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Entretien avec la directrice de Intelligences Magazine : Une Amy de l’intelligence
Publié le mardi 15 decembre 2015  |  Le Quotidien




Sur les réseaux sociaux sénégalais, il se dit que sa page facebook est la plus visitée de ce pays. C’est dire l’intérêt que suscite le personnage de Amy Sarr Fall, la patronne d’Intelligences Magazine, l’une des revues les plus luxueuses du paysage médiatique sénégalais, et qui se distingue par ses interviews-chocs. Bien que très connue et très suivie, peu de Sénégalais connaissent au fond qui est Amy Sarr Fall. Et elle tient elle-même à préserver son jardin secret. Il y a des parties de sa vie que Amy Sarr Fall tient à préserver du regard. Il n’empêche, l’entretien qu’elle accorde au journal Le Quotidien, à la veille du lancement aujourd’hui du Club Intelligences Citoyennes, et à l’occasion de la cinquième année du magazine Intelligences, montre un personnage altruiste, totalement engagé pour le développement de son pays et de son continent, et qui, marchant sur les pas de ses aînées, veut montrer que l’on peut être jeune, femme et Africaine, et avoir une mentalité de gagnante, et vouloir transmettre la même ambition à tous les jeunes africains.

Bonjour Amy Sarr Fall. Vous êtes la patronne d’Intel­ligences Magazine qui fête son cinquième anniversaire et à cette occasion, vous préparez la Grande rentrée citoyenne. De quoi s’agit-il et comment cela va se décliner ?

La Grande rentrée citoyenne est un événement qu’Intelligences Maga­zine a initié en 2012, à un moment où l’on observait une crise dans le milieu de l’éducation qui était marquée par des grèves et qui affectait le moral des parents et des étudiants. Notre objectif était alors de fédérer davantage autour des valeurs essentielles à la construction d’une Nation forte. Il fallait montrer à ces jeunes des exemples de parcours, mettre en avant des mentors. Des leaders dans leur domaine, pour dire à ces jeunes, «nous avons vécu l’année blanche. Nous avons eu à traverser des moments bien plus difficiles et pourtant à force d’abnégation, à force de courage et surtout à force de patriotisme, nous sommes là devant vous pour être cités en exemples». C’était une belle façon de les motiver, surtout en présence du Pr Mary Teuw Niane, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, qui a été à nos côtés depuis le début. Et la première édition a été tellement bien accueillie que nous nous sommes dit que ce serait dommage que cela ne soit pas inscrit dans le calendrier académique. Notre motivation est aussi venue de la confiance des chefs d’établissement qui ont inscrit leurs étudiants, de la confiance des parents d’élèves qui, à travers leurs associations, se sont organisés pour rendre possible la participation de leurs enfants, mais aussi et surtout de la confiance des professeurs qui sont toujours présents aux côtés de leurs élèves. Nous avons également bénéficié de celle des pouvoirs publics qui se sont toujours montrés présents à cette manifestation que nous organisons sous le parrainage d’honneur de Sem Macky Sall, président de la République. Vous comprendrez que nous n’avions pas alors le droit de manquer la grande rentrée cette année. Je remercie la presse sans qui, nous n’aurions pas eu toute cette visibilité. Je remercie aussi le Peuple sénégalais d’avoir accepté la rentrée citoyenne qui cette année va célébrer sa 4ème édition.

Quelle sera la particularité de cette 4ème édition prévue ce lundi ?
Cette année marque le cinquième anniversaire d’Intelligences Maga­zine. Nous nous devons de redoubler d’efforts pour que cette confiance soit davantage méritée. Nous avons des mentors aux parcours très intéressants. Des mentors qui ne sont pas souvent devant la scène mais qui sont venus pour rappeler aux jeunes que nous sommes tous ensemble et que sans eux, le Sénégal ne se fera pas. Le Sénégal ne se fera pas sans sa jeunesse. C’est le message que nous allons tous lancer. En sommes, nous allons être nous-mêmes, des citoyens, conscients de leur potentiel et de la force de leur unité.

