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Mouhamadou Mbodj, Forum civil: "Éviter de légiférer sur l’existant et les ambitions personnelles ou partisanes"
Publié le samedi 30 janvier 2016  |  Sud Quotidien
Mouhamadou
© Autre presse par DR
Mouhamadou Mbodj, coordonnateur du Forum Civil




Dans le droit positif sénégalais, les manquements à l’éthique ne sont pas sanctionner, alors que toutes les crises politiques, qui nous ont menées au bord du gouffre, sont parties de dysfonctionnement dans les comportements des acteurs. C’est du moins la conviction de Mouhamadou Mbodji du Forum civil, qui fait noter que toutes ces crises sont évitées, non pas par un socle institutionnel solide, mais plutôt par la résistance des citoyens. D’où, selon lui, la nécessité de ré-questionner le postulat qui dit que nous avons un socle institutionnel solide. Dans cet entretient exclusif accordé à Sud Quotidien, M. Mbodj est revenu sur beaucoup de questions qui méritent d’être posées dans ce débat sur la réforme des institutions, conformément aux nouvelles réformes, notamment le Pse, l’Acte III de la décentralisation, etc. Entretien.

Est-ce que le projet de réforme institutionnelle tel que proposé par le Chef de l’état répond au diagnostic sur la crise institutionnelle au Sénégal ?

On a failli connaitre une dévolution dynastique du pouvoir avec les mêmes institutions. Dire que le socle institutionnel au Sénégal est solide au regard de ces faits, est ce qu’on ne devrait pas relativiser ce postulat qui sous-tend les 15 propositions ? On a vu en 1980, comment en changeant la Constitution devant le parlement, on a installé le dauphinat au Sénégal et transmis le pouvoir à Abdou Diouf, sans référendum, sans élection. Ça veut dire que la manipulabilité des institutions est attestée par ces quelques éléments d’histoire, notamment la crise de 1962.
Le fait que le Conseil constitutionnel dit au président Wade en 2001, lors des législatifs, que votre image ne devrait pas être dans les bulletins de vote, et que le président ait réussi à imposer ça, sans revenir là-dessus, devrait nous pousser à nous interroger sur la validité du postulat qui consiste à affirmer de la solidité du socle institutionnel politique au Sénégal. L’essentiel des partis au pouvoir avaient dit qu’ils ne se soumettraient pas à la décision du Conseil constitutionnel, à la veille des élections de 2012. Ça veut dire que le système des institutions doit polariser toutes les crises possibles et imaginables depuis 1960. Les manquements à l’éthique ne sont pas sanctionnés au Sénégal, pas dans le droit positif sénégalais. Pourtant, toutes les crises politiques qui nous ont menées au bord du gouffre sont parties de dysfonctionnement dans les comportements des acteurs, mais pas le déficit de normes.

Est-ce que c’est la maturité du peuple, sa conscience historique de se battre pour une démocratie de grande envergure historique, ou s’est le socle institutionnel qui a permis de résoudre les crises ?

Ce qui a permis de contrebalancer ou d’équilibrer ces crises, ç’a été beaucoup plus la résistance citoyenne. En 2000, dans la tentative de répéter le dauphinat, quand Diouf pensait pouvoir confier son mandat sans l’avoir dit comme Senghor l’avait fait, tout le monde avait le regard braqué sur Ousmane Tanor Dieng. C’est le peuple qui a organisé l’alternance sous forme de résistance.

En 2012, quand Wade l’a voulu, après l’échec du 23 juin, c’est le peuple qui a organisé la résistance pour mettre fin au régime de Wade.

Donc, vous voyez que le postulat qui dit que nous avons un socle institutionnel solide peut être re-questionné. Ce n’est pas le socle qui a pu éviter certaines crises, c’est la résistance des citoyens qui a fait reculer. Donc, notre acquis démocratique majeur, c’est le comportement du citoyen aujourd’hui, et non le socle institutionnel. Par conséquent, il va falloir vraiment réfléchir sur ces questions à fond.

Ces questions devraient être débattues. Je crois que pour le moment, à part la magistrale contribution de la CNRI, qui a rassemblé les propositions des Assises nationales, de Yonnu Yokkuté et celles du Pr Marielle, sur les ‘’Closes d’éternité’’, je crois que le débat ne fait que commencer. Il faut le recevoir avec beaucoup d’esprit d’ouverture. Et savoir qu’on est en train de co-élaborer, ou d’assurer un renouveau institutionnel des conditions du vivre ensemble. Un tel chantier s’applique à 13 millions de sénégalais, pas un parti politique, pas un leader politique. C’est sur plusieurs générations qui vont venir, si on veut assurer la durabilité. On doit faire preuve d’ouverture, de largesse d’esprit, de générosité et éviter de légiférer sur l’existant et les ambitions personnelles ou partisanes.

Mais aussi du coté de l’opposition, il faut aussi éviter d’en faire des préalables, en disant qu’il faut libérer tel homme. On ne peut pas entraver le fonctionnement de la justice pour bloquer une initiative constitutionnellement permise de consulter les citoyens. Cela aussi n’est pas acceptable. C’est la preuve que c’est peut être un moment d’évaluation du cadre politique institutionnel qui nous a porté depuis l’indépendance. Peut être que certains pensent que ces Institutions ont fini leur trajectoire historique. D’autres vous diront qu’il y a de nouvelles réformes.

