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Entretien avec... Moundiaye Cissé, coordonnateur d’Enda 3 D : «Il faut une Autorité de régulation de la démocratie telle que proposée par la Cnri»
Publié le jeudi 31 decembre 2015  |  Le Quotidien




Le coordonnateur de l’Ong Enda 3 D aborde la question de la prolifération des partis politiques au Sénégal et leur financement dans un contexte où l’affaire Lamine Diack met en cause l’opposition de Wade. Dans cet entretien, Moundiaye Cissé plaide leur rationalisation et la création d’une Autorité de régulation de la démocratie telle que proposée par la Commission Mbow.

Quelle idée avez-vous de l’offre des partis politiques qui aujourd’hui dépassent largement les 200 ?
Le Sénégal a enregistré une augmentation considérable du nombre de partis politiques au lendemain de la première alternance. Cette tendance est à lire à la lumière d’une vision libérale de la vie politique, marquée par la liberté de choix. Cela s’est matérialisé dans les faits par le développement des médias privés, des partis politiques et d’autres types d’organisations. Ce qui, en soi, n’est pas une mauvaise chose, si l’organisation et le fonctionnement de ces structures font l’objet d’une bonne régulation. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’évolution des partis politiques qui, certes sont très importants par le nombre, mais sont dans une situation dérégulée.

N’est-il pas cependant anti démocratique de vouloir rationaliser les partis politiques ?
Il ne faut pas voir la question de la rationalisation des partis politiques comme une volonté de restreindre la liberté d’association. Il faut voir les choses dans un cadre plus large. Le Sénégal est un pays qui, par la nature de son système politique, donne une place importante aux partis politiques. Ces partis, aux termes de la Constitution, concourent à l’expression du suffrage. (…) Il est donc important qu’ils soient organisés par des règles claires, acceptées par tous et surtout, appliquées. Or, la loi sur les partis politiques date des années 1980 et tous les acteurs ont constaté qu’elle est en retard sur le fonctionnement du système de partis lui-même. La vie politique est dynamique, beaucoup de questions se posent et ne sont pas encadrées par la loi : les coalitions, la démocratie interne, le statut de l’opposition, le financement des partis politiques... Et même si parfois ces questions sont prévues par la loi, leur application fait défaut. Les partis politiques qui se conformeront à la loi, à ce moment-là, resteront en place et ceux qui ne respecteront pas la loi l’auront violée. Et à partir de ce moment-là, le système s’autorégulera lui-même avec comme conséquence, parmi tant d’autres, une réduction du nombre de partis.

Comment comptez-vous y arriver et qui sont vos partenaires dans ce défi ?
Ce n’est pas notre combat ou celui d’une catégorie d’acteurs spécifiques. Améliorer l’organisation et le fonctionnement des partis politiques doit être un objectif de toute la société, car in fine, ils doivent travailler à produire des offres concurrentes de solutions qui répondent aux besoins des citoyens. La qualité de la compétition politique nous profite à tous, car elle entraîne l’adoption de politiques publiques de qualité et un meilleur débat politique. Les différents acteurs semblent l’avoir compris et le ministère de l’Intérieur, la société civile et les partis politiques y travaillent. Notre Ong travaille à appuyer la réforme du cadre juridique des partis politiques et au dialogue politique aux côtés de ses partenaires de la société civile, des députés, mais aussi de l’Administration.

Quelles sont les causes de la prolifération des partis politiques ?
Il faudrait, pour les avoir de manière exhaustive, interroger la sociologie de la politique au Sénégal. Mais de manière globale, beaucoup de causes sont acceptées. Il s’agit principalement de la faible culture de démocratie au sein même des partis politiques puisque certains leaders n’y ont plus de perspectives et se sentent obligés de créer un parti pour pouvoir continuer leur progression. Ensuite, il y a les avantages économiques qui peuvent y être liés surtout durant les compétitions électorales, mais parfois aussi la volonté de porter un projet de société.