Au-delà de La Grande rentrée citoyenne, il y a aussi Intelli­gences Magazine, qui organise cette grande manifestation. Intelligences a un positionnement assez particulier dans le paysage médiatique sénégalais en ce sens qu’il sort de l’ordinaire. Et d’abord ce qui frappe, c’est son titre. Est-ce un appel à l’intelligence ou est-ce une façon de montrer que c’est le gisement de l’intelligence dans un nid où règne la médiocrité.
Qu’est-ce qui justifie ce titre ?
(Rires) Ce n’est certainement pas votre deuxième proposition ! Intelligences, c’est d’abord une revendication. Revendiquer, dans un monde où chaque peuple cherche à mettre en avant son intégrité, l’intelligence du continent africain dans la résolution des conflits, des problèmes qui affectent le monde aujourd’hui. On parle d’environnement, d’autosuffisance alimentaire, de paix durable, d’énergies renouvelables... C’est très important qu’on écoute de façon sincère ce que les Africains ont à dire. C’est cette revendication que nous portons aujourd’hui. Pour dire que l’Afrique a la possibilité d’être à la table de toutes les décisions qui l’affecteront. On a dépassé le stade où l’on décide pour l’Afrique. Nous ne sommes plus dans l’Afrique des années 60, 70 ou 80. Nous sommes à l’époque d’une Afrique connectée, avec un profil démographique uni­que. Où la jeunesse qui est sa plus forte opportunité est également sa plus grande menace. Si nous ne faisons pas attention, si nous ne trouvons pas les moyens de répondre à leurs aspirations, cette opportunité peut se transformer en cauchemar. C’est pour cela qu’il est important de mobiliser cette intelligence pour lutter contre le gaspillage intellectuel. Faire en sorte que chaque personne, chaque jeune ait le droit d’aller à l’école. On ne doit pas souffrir en allant à l’école. Et souvent, malheureusement, c’est ce qui se passe aujourd’hui. On a souvent des jeunes qui souffrent et qui marchent des kilomètres sous le soleil avant d’arriver exténués et avec une concentration réduite. Alors si la pénibilité se rajoute à l’épreuve d’apprentissage qui requiert déjà beaucoup de ces jeunes, il ne faudra pas s’étonner que le culte de l’excellence devienne pour certains inatteignable et illusoire.
Intelligences Magazine a pour vocation de rappeler davantage l’importance de développer l’intelligentsia africaine, l’importance de promouvoir le savoir à travers le partage d’expériences, à travers la valorisation de notre héritage qui est très importante, parce qu’avant de prétendre régler les problèmes de demain, il faut montrer que nous avons su régler ceux d’hier. Pourquoi pas revoir le programme d’histoire, pour que la contribution d’illustres leaders comme Cheikh Hamidou Kane, auteur de L’Aven­ture ambiguë, Pr Amadou Makh­tar Mbow, ancien directeur de l’Unesco, ces bibliothèques vivantes, les anciens combattants, soit davantage mise en relief pour rappeler ce que l’Africain a fait pour son continent, et pour le monde. Nous avons tous un rôle à jouer pour éveiller la fierté panafricaniste chez nos jeunes. Qu’ils sachent qu’être Africain, c’est valeureux. Vous avez entendu quand Donald Trump a choqué tout le monde en disant d’interdire aux musulmans d’entrer aux Etats-Unis. Demain, quelqu’un peut dire la même chose sur les Africains parce que nous avons été tellement stigmatisés. On a longtemps fait croire que c’est un continent pauvre. On ne regarde même plus l’Afrique comme les grands ensembles, comme plus d’une cinquantaine de pays. On regarde l’Afrique comme un îlot. Et cela n’est plus acceptable. Notre diversité est notre plus grande richesse.

Le lancement prochain du Club Intelligences Citoyennes a été annoncé. En quoi consiste ce projet ?
Le Club Intelligences Citoyen­nes, c’est d’abord un club de réfle­xion. Pour moi, quand on parle des Etats-Unis d’Afrique, quand on parle d’unité africaine, il faut d’abord une connaissance aiguë de l’Afrique par ses citoyens. Et c’est pour cela qu’on se dit, pourquoi ne pas, à travers une série de conférences et d’activités citoyennes, prôner des réformes au sein de la communauté africaine, à savoir la mise en place d’un baccalauréat africain. Il est temps que l’on ait un baccalauréat africain ! Et je vais m’y investir personnellement, car j’estime qu’on ne peut parvenir à une unité sans connaître l’autre. Vous aurez toujours des appréhensions en vous rendant en Afrique orientale ou centrale et celle du nord, si vous ne savez pas où vous allez, si vous ne connaissez pas ces pays, ce que vous avez en commun, ce que vous avez partagé ensemble que ce soit au 15ème siècle ou aujourd’hui. Et c’est très important, car aujourd’hui, il y a cette absence de connaissance de l’autre en Afrique. Un baccalauréat africain permettrait à la jeunesse de se rapprocher, de se comprendre voire travailler demain ensemble. On nous a divisés en suscitant une peur de l’autre. On a bien trop souvent défini l’Afrique et les Africains à leur place, alors qu’aujourd’hui, il est incontestable que l’Afrique a ses experts, ses savants, capables de produire des livres, de créer de la richesse intellectuelle autour des acquis de notre continent.
Donc, si l’on veut une place dans le monde, il faut que l’Afrique soit davantage connue et que ce ne soit pas l’autre, qui n’a jamais posé les pieds sur le continent, qui définisse l’Africain. A travers le Club Intelli­gences, nous souhaitons promouvoir le bilinguisme. On veut aussi que les pays africains aient l’anglais comme 2ème langue. C’est important que les Africains puissent communiquer entre eux et s’il y a l’anglais et le français, on peut prétendre à des Etats-Unis d’Afrique et on aura l’Afrique orientale qui pourra communiquer avec l’Afrique occidentale. Il faut aussi que les jeunes soient conscients de leur rôle d’acteurs, plutôt que de spectateurs et qu’ils savent que l’Afrique se fera à travers leurs actions, le service communautaire,... Les jeunes doivent également œuvrer pour leurs quartiers, leurs écoles. Le Club Intelligences Citoyennes souhaite servir les professeurs afin d’organiser des activités sociales parascolaires. Au sein des milieux défavorisés, le Cic offrira des ordinateurs, du matériel pédagogique,… On le fait déjà mais il faut demander à plus de personnes d’être là, pousser des entreprises à donner des bourses et promouvoir le coaching. Œuvrer pour la paix, la promotion de l’éducation et le développement du leadership féminin. Nous ne serons pas dans la promotion de la parité mais de la reconnaissance du talent, de la valorisation du talent, de la méritocratie.