Pour vous, sur quoi devrait s’articuler le débat sur la réforme des Institutions ?

Comme par exemple l’Acte III de la décentralisation, il faut une articulation entre le débat sur les Institutions et les problèmes posés par l’Acte III, notamment les pôles économiques. Comment produire des institutions à partir de ces nouveaux paradigmes sur le développement à partir de la base ? Le Pse aussi, qui est le seul cadre de formulation des politiques publiques aujourd’hui, d’ici 2035 suit une temporalité aussi large et dont la vocation est une transformation structurelle de l’économie. Peut-on penser son pendant politique de réformes institutionnelles hors de cette temporalité, sur la durabilité, hors de cette profondeur sur les dimensions structurelles ? Est-ce qu’on peut laisser un mode de gouvernance politique institutionnelle gérer une économie qu’on veut relancer avec les mêmes porosités liées à la corruption, à l’entretien d’un clientélisme politique, une gouvernance d’intermédiation fortement intéressée, qui suit les priorités indues à une catégorie de sénégalais ? Est-ce qu’on peut doubler le Pse d’un système institutionnel politique de cet ordre ? Il va falloir le remettre totalement en cause, pour que le Pse puisse profiter à tout le monde, sur la base du principe d’égalité des citoyens et d’égalité des chances devant l’Etat. C’est autant de questions. Ça demande qu’en même qu’on se calme, qu’on attende que le Conseil constitutionnel joue sa partition, que le président de l’Assemblée soit consulté, que la procédure soit lancée et qu’on essaie de civiliser le débat sur ces interactions pour le Sénégal, pas pour des intérêts de groupes ou des intérêts particuliers.

Vous avez évoqué la question de la manipulabilité de la Constitution. Est à dire que le chef de l’Etat cherche à endiguer cette pratique en proposant de verrouiller certaines dispositions, dans le projet de réforme proposé ?

La manipulabilité renvoie à des questions d’éthique. Et dans ce débat, il ne s’agit pas seulement de produire des normes juridiques. Si on en est arrivé à un niveau de patrimonialisation de la gestion publique dans le pays, ça ne veut pas dire qu’il y a un déficit de normes juridiques internes. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas une bonne Constitution. Ça ne veut pas dire qu’il y a de la confusion dans la formulation des textes juridiques qui encadrent la gouvernance politique institutionnelle. C’est parce qu’on a souvent manqué d’éthique. Est-ce que dans ce débat on sent qu’il y a le débat sur l’éthique sur ces questions ? Voila une question de fond. Autrement dit, la surabondance des normes ne règlera jamais l’absence d’éthique dans la conduite des affaires publiques.
Est-ce que dans les normes sur lesquelles nous sommes en train de discuter, la forme du régime politique ne sera pas frappé de la close d’éternité ? A un moment, la société peut évoluer, des éléments peuvent avancer, on peut passer d’un régime de nature X à un autre de nature Y. Ils disent qu’on a besoin de verrouiller cette question, alors que la société peut évoluer. Il faut discuter de ça. On parle de verrouillage. Mais, l’auto-verrouillage doit être fait d’abord par les acteurs politiques sur les normes éthiques.

Que faudrait-t-il à la place ?

Il est temps que dans le parallèle des réformes institutionnelles qu’on dise : quand vous êtes élus, vous prêtez serment, vous jurez de respecter et de faire respecter les lois, et que vous saisissez un organe de la République, le Conseil constitutionnel qui donne une décision, et puis vous dites que vous ne vous plierez pas à cette décision, quels sont les moyens de la République de faire face à cela. Sur les normes éthiques, comment mesurer cela ? Quelle est la plateforme de production de normes éthiques qui doit encadrer ce qui en est de la gouvernance des affaires publiques ? Quand la clé de voûte des institutions dit : «je vais faire du wax waxeet, et je ne me plierais pas à une décision prise par des Institutions de la République», qu’est ce qu’on doit faire ?
Est-ce que nous avons prévu d’instituer un mécanisme, une procédure et des normes de destitution d’une autorité de l’Etat qui refuse de se soumettre aux normes de l’Etat ? Est-ce que dans les 15 mesures on peut trouver cette mesure, qui renvoie à la correction de l’impasse liée au manque et au déficit d’éthique dans le comportement des acteurs constitutionnels de la gouvernance publique ?

Que pensez-vous du fait que certains spécialistes, notamment les constitutionnalistes se soient accaparés du débat sur la réforme des institutions ?

La surabondance de réflexion sur la centralité du présidentialisme me gène, même portée par les constitutionnalistes. La gouvernance, ce n’est pas seulement la station présidentielle. Il va falloir négocier un partage des pouvoirs. On nous fait des mandats de 7 ans, mandat unique, parce que le postulat qui sert toutes ces réflexions, c’est l’ancrage dans un présidentialisme hypertrophié dans notre système de gouvernance politique.
Il faut se libérer de ça et les discussions devraient permettre de faire éclore des innovations, de nouvelles idées. Ça peut sortir des citoyens. On n’a pas besoin de spécialistes. Elaborer ensemble les règles politiques et les constitutionnels l’habillent juridiquement. Ils ne doivent pas être au devant de la situation dans cette discussion politique.
Ce sont des professionnels du droit, ils doivent habiller les accords et les consensus qu’on va arrêter entre nous. Ils sont concernés comme citoyens, bien entendu.
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