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Art et Culture

En privé avec Élage Diouf, chanteur: ‘’En Afrique, nous avons besoin de gens comme Mandela et Sankara . . .’’
Publié le lundi 4 janvier 2016  |  Enquête Plus




Il est à Dakar actuellement pour quelques concerts. Il profite de l’occasion pour présenter à son public sénégalais son nouvel opus de 12 titres intitulé ‘’mélokaan’’. En marge d’une conférence de presse tenue ce lundi, Elage Diouf s’est entretenu avec EnQuête. Naturellement, il est revenu sur la composition musicale et thématique de cette deuxième production solo. Mais a surtout parlé de son prochain projet d’album qu’il compte réaliser à Dakar.



Vous êtes basé au Canada mais vos prestations sont toujours accueillies avec de l’engouement au Sénégal où vous avez commencé votre carrière. Quel commentaire cela vous inspire ?

Je ne suis pas né chanteur. J’ai grandi en aimant la chanson. Quand j’étais encore élève, je suivais toutes les émissions musicales comme ‘‘Télé-variétés’’. Mes grands frères aimaient la musique et ils en mettaient tout le temps à la maison. Je pense que c’est de là qu’est née ma passion pour la musique. Avant de partir au Canada je faisais de la musique traditionnelle. Cette musique n’est pas consommée par beaucoup de personnes. On n’avait pas de place à la télé. Encore qu’il n’y avait qu’une chaine de télévision à l’époque. J’étais encore jeune mais le fait de vouloir faire de la musique traditionnelle a fait que je ne pouvais pas être aux devants de la scène. Mon choix m’a permis d’apprendre beaucoup de choses. Et cela m’a permis aussi d’avoir certaines facilités quand j’ai quitté le pays. Je n’ai pas eu de problèmes pour chanter dans de vrais micros par exemple.

Pensez-vous que si vous étiez resté au Sénégal vous auriez eu la reconnaissance que vous avez aujourd’hui au niveau national ?

Avec les moyens qu’il faut, je pense que ça serait possible. Il y a des gens qui sont comme moi qui sont ici. Seulement, on dirait que souvent il faut avoir la chance d’aller à l’étranger pour que les gens te prêtent une certaine attention. La musique c’est d’abord les moyens. Alors si tu en manques, il t’est difficile d’étaler tout ton talent. Je vous assure qu’ici il y a de talentueux artistes qui évoluent dans l’ombre et qui sont bien meilleurs que certains qu’on considère comme de grands artistes. Ils n’ont pas la chance de prester sur les grandes scènes. Et même si j’étais resté ici, je pense que je ferais partie des acteurs de la musique même si je n’arrive pas à me faire connaître.

N’avez-vous pas l’impression que la majorité des Sénégalais ne reconnaissent le talent de certains de nos artistes qui ne font pas du mbalax que lorsque l’Occident l’avalise ?

Oui, je reconnais qu’il y a des gens qui sont comme ça. Il y a aussi cette envie de découverte. Ils entendent parler de toi et veulent te voir à l’œuvre. Et comme je ne réside pas ici, ils ne peuvent pas me voir tout le temps. Il y a des gens qui sont aussi complexés ou consomment cette musique juste pour dire qu’ils sont des mélomanes et qu’ils écoutent de la bonne musique. Pour moi, toutes les musiques sont bonnes. On n’a pas forcément besoin d’un label international pour que la musique qu’on fait soit bonne. Maintenant, au Sénégal il y a beaucoup de gens qui nourrissent des complexes en pensant que si quelqu’un joue avec un artiste connu et reconnu, il est talentueux. Or, cela ne doit pas être un certificat de qualité. Comme je l’ai dit tout à l’heure, si j’étais resté ici pour sortir un album, peut-être qu’il aurait plu aux Sénégalais. Parce que moi je fais de la musique d’abord pour le plaisir. Je travaille à mettre dans ma musique des mélodies assez contagieuses, des rythmes qui dépassent les frontières du Sénégal. Je pense que ce sont des atouts. Prenons l’assiko par exemple. Personne ne déteste ses tonalités. Alors, tout réside après dans la manière de mixer cela.

