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Fadel Barro, coordonnateur du mouvement Y’en a marre : «Des vies et des chemins ont été bouleversés»
Publié le jeudi 21 janvier 2016  |  Le Quotidien
Y en a marre
© aDakar.com par MC
"Y en a marre" tient sa foire aux problèmes
Dakar, le 10 mai 2014- Le mouvement "Y a marre" a ouvert ce samedi la 2 édition de la "Foire aux problèmes". La manifestation qui se tient à la place de l`Obélisque permet aux "Y en a marristes" de faire un listing des difficultés qui assaillent le pays et de proposer, par conséquent, des solutions. Photo: Fadel Barro, coordonnateur du mouvement "Y en a marre"




En attendant que le débat sur sa succession à la tête du mouvement Y’en a marre soit posé au cours d’un prochain conclave, Fadel Barro revient dans cet entretien, sur les péripéties glorieuses et douloureuses qui ont marqué la vie des acteurs et du mouvement lui-même.

Quel bilan vous inspire le mouvement Y’en a marre, cinq ans après sa création ?
Dans la vie d’un mouvement qui suscite autant d’amour, de passion, de haine, de controverses comme d’espoir, cinq ans, ce n’est absolument rien. Surtout quand c’est porté par des jeunes. Je veux dire jeunesse dans les idées, dans l’âge, dans la façon de faire. Je pense que l’heure n’est pas encore au bilan. Il faut observer le mouvement jusqu’aux prochaines élections. Il faudra voir ce que le mouvement va faire, s’il va continuer d’exister. Nous subissons beaucoup de coups. Après cinq ans, mon sentiment est un peu mitigé. C’est très rapide. Des vies et des chemins ont été bouleversés. Le mouvement a influencé toute une jeunesse sénégalaise et africaine. Quand vous regardez dans le rétroviseur, tous les actes qu’on a eu à poser, c’est beaucoup mais, en même temps, c’est peu par rapport à l’enjeu. Quand nous nous levions dans cette nuit du 15 au 16 janvier 2011, il y avait quelque chose qui brûlait dans nos tripes. C’était un appel qui venait du fond de nous-mêmes. Cela a provoqué une aspiration à un avenir plus radieux. Si l’on scrute l’avenir, je ne pense qu’on puisse considérer qu’il ne sera pas radieux. L’avenir de la jeunesse africaine ne sera pas toujours radieux. Nous avons gagné des batailles : empêcher le troisième mandat de Abdoulaye Wade,…
Nous avons positionné un en­semble de valeurs que nous avons codifiées autour du Nou­veau type de Sénégalais (Nts). Si l’on regarde les comportements des Sénégalais dans la rue, on peut se demander s’il y a des choses qui ont changé. Il reste beaucoup de choses à faire. Le plus important est que le mouvement est toujours là.

N’avez-vous pas échoué dans votre combat pour un Nouveau type de Sénégalais, vu qu’il y a des choses qui restent à faire ?
Du tout ! Je pense que les gens n’ont pas compris ce que c’est le Nouveau type de Sénégalais. Nous avons refusé de le théoriser et je vais dire pourquoi. Dans le domaine du comportement, théoriser revient à donner des leçons, à bâtir un type. Et ce type risque d’être en opposition à un autre. Tous les gens qui ont voulu bâtir un profil se sont finalement versés dans le totalitarisme. Hitler, les Communistes ont voulu bâtir des types de cette manière-là. Même les Salafistes veulent bâtir un type. Nous avons refusé de mettre des œillères aux gens. Quand nous avons parlé d’un Nouveau type de Sénégalais, c’est simplement un appel au renouveau. D’ailleurs, le concept a suscité une polémique. J’ai entendu des pseudo-intellectuels dire qu’ils sont des anciens types. Toute critique est par ailleurs à mon avis positive mais c’est une compréhension superficielle. Nous parlons de s’appuyer sur des valeurs existantes et qui ont tendance à disparaître. Il s’agit de la propreté, du respect du bien public et de la parole donnée. Donc, c’était par opposition à un mauvais type de Sénégalais qui se désintéresse de la chose publique, qui est fataliste, qui est capable de dire quelque chose et de se dédire le lendemain comme Abdou­laye Wade a essayé de théoriser le Wax waxeet. Il y a aussi tous ces jeunes qui épousaient des partis politiques pour des intérêts et non pour des principes. C’est en réponse à ceux-là que nous avons dit qu’il faut un renouveau dans l’espace public. Il y a un penseur anonyme, Pathé Seck, qui me dit toujours que la politique est l’instrument de l’écriture de l’histoire. Dans ce cas, toute politique qui n’est pas fondée sur l’écriture de l’histoire devient périssable. Nous voulons rompre avec cette tradition perpétuée par des politiciens qui ont désacralisé l’engagement politique. Dans les faits, nous voulons dire aux jeunes qu’être Nts, c’est refuser de salir la rue, refuser que le chauffeur du car rapide conduise n’importe comment, que le policier soit corrompu. Ce sont de petites choses qui se font à grande échelle, qui peuvent changer beaucoup de choses.

