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Babacar Guèye, professeur agrégé de droit public: "Le conseil constitutionnel peut refuser la retro-activité"
Publié le lundi 4 janvier 2016  |  Sud Quotidien




Interpellé sur la rétroactivité de la réduction du mandat du président de la République, le Pr Babacar Guèye, agréé du droit public, l’un des rédacteurs de l’actuelle Constitution, a déclaré que le Conseil Constitutionnel pourrait bel et bien refuser son application sur l’actuel mandat de Macky Sall. Mais, s’est-il empressé de souligner, l’avis des Cinq Sages ne lie le Chef de l’Etat. Pour l’universitaire, Macky Sall aurait dû annoncer la date de la tenue du référendum. Ce qui, selon lui, aurait rassuré la classe politique et les Sénégalais. Toutefois, le Constitutionnaliste soutient que les réformes annoncées par le Chef de l’Etat vont dans le «bon sens», même s’il dit rester sur sa faim, concernant certaines choses.

«CE QUI A MANQUE DANS LE DISCOURS DE MACKY SALL»

Professeur, le président de la République a annoncé une réforme de la Constitution, via un référendum devant déboucher sur la réduction de son mandat. Quelle lecture en faites-vous ?

Il y a eu un petit quelque chose qui a manqué dans le discours de Macky Sall. Il aurait dû rassurer la classe politique et les Sénégalais sur la tenue du référendum. Il aurait pu dire qu’il se tiendra par exemple dans la première quinzaine du mois de mai ou la deuxième quinzaine. Comme ça, au-delà du protocole de la CEDEAO sur la bonne gouvernance, ça aurait pu poser moins de problème.
Mais, d’une manière générale, - même si je reste sur ma faim, parce que j’aurais souhaité qu’il aille jusqu’au bout sur les réformes, - ce qu’il a annoncé va dans le bon sens. En toute honnêteté. Mais c’est quand même insuffisant ! Il n’a pas voulu être imprudent, peut-être.

Le président doit requérir les avis du président de l’Assemblée nationale et du Conseil Constitutionnel, même s’ils sont consultatifs. Toutefois, que se passera-t-il si le Conseil Constitutionnel refuse la rétroactivité de la réduction du mandat de Macky Sall?

C’est une formalité obligatoire. Mais, les avis que les deux institutions vont délivrer ne sont nullement obligatoires, encore moins contraignants pour lui. Il peut passer outre.
Toutefois, si le Conseil Constitutionnel considère que la réduction du mandat ne saurait avoir un effet rétroactif, Macky Sall devra faire preuve d’un grand courage pour aller contre l’avis du Conseil constitutionnel, même s’il est purement consultatif. Mais, cela pourrait peut-être (rires), le pousser à revoir sa position. Comme l’insinuent certains, s’il n’avait pas l’intention de faire rétroagir cette loi là, ce sera un argument pour lui. Il peut dire : «écoutez, le Conseil Constitutionnel refuse de me donner un avis rétroactif ; étant soucieux de la légalité, de l’Etat de droit et du droit ; donc, j’ai décidé de suivre l’avis du Conseil Constitutionnel. (Eclats de rires)». Mais, en principe, l’avis ne lie pas (il insiste, Ndlr). Toutefois, les mauvais esprits peuvent dire qu’en faisant ça, il avait l’intention de se déduire. Parce que s’il ne respecte pas la rétroactivité, il a quand même un prétexte en droit. Il pourra simplement dire : «je respecte l’avis du Conseil Constitutionnel sur la non rétroactivité de mon mandat. Mais, je vais quand même faire le référendum en modifiant la Constitution. Et je réduis mon mandat à cinq».
Seulement, le quinquennat ne s’appliquera qu’à son deuxième mandat, s’il est réélu. Par conséquent, il fera présentement un mandat de sept ans. Mais, je précise encore une fois que cet avis ne le lie pas. Même s’il serait en porte à faux avec son engagement pris dans l’entre-deux-tours.
Pourtant, il y a une jurisprudence sur ce point là. Le Conseil Constitutionnel pour motiver sa décision validant la candidature de Abdoulaye Wade en 2012, avait clairement dit qu’une «déclaration du président de la République quelle que soit la solennité du moment, n’a aucune valeur juridique».
Effectivement. C’est ça. Le Conseil Constitutionnel peut bien dire que ce n’était un engagement juridique, mais un engagement moral. Mieux, le président de la République a prêté serment devant la Nation, de respecter la Constitution. Pour moi, respecter la Constitution, c’est respecter le mandat de sept ans que le peuple lui a confié. Par conséquent, le Conseil Constitutionnel est capable de dire ça. Mais, le Chef de l’Etat peut passer outre. Mais personnellement, a priori, je pense qu’il fera cinq ans. Toutefois, n’insultons pas l’avenir.

Que pensez-vous de la décision de permettre des candidatures indépendantes de prendre part à tous les types d’élection ?

