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Débat - Ismaïla Madior-Babacar Guèye : Le référendum des constitutionnalistes
Publié le mardi 5 janvier 2016  |  Le Quotidien
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© aDakar.com par DF
Journée du droit à l`information célébrée
Dakar, le 28 septembre 2015 - La journée du droit à l`information a été célébrée à Dakar. Plusieurs acteurs de la presse, juristes et défenseurs des droits humains ont plaidé pour une meilleure qualité de l`information. Photo: Pr Ismaëla Madior Fall, ministre conseiller juridique du président de la République




Ismaïla Madior Fall et Babacar Guèye lancent les joutes. Invités de l’émission Remue-ménage de la Rfm hier, les deux constitutionnalistes ont débattu de la procédure relative à la réduction et à l’applicabilité du mandat présidentiel, point principal du paquet de 15 réformes constitutionnelles proposées par le chef de l’Etat dans son discours à la Nation du 31 décembre. Le Quotidien a choisi de partager leurs désaccords. Leurs plaidoiries.

Voie parlementaire ou référendaire : Guerre des doctrines ?
Ismaïla Madior Fall
Pour réduire le mandat du président de la République, il y a deux voies possibles : la première, c’est celle qui est prévue par l’article 103 de la Constitution qui dit : «Le président de la République peut initier un projet de loi, l’envoyer au Parlement qui peut approuver ce projet de révision à la majorité des 3/5. Toutefois, le président de la République peut aussi toujours, après l’adoption du projet de révision par l’As­semblée nationale, soumet­tre ce projet au référendum.» On peut objecter que cette voie n’est pas possible parce que pour réduire le mandat du président de la République de 7 à 5 ans, il faut impérativement le référendum. Cela aussi est discutable pour deux raisons : Premièrement, parce que l’allongement du mandat a déjà été fait par voie référendaire ; donc il y a un précédent. Deuxièmement, le Profes­seur Babacar Guèye, le Profes­seur Pape Demba Sy et moi-même avions à l’époque écrit que c’était une fraude à la Consti­tution, mais cela restait des opinions doctrinales. Aucun juge n’a tranché la question. Autrement dit, au Sénégal, en 2008, il n’y a pas eu une juridiction qui a dit que le passage du quinquennat au septennat a été une violation de la Constitution. Si aujourd’hui, justement, le président est élu pour un mandat de 7 ans, c’est sur la base de la voie parlementaire.
La deuxième voie pour modifier la Constitution, c’est l’article 51 de la Constitution qui dit : «Le président de la République peut, après avoir consulté le président de l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnelle au Peuple.»

Babacar Guèye
Sur le premier point, il est parfaitement possible - et ce n’est pas un problème de doctrine - de donner un effet rétroactif à la réduction du mandat en écrivant tout simplement dans la loi constitutionnelle qui doit être adoptée : «Cette réduction s’applique au mandat en cours.» Rien, et absolument rien, en droit, ne s’y oppose. On aurait pu ne pas faire cette précision ; alors à ce moment-là, la controverse qu’il soulève serait justifiée. Mais dans le cas d’espèce, si l’on précise que cette réduction s’applique au mandat en cours, il n’y a pas de discussion possible. La révision aurait un effet rétroactif et rien ni personne n’y pourra quoi que ce soit.
La deuxième question porte sur la manière de réviser la Constitution. A mon avis, la voie parlementaire serait illégale, même si aucune juridiction ne s’est prononcée là-dessus parce que tout simplement le Conseil constitutionnel n’a pas compétence pour contrôler la constitutionalité d’une loi constitutionnelle. C’est un peu pour cela d’ailleurs que je me félicite du projet de réforme qui prévoit la possibilité d’élargir les compétences du Conseil constitutionnel. C’est une excellente chose. Je pense qu’il faut régler ce problème définitivement parce que systématiquement, par le passé, des dirigeants ont fraudé à la Constitution, en élaborant et mettant en œuvre des révisions constitutionnelles que j’ai considérées comme des révisions pirates parce qu’ils savent pertinemment qu’elles sont contraires à la loi et que le Conseil constitutionnel se déclare incompétent ; c’est ce qui s’est passé en l’occurrence.