Au lendemain de sa victoire, le Président Macky Sall vous a invités à intégrer son gouvernement. Pourquoi aviez-vous refusé ?
D’abord, c’était une reconnaissance de la part du Président Macky Sall. Nous le remercions pour cela. Il pouvait nous ignorer. Ce n’était pas pour nous corrompre. Il avait estimé que nous avions contribué à la victoire comme Youssou Ndour et d’autres. D’ailleurs, il nous avait dit : «N’ayez pas peur du pouvoir.» Mais nous avons fait le choix de ne pas rentrer dans un système que nous ne contrôlons pas, dont nous ne connaissons pas les tenants et les aboutissants ; et demain, servir de faire-valoir. Bien avant le départ de Wade, nous répétions que le changement voulu pour notre Sénégal ne viendra pas des hommes politiques, ni des partis encore moins des coalitions politiques.
Nous avons voulu miser sur le Sénégalais pour porter les changements en se basant sur nos valeurs socioculturelles. Est-ce que le pouvoir a rompu avec le népotisme, le clientélisme ? Vous avez vu l’irruption de la famille dans l’espace politique. Pourtant c’est ce pourquoi Wade a été combattu. Nous ne sommes plus dans la République de la méritocratie. Si l’on avait intégré le gouvernement, on aurait continué difficilement et nos voix ne seraient plus audibles surtout au plan africain. Nous avons fait le choix le plus difficile. Combien de forces tapies dans l’ombre ont envie que la voix de Y’en a marre ne soit plus audible ?

Comment vivez-vous les attaques qui viennent de vos compagnons de lutte d’hier, qui sont aujourd’hui au pouvoir ?
D’abord, certains nous en veulent parce que nous ne les avons pas rejoints au banquet. Ensuite, il y a ceux dont Y’en a marre a contribué à la perte du pouvoir. Enfin, il y a tous ces pouvoirs organisés qui sont pressés d’entendre la mort du mouvement parce qu’il les dérange. Nous les comprenons. Le plus important pour nous est de rester lucides et vigilants. C’est-à-dire refuser la manipulation et l’instrumentalisation.

Quel bilan faites-vous de l’après-Abdoulaye Wade ?
Sur le plan des valeurs, le Président Macky Sall a beaucoup péché. Dernièrement, il a voulu nous vendre la transhumance comme une valeur politique. C’est extrêmement grave ! Cela ne contribue pas à assainir l’espace politique. Si l’on regarde bien la manière dont la traque des biens mal acquis a été diligentée, on se rend compte qu’on ne sait pas encore ce qui se passe au fond. A part l’affaire Karim Wade, le Sénégalais lambda ne connaît rien des autres dossiers. Certains ont été emprisonnés ; d’autres n’ont pas été inquiétés. Pourquoi ? Est-ce qu’il y a des gens qui ont transigé ? Il n’y a pas de transparence. Est-ce que cette traque visait à lutter contre l’impunité ? Au bout du compte, on peut en douter. Est-ce que ce n’est pas finalement un instrument de dissuasion politique ? Il y a eu des arrestations et des libérations spectaculaires. A côté, il y a l’emprisonnement des jeunes de Colobane sur la base de témoignages fallacieux. Le témoin a menti sur sa propre identité. Il y a aussi un manque de transparence dans ce qui se fait dans ce pays.

Quels sont aujourd’hui les mécanismes que Y’en a marre exploite pour disposer de ressources lui permettant de fonctionner ?
Avant 2012, il y avait la vente des tee-shirts de Y’en a marre, la contribution de Sénégalais qui ont voulu acheter des tee-shirts à des valeurs importantes ou participer à l’organisation de nos activités.

Combien a coûté le tee-shirt le plus cher ?
(Rire) Je me souviens de quelqu’un qui a acheté un tee-shirt à 200 mille francs Cfa. Et ce Sénégalais était ministre dans le gouvernement de Wade. Donc, il n’était pas avec nous. Il pensait qu’il fallait soutenir le mouvement pour renforcer la démocratie dans ce pays. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais divulguer son nom. Jamais des leaders de l’opposition ne nous ont aidés. Nous les avions beaucoup évités. Nous ne voulions pas que quelqu’un pense qu’on lui était redevable pour quoi que ce soit.
Après cette phase, le défi n’est plus le même. Wade cristallisait à lui seul toutes les frustrations. Il y a eu moins de ventes de tee-shirts et de contributions. Alors, nous avons développé une panoplie de projets articulés autour du programme Tabax euleuk que nous avons soumis à des Ong dont nous pensons partager les valeurs.

L’affaire Lamine Diack, qui avoué vous avoir financièrement appuyés, n’a-t-elle pas gêné au sein du mouvement ?
Ce qui a gêné, c’est qu’on a essayé d’expliquer tout le combat de tous les Sénégalais à travers l’appui d’une seule personne, en disant que c’est de l’argent du blanchiment, etc. Quelle que soit la contribution de Lamine Diack, elle ne peut pas être la justification de la victoire de toutes les forces qui étaient engagées. Celle-ci doit être minime par rapport aux forces qui étaient impliquées dans le cadre du M23, des partis politiques et des associations citoyennes. Sur un autre registre, on est gênés parce qu’on avait beaucoup d’estime pour Lamine Diack. On le prenait pour un modèle en termes de valeur et de patriotisme. On n’aimerait pas que son nom soit mêlé à ces histoires-là, en tant que Sénégalais. On est même peinés. C’est l’image du Sénégal qui en pâtit.

Est-ce que le Forum des «esprits» Y’en a marre de Paris est la seule activité à laquelle M. Diack a participé financièrement ?
C’était la seule activité. Je dois dire que, pour l’organisation de ce forum, en 2013, c’est nous qui sommes partis vers lui pour qu’il parraine notre activité. Et on en avait parlé à l’époque. Nous ne sommes pas gênés de dire qu’il nous a soutenus. Pour nous, ce qu’il gagnait dans le cadre de son travail pouvait aider à faire ce pourquoi il était sollicité.
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