Cette prolifération a-t-elle des incidences sur la vie politique ?
Evidemment, cette prolifération des partis a des incidences sur la vie politique qu’il faut, au pire atténuer et, au mieux supprimer. D’abord, l’on a vu pour les différentes élections qu’il y a un nombre important de listes, entraînant des coûts énormes pour l’organisation des compétitions électorales. Si l’on se place dans la perspective du citoyen qui est la priorité dans un système démocratique, le Sénégalais ne se retrouve plus. L’espace politique est de moins en moins lisible et l’on ne sait plus ce qui différencie réellement l’offre de certains partis par rapport à d’autres. Il y a également un éclatement du personnel politique, ce qui n’est pas sans incidence sur la qualité des acteurs politiques. Le débat politique est dispersé, sa qualité gagnerait à être améliorée. D’ailleurs, certains partis ne sont même pas identifiables. On ne connaît pas leur siège et ils sont injoignables. Il est important de recentrer tout cela, de mettre le citoyen dans les dispositions de pouvoir arbitrer un débat public de qualité et d’inviter les partis à un dialogue davantage serein et utile aux Sénégalais.

Quelles mesures préconisez-vous surtout avec l’affaire Lamine Diack qui repose la question du financement des partis politiques ?
Je ne souhaiterais pas renchérir la polémique autour de Monsieur Lamine Diack. Je pense que la sagesse dicte de laisser les affaires en cours être élucidées par ceux qui en ont la charge avant de pouvoir se faire une opinion. Au demeurant, dans un cadre beaucoup plus général, nombre de rapports ont démontré que le phénomène de la corruption est bien présent dans le monde de la politique. Et encore une fois, une application rigoureuse de la loi sur les partis politiques, même en l’état actuel du droit positif, est nécessaire. D’ailleurs, la loi en vigueur prévoit annuellement le dépôt du bilan des partis pour qu’on puisse retracer leur activité financière, mais qui s’y conforme ? Il faut aller plus loin aujourd’hui et exiger même des candidats aux élections de déclarer leur patrimoine. Sinon une fois arrivés au pouvoir, ils peuvent être, de fait, couverts par le privilège de leur position. Un autre aspect est de plafonner les dépenses de campagne. D’abord, pour éviter que l’argent soit un frein à l’égalité des chances des candidats, et ensuite pour minimiser davantage les risques de subordination des partis et de leurs candidats par des groupes d’intérêt ou des personnes influentes envers qui ils seront redevables une fois élus. Tout cela entre également dans une question plus large qui est le financement des partis politiques. La licéité de l’origine des ressources perçues par les partis et les candidats aux élections doit être justifiée tout comme leur destination. Se pose également la question de savoir s’il faut un financement public des partis politiques, le cas échéant, quelles en seraient les modalités ? Cette question du financement est névralgique d’autant que le code de transparence de l’Uemoa exige qu’il soit instauré dans chaque état des dispositions législatives claires organisant le financement des partis politiques. (…) Pour que toutes ces initiatives soient vraiment efficaces et que la régulation des partis politiques puisse être tout à fait conduite de manière indépendante, il faut aller vers la création d’une Autorité de régulation de la démocratie telle que proposée par la Cnri. Nous pensons que la présence de la Médiature, de la Cena et de la Société civile dans cette autorité permettra d’avoir un organe en charge d’appliquer la loi, de s’assurer de son respect et de répondre en permanence aux besoins des partis politiques.
Rappelons bien que la première étape avant tout cela, c’est de réformer profondément la loi sur les partis politiques. Tous les acteurs sont d’accord sur ce point et nous invitions le ministère de l’Intérieur à aller au bout de sa réforme. Les modalités peuvent être discutées par les acteurs, mais l’intérêt de cette réforme est avéré. Il faudra une volonté politique certaine pour y arriver et c’est à cela que nous invitons l’Etat.
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