que révélée par un de ses avocats, relève du parjure.

En tant que ministre et membre du gouvernement, ne pensez-vous pas qu'il faut légiférer sur la question de la double nationalité pour que la loi puisse être clairement entendue et appliquée ?

Il faut d'abord recentrer le débat. Il n’a jamais été question de débat sur la nationalité en tant que lien juridique rattachant l'individu à la Nation. La question simple qui est posée est celle des conditions d'éligibilité à la magistrature suprême du Sénégal. La loi en la matière dispose, entre autres, qu'un candidat à l’élection présidentielle doit être exclusivement de nationalité sénégalaise pour être éligible aux fonctions de président de la République. Les critères de candidature aux fonctions électives sont légiférés dans le droit sénégalais et bien définis dans notre Constitution, notamment en l'espèce, par la Loi n° 92-14 du 15 janvier 1992 qui dispose que « Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques et être âgé de 35 ans au moins ».

Cette disposition, figurant dans l’actuelle Constitution à l’article 28, est claire et limpide comme l’eau de roche ; il n’y a aucune ambiguïté et donc aucune autre possibilité d’interprétation. Chaque candidat fait une déclaration sur l'honneur indiquant qu'il est exclusivement de nationalité sénégalaise. Or, l’avocat d’un ancien président de la République vient d'avouer qu'en plus de sa nationalité sénégalaise, notre ancien Président dispose de la nationalité française. Cela remet en cause ses déclarations sur l'honneur en 1993, en 2000, en 2007 et en 2012 et si c’est le cas, c'est très grave parce que cela veut dire que ses déclarations pour toutes ses candidatures sont fausses et ne correspondaient pas à la réalité. Cela s'appelle parjure. Et dans ces conditions, il est tout à fait légitime de s'interroger, mieux, d'interroger cette personnalité sur ces faits très graves.

Il faut que l’ancien président de la République dise très clairement aux Sénégalaises et aux Sénégalais s’il détient une nationalité autre que celle sénégalaise. Et, à contrario, s’il a eu à renoncer à sa nationalité française, qu’il exhibe devant le peuple sénégalais l’acte administratif signé par l’autorité française compétente consacrant cette renonciation.

Mais au-delà du cas de Me Abdoulaye Wade, est ce qu’on n’a pas ouvert, la boîte de Pandore quand on sait qu’une grande partie des élites du pays ont une double nationalité ?

Aucune boîte de Pandore n’a été ouverte et on ne saurait parler de piège difficile à contourner car, je le rappelle, la question de la double nationalité n’a jamais été agitée par le Pouvoir actuel, ni par l’Apr, ni par un quelconque parti de la mouvance présidentielle. Nous avons un Chef d’Etat et un Gouvernement suffisamment responsables qui tiennent le cap et concentrent tous leurs efforts pour l’amélioration des conditions de vie des populations. Encore une fois, il s'agit de veiller au respect strict de la Constitution, de notre droit positif qui existe bien avant l'arrivée au pouvoir du Président Macky Sall. Ne faisons pas d'amalgame, en faisant comme s'il y avait une loi nouvelle. La loi existe depuis 24 ans. Il ne s'agit ni plus ni moins que de l'appliquer. Ne versons pas dans un faux sentimentalisme. Interrogeons-nous plutôt sur celui qui vient d'être démasqué pour non-observance de la Constitution et de la loi électorale.

En Côte d'Ivoire, ce problème a pu créer des violences dont les effets collatéraux se font encore sentir avec l'affaire Gbagbo. Ce syndrome n'est-il pas à conjurer au Sénégal.

Evitons les amalgames faciles et évitons d’invoquer le malheur sur ce pays que nous aimons tant. Rappelez-vous le cas du Président Alberto Fujimori qui a dirigé le Pérou pendant 10 ans tout en gardant sa nationalité japonaise. Dès qu’il a eu maille à partir avec la justice, il est parti s’exiler au Japon, fort de sa nationalité japonaise. Voilà un exemple parlant. Il s’agit ici de la fonction suprême pour un État et c’est uniquement pour cette fonction que l’exclusivité de la nationalité est exigée. La question est une question de moralité et d’éthique républicaines.

On n’a aucun problème avec les compatriotes qui ont la double, triple ou quadruple nationalité. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un débat sur la nationalité ou la double nationalité. Le débat doit être recentré. Certains ont intérêt à polluer le débat pour noyer le poisson et éviter l’interpellation qui doit être celle de tous les Sénégalais adressée à l’ancien président de la République. Nous exigeons qu’il dise très clairement aux Sénégalais si, en se présentant à l’élection présidentielle, en 1993, en 2000, en 2007 et 2012, il avait une nationalité autre que celle sénégalaise. C’est une question très simple qui lui est posée. Il n’appartient pas « aux répondeurs automatiques » de parler à sa place. C’est à lui de nous édifier. Donc pas d’amalgame.

Mais il faudra bien répondre aux questions posées à propos de la double nationalité...

Il n’a jamais été question de dire qui est sénégalais qui ne l’est pas ou qui doit l’être. Je dis juste qu’il n’y a aucune gêne à affirmer que quand on aime ce pays au point de prétendre le diriger, il est légitime que l’on s’assure qu’on ne défendra que les intérêts de ce pays. Je voudrais rappeler avec insistance que les gens s'enflamment sur une disposition qui existe depuis des années dans la Constitution consacrée par la loi n°92-14 du 15 janvier 1992 portant révision de la Constitution. Une disposition qu'on feint de découvrir subitement et qui n'est pas propre au Sénégal. Elle existe dans bien d'autres pays. L’Algérie vient d’adopter la même disposition.

Ce qu'on doit plutôt exiger, c'est que le mis en cause, qui a dirigé ce pays pendant 12 ans s'explique devant les Sénégalais. Voilà les vrais termes du débat. Tout le reste relève du faux fuyant et de l'amalgame. Personne n'est dupe. Un parjure, ça se paye.
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