Quand on vous regarde on voit votre musique à travers votre personne. Comment faites-vous pour transposer votre personnalité dans vos compositions ?

(Il rit). C’est une bonne question que vous me posez même si j’avoue que je ne sais pas comment j’y arrive. Je ne sais pas c’est quoi le secret. Je sais juste que je trouve de la joie dans ce que je fais. La musique est une chose extraordinaire. On dit qu’elle peut rendre heureuse une personne triste comme elle peut faire pleurer quelqu’un qui est joyeux. Elle te fait facilement passer d’une situation à une autre. Il y a même des musicothérapies. Ce qui signifie que la musique soigne aussi. Moi, en faisant de la musique je célèbre la joie. Quand je faisais ‘’eksil’’ c’était pour partager ma vision de la musique. Parce que chacun a une vision personnelle. Mon troisième album je veux le réaliser au Sénégal à 80% au moins.

Pourquoi ce choix de venir au Sénégal pour faire votre troisième album?

Dans cet album (ndlr : mélokaan), je voulais mettre beaucoup d’airs bien de chez moi. Il est très important pour moi de mettre des harmonies, des instruments musicaux traditionnels peu utilisés ici dans mes arrangements. On a tendance à verser dans la modernité et on oublie certains instruments. C’est ce plus qu’ont les musiciens maliens par exemple ou encore Ali Farka Touré, etc. Ils sont restés naturels dans leurs compositions. Je pense que le Sénégal a une variété d’instruments et d’airs qu’on pourrait utiliser comme les calebasses, le ‘’yela’’, etc. Alors, avec le troisième album je veux faire des choses différentes de ce que mes fans ont trouvé dans ‘’mélokaan’’. Je veux aussi qu’on y découvre et y sente ma culture. Je tiens beaucoup à la musique traditionnelle. C’est ma base et c’est important pour moi.

Est-ce que ‘’mélokaan’’ est une continuité de ‘’eksil’’ ?

Je dirais un tout petit peu mais pas vraiment. Dans ‘’eksil’’ j’invitais les gens dans mon univers musical. Après je leur présente une identité à travers ‘’mélokaan’’. Mais ce n’est pas une histoire forcément liée à celle du premier album. Cette dernière production, je voulais l’intituler ‘’seetu’’. C’est après que j’ai changé le nom. Parce qu’aussi le titre d’un album c’est comme faire une chanson. On peut commencer en mettant des beats reggae et finir par faire de la salsa par exemple.

Vous avez rendu hommage à Mandela et Sankara dans cet album. Pourquoi ces choix ?

Ils ne sont pas des Sénégalais, c’est vrai. Je pouvais chanter Lat-Dior, Amary Ngoné Sobel, Alboury Ndiaye, etc., mais moi je ne suis pas de cette génération. Aussi, je ne compte pas faire qu’un seul ou deux albums dans ma vie. Je peux plus tard rendre hommage à ces gens-là. Alors, Sankara et Mandela aussi méritent cela. Car au-delà du Burkina Faso et de l’Afrique du Sud, ces gens sont des patrimoines africains. Ils se sont battus pour l’honneur des Noirs. J’en ai d’ailleurs profité pour rendre hommage à tous ceux qui sont morts en se battant pour l’honneur des Noirs. En Afrique, nous avons besoin de gens comme Mandela et Sankara pour plus d’actions et moins de discours. Ces gens ont posé des actes forts qui nous ont séduit tous. C’est pourquoi, j’ai tenu à leur rendre hommage.

Est-ce pour partager leurs messages avec la communauté internationale que Mandela est en anglais et Sankara en français ?

C’est plus pour le public. J’ai un public composite qui aime bien ce que je fais. C’est bien de leur donner dés fois des choses dans leurs langues. Et quand je décide aussi de chanter en français c’est pour livrer des messages forts. Je ne veux chanter l’amour en français par exemple. Il faut que les paroles de la chanson aient du sens. Alors c’est comme un cadeau pour les gens qui veulent m’entendre dans d’autres registres.

Dans ce même album vous parlez des problèmes d’intégrations que rencontrent les immigrants. Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez dû faire face, à titre personnel ?