Combinaison de l’article 27 et 103 ou choix de l’article 51 ?
Babacar Guèye
Personnellement, je ne suis pas tellement favorable au choix de l’article 51 pour faire cette révision. Il y a un article qui est dédié à la révision constitutionnelle : c’est l’article 103. La combinaison de l’article 103 et de l’article 27 permet tout à fait de faire cette révision, et n’oubliez pas que nous sommes en face d’une révision constitutionnelle et non d’une refonte de la Constitution comme en 2001. Si on était dans ce dernier cas, oui, là le Président serait obligé de consulter le président de l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel. (...)
Dans le projet qu’on nous propose, il n’y a pas que la réduction du mandat, mais 15 points qui font l’objet de discussions. Sur la réduction du mandat, l’article 27 est clair qu’elle ne peut se faire que par voie référendaire. Mais il se trouve que dans l’article 103, on prévoit aussi la voie référendaire. Donc, il n’y a pas de contradiction. En recourant à l’article 51, on prend le risque de voir le Conseil constitutionnel dire que cette disposition ne devrait pas avoir d’effet rétroactif. C’est une voie plus risquée que de passer par l’article 103 qui n’exige aucune consultation préalable. Je crains que ces consultations créent quelques difficultés parce que c’est surabondant. Il n’est pas nécessaire de faire difficile quand on peut faire plus simple.

Ismaïla Madior Fall
Il est difficile, dans ma conception du droit, de dire que telle vérité est absolue. La raison juridique est une raison dialectique parce qu’on n’est pas dans des sciences exactes, mais de sciences sociales. Ensuite, il me semble quand même difficile d’envisager de combiner l’article 27 et l’article 103. Là, je n’ai pas bien compris le Professeur Babacar Guèye. Parce qu’au fond, quand vous avez à réviser une Constitution au Sénégal, vous ne pouvez pas combiner les procédures qui sont séparées, alternatives. Vous choisissez, peu importe qu’on soit en matière de nouvelle Constitution ou de révision de la Constitution. Le texte de l’article 103 est intitulé De la révision ; donc un article prévu rien que pour la révision. L’article 51, en revanche, est prévu pour tout projet de loi constitutionnelle. Cela veut dire qu’on peut utiliser cet article à la fois pour réviser la Constitution, mais aussi pour faire adopter une nouvelle Constitution. Si le Président avait choisi l’article 103, il y aurait deux possibilités : la procédure allongée ou celle abrégée. La procédure allongée c’est que le projet de loi est adopté - et même approuvé - parce qu’au Sénégal, c’est un seul vote, à la majorité des 3/5, et c’est fini. Les députés peuvent donc dire : «Vous nous avez envoyé le texte, mais c’est nous qui le validons.» Et la procédure du droit d’amendement leur permet d’enlever les dispositions qui, politiquement, ne leur conviennent pas. A ce moment, on aurait dit que c’est une complicité entre le président de la République et sa majorité parlementaire, qu’ils se sont entendus.
(...) C’est pourquoi le Président a dit : «Pour éviter ce risque politique, je vais choisir de con­sulter le président de l’Assem­blée nationale et le président du Conseil constitutionnel.» Donc, autrement dit, on va éviter la voie parlementaire pour s’adresser directement au Peuple. Et c’est pour cela que les consultations sont faites en réalité. Mais ce ne sont pas des consultations juste d’usage. D’ailleurs, c’est le seul cas de la Constitution du Sénégal où le Conseil constitutionnel peut donner un avis.

Conseil constitutionnel : simple avis ou décision judiciaire ?
Ismaïla Madior Fall
Un avis donné par un organisme consultatif peut être un avis consultatif ou conforme. Quand un avis est consultatif, il ne lie pas l’autorité qui le demande, mais quand il est conforme, il le lie. Ici, on n’est pas dans le cas d’un organisme consultatif, mais d’une juridiction constitutionnelle. C’est un avis judiciaire. Les avis rendus par le Conseil constitutionnel lient le président de la République.

Babacar Guèye
C’est juste un avis qui ne lie pas le président de la Répu­blique. Evidemment, si le Con­seil constitutionnel en arrivait à cette conclusion (pas de réduction rétroactive), il faudrait beaucoup de courage au président de la République de passer outre cet avis. Dans l’hypothèse du non à la réduction du mandat, c’est simple, il faudra appliquer la volonté populaire. Je crédite au Président Macky Sall sa bonne foi et, à son corps défendant, il fera un mandat de 7 ans. Il n’y a pas d’autres solutions.
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