C’est une mesure formidable ! C’est une excellente chose. C’est une mesure fantastique qu’il a annoncée. Je me suis toujours demandé pourquoi les candidatures indépendantes ne seraient-elles possibles surtout dans des élections locales. On les admettait pour les élections présidentielle et législatives, mais pas dans les locales. Ca ne reposait sur rien du tout. Là, Macky Sall rétablit, la logique qui aurait dû prévaloir depuis le début. Il rétablit la justice en faveur des candidatures indépendantes. Vous pouvez être électeurs, mais vous ne pouvez être élus, tant que vous ne faites pas partie d’un parti politique. Cela n’a pas de sens.

Ces candidatures indépendantes devraient-elles être soumises à des conditionnalités, comme c’est le cas actuellement avec le nombre de signatures exigées?

Si on demande des signatures, on devrait en demander à tout le monde. Il faut mettre tout le monde sur un pied d’égalité, aussi bien les indépendants que les partis politiques. Si on veut rationaliser, pour éviter une pléthore de candidatures, on peut demander des signatures à tout le monde, parce qu’il y a quand même des partis qui n’existent que de nom. Des candidatures fantaisistes peuvent exister dans tous les deux camps.

Que pensez-vous de l’augmentation des membres du Conseil Constitution qui va passer de cinq à sept, avec le droit pour le président de l’Assemblée nationale d’en désigner deux ?

C’est logique. Parce qu’avec l’exception d’inconstitutionnalité, désormais, tout procès pendant devant la cour d’Appel peut déboucher sur la question d’inconstitutionnalité. Autrement dit, les parties en conflit devant la cour d’Appel, peuvent demander l’examen de la constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel. Et dans la mesure où il y a beaucoup d’affaires devant la cour d’Appel, le Conseil constitutionnel risque d’avoir beaucoup plus de travail qu’auparavant. Par conséquent, c’est dans la logique que d’envisager l’augmentation du nombre de sages.
Maintenant, la désignation de deux membres du Conseil Constitutionnel, par le président de l’Assemblée nationale, a priori, ce n’est pas une mauvaise chose. Toutefois, nous avons un problème du Sénégal : c’est le phénomène majoritaire, qui veut que le président de la République ait la majorité à l’Assemblée nationale. Le cas échéant, il devient le chef à l’Assemblée nationale. Dans un système dominé par un phénomène majoritaire, le président de l’Assemblée nationale va désigner deux membres du Conseil Constitutionnel, le président de la République, cinq, ça ne change rien au schéma initial. C’est le même chef. Le président de l’Assemblée nationale n’osera pas désigner des membres du Conseil Constitutionnel qui n’agréent pas le Chef de l’Etat. La raison du système majoritaire est la discipline majoritaire. Je crois qu’il aurait fallu aller plus loin en désignant, des membres par d’autres corps. Par exemple, le corps des avocats, celui de notaire, de la société civile qui auront chacun un membre. On aurait dans ce cas, une structure beaucoup plus indépendante.
C’est une façon de caser le monopole du président de la République.

Si le souci est de rendre la justice beaucoup plus indépendante, pourquoi le président de la République resterait-il, le président du Haut Conseil de la Magistrature ?

Ca fait partie des réformes que je souhaite pour la magistrature. Ce qu’on nous a proposé comme réformes de la Magistrature est insuffisant. Il faut aller beaucoup plus loin. Il faut libérer le procureur. Le procureur n’est pas libre. Il est sous les ordres du ministre de la Justice. Je pense qu’il faut le libérer davantage, pour qu’il puisse s’autosaisir, intervenir sans craindre des représailles ou quoi que ça soit. Je suis d’accord avec vous que le président de la République, président du Haut Conseil de la Magistrature, ça remet en cause, le principe de la séparation des pouvoirs. Parce que la Constitution dit que la justice est un pouvoir, comme l’exécutif et le législatif. Par conséquent, le bon sens ne voudrait pas que le président de la République, chef de l’Exécutif, soit président de la justice.

En quoi, la création du Haut conseil des collectivités locales participerait-elle à la promotion de la bonne gouvernance ? D’aucuns parlent d’un «Senat Bis» ?

C’est une bonne chose. Je ne pense pas que ce soit un Senat bis. Quand on créera ce Haut Conseil, il peut jouer le rôle du Senat. C'est-à-dire, regrouper les représentants des territoires, ça participe du renforcement de la décentralisation et de la prise en compte des différentes localités. C’est une solidarité verticale.
C’est une bonne décision, mais à condition qu’elle ne soit pas polluée par la politique politicienne.

Quid du cumul des fonctions du président de la République et celui du Chef de parti ?

C’est une vieille revendication. Lorsque nous rédigions la Constitution, nous l’avions inscrit d’ailleurs. Malheureusement, le président de la République l’alors, Abdoulaye Wade ne l’avait pas accepté. Apparemment, le Président Macky Sall, ne l’accepte pas non plus. Pour des raisons évidentes : ils ne veulent pas être gênés dans l’exercice de leur fonction. Parce que, s’ils ne contrôlent pas le parti, ils risquent de ne plus contrôler les hommes, ni les députés. Et si ça arrive, ils ne pourront pas faire voter des lois qu’ils souhaitent.

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