Moi, je rends grâce à Dieu car j’ai eu de la chance tout comme mes frères (ndlr : Elage Diouf vivait avec ses grands frères artistes comme lui). J’ai toujours pu vivre correctement grâce à la musique. Quand je suis arrivé en Europe, avec mes frères on a eu à collaborer avec certains. Je peux dire que les seules difficultés que j’ai eues sont liées à l’impatience. Mais vraiment, on n’a pas trop galéré. Je n’ai pas eu à vivre quelque chose de trop difficile. C’est pour cela que je rends grâce à Dieu et que je me fais la voix de ceux-là qui vivent difficilement à l’étranger. Les conditions de vie là-bas ne sont pas toujours faciles et ceux qui sont restés ici l’oublient souvent.

Le plus difficile pour un expatrié c’est d’être sollicité par un parent et de ne pouvoir l’aider. Car ce n’est pas tout le monde qui peut comprendre qu’on peut vivre à l’étranger et ne pas pouvoir régler certains problèmes.

Cependant, s’il y a des gens qui travaillent dur pour s’en sortir, il y en a aussi qui ne se comportent pas comme il faut dans les pays d’accueil. C’est à cause d’eux d’ailleurs que certains ne veulent pas donner de visas aux Africains et les mettent tous dans le même sac.

Parlez-nous de la version de ‘‘secret world’’ de Peter Gabriel que vous avez mixé dans cet album

C’est un morceau que j’ai toujours aimé. La première fois que j’ai écouté la chanson je me suis dit que j’allais la reprendre à ma façon. J’y traite un thème du quotidien sénégalais. Vous savez avant on habitait dans des concessions. Il y avait les tantes, les oncles, les cousins, les cousines, etc. On se partageait tout. Mais aujourd’hui, certaines choses font qu’on est parfois obligé de se séparer. Ce qui n’est pas toujours facile. Et c’est ce que j’explique ici. Je vis à l’étranger mais je reste lié à mon terroir.

Vous vous habillez maintenant en dandy africain, est-ce un nouveau code chez les chanteurs africains établis à l’étranger puisque quelqu’un comme Faada Freddy adopte aussi le même style ?

C’est drôle, je ne savais pas que Faada s’habillait ainsi. On ne s’est jamais vu, on n’a jamais échangé non plus. C’est un musicien que je suis tout de même sur le plan artistique. Je l’aime beaucoup et je le respecte aussi. Je le trouve original et je profite de l’occasion pour le féliciter pour son travail. Alors, que lui et moi ayons le même style vestimentaire, je peux dire que c’est compréhensible. Lui et moi avons la même vision de la musique. Si vous me disiez Mame Ngoor par exemple cela m’aurait surpris parce qu’on ne partage pas la même vision musicale. Cela ne signifie pas que je n’aime pas ce qu’il fait. Mais ce que je fais se rapproche beaucoup plus de ce que fait Faada. Je pense que ce n’est pas calculé, que ce n’est pas un code. C’est venu naturellement. C’est le style que je sens en ce moment. Il y a également le fait que je ne vis pas au Sénégal. Je n’ai pas un couturier à portée de main qui pourrait me confectionner des tenues.

Pensez-vous pouvoir vendre le mbalax au Canada tel que ça se fait ici ?

Normalement, il peut être vendu. Il faut juste bien le travailler. C’est comme une cuisine. Il faut juste savoir bien la présenter. Il faut donc juste insister sur cela. Je trouve que le mbalax est une bonne musique qu’on doit pouvoir vendre à l’international.

Avec quels artistes sénégalais pensez-vous pouvoir faire un duo réussi?

C’est possible avec tout le monde. Il suffit juste que la personne veuille bien le faire avec toi. Faire un duo c’est facile. Mais pour qu’il réussisse, il faut qu’il ait un feeling entre ceux qui souhaitent le faire. C’est à partir de là que les choses se décident. Il ne faut pas faire de duo avec quelqu’un parce que c’est lui qui est en vogue actuellement. Maintenant, je pense que si je faisais quelque chose avec Baaba Maal ça va marcher. J’aime beaucoup aussi Cheikh Lô et Youssou Ndour. Si l’opportunité se présente et qu’on veuille le faire des deux côtés, on le fera.
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