Qui compose l’équipe du Club ?
Pour le moment c’est l’équipe d’Intelligences Magazine. Le Club sera ouvert à tous ceux qui se considèrent non pas comme des spectateurs, mais des acteurs de développement. On ne doit pas tout attendre des pouvoirs publics et on ne doit pas avoir une vision attentiste du développement. Sur les réseaux sociaux, on est suivi en Côte d’Ivoire et dans bien beaucoup d’autres pays ; d’où l’ambition de faire du club, une plateforme internationale.

Comment avez-vous fait pour atterrir dans le monde des médias ?
J’ai toujours aimé les magazines. Quand j’étais étudiante à Paris, c’était, au-delà de mon passe-temps, ce qui me tenait le plus compagnie. Je déplorais le traitement qui était fait de l’Afrique. Je voyais l’absence de l’Afrique dans les titres des magazines internationaux et en même temps j’ai cette passion pour l’actualité politique, américaine, européenne, africaine et tout ça m’a poussée à écrire. De plus, J’ai beaucoup de respect pour cette profession. Regardez un peu dans le monde les plus grands changements, les plus grandes révolutions, c’est parce que la presse a été là pour le Peuple. Moi, je veux faire partie de cette presse qui est là pour le Peuple. C’est ça intelligence, toutes les activités que nous faisons, c’est pour être là pour le Peuple. Pour moi, c’est un outil capable de changer les choses, d’émanciper les consciences.

C’est un challenge dans un environnement plein de morosité, où quasiment le support papier ne marche plus. Vous faites non seulement un journal de qualité dans le fond et dans le contenu, mais aussi dans la présentation. C’est beaucoup d’argent. Est-ce que c’est rentable financièrement ?
C’est vrai que c’est très difficile de rentabiliser un journal. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de personnes qui commencent et qui arrêtent. J’aurais aimé que nous puissions avoir davantage de magazines thématiques, mais le contexte ne s’y prête pas toujours. Je dois aussi remercier les lecteurs, parce qu’ils sont assez fidèles et aujourd’hui nous parvenons à bien vendre le journal. Le journal est très présent et nous sommes en train de travailler pour internationaliser le support. Et nous souhaitons que Intelligences soit positionné comme un magazine qui traite de l’actualité internationale et qui puisse être distribué dans le monde francophone. Nous y travaillons depuis un bout de temps maintenant et j’espère qu’avec l’aide de Dieu, très bientôt Intelli­gences va pouvoir être visible dans tous les pays francophones.

En parlant de visibilité, ça ne vous gêne pas que si Intelli­gences est connu c’est plus par la personne de sa fondatrice, que par le support lui-même ?
Je pense plutôt que c’est le contraire ! Moi, je pense que les gens se sont intéressés à la personne de Aminata Sarr Fall grâce à Intelligences Magazine. Au tout début en 2010-2011, les gens ne me connaissaient pas. Ils voyaient mon édito, mes entretiens, etc. Je me souviens qu’à l’époque, lorsque qu’on a interviewé le Dalai Lama, les gens voulaient en savoir plus. Nous étions allés à 5 000 m d’altitude, dans la résidence du Dalai Lama qui se trouvait dans l’Hima­laya, pour interviewer quelqu’un qui n’est pratiquement jamais interviewé. Mais ça, se sont les lecteurs qui l’ont rendu possible par leur confiance. Mais je pense que c’est Intelligences Magazine qui a suscité une certaine curiosité, au regard des entretiens, des événements organisés. Vous vous souvenez peut-être des cinquante femmes sénégalaises leaders d’exception, ou de certains événements que nous avons eu à faire et les gens se sont intéressés à qui est derrière. Petit à petit des gens nous ont soutenus, notamment a travers les réseaux sociaux. Personnelle­ment on ne s’attendait pas à avoir tout cet élan de soutien et nous en sommes vraiment très reconnaissants.

Vous avez parlé de qui est derrière le magazine. Qui est derrière le nom Amy Sarr Fall ?
Derrière le nom Amy Sarr Fall, il y a juste une jeune citoyenne qui a visionné un projet, créé un magazine et à travers celui-ci, organisé des activités citoyennes. Je peux comprendre que des gens se po­sent des questions. Mais c’est vraiment une aventure familiale. J’ai commencé ce journal avec le rêve de servir, l’envie de servir et c’est ce qui a continué jusqu’à aujourd’hui.

Est-ce que vous ne pouvez pas essayer de faire des médiations pour dénouer les crises qui secouent le système éducatif ?
Il m’arrive de faire des médiations mais de façon privée. Vous savez, nous avons intérêt à être tous ensemble autour de la promotion de l’éducation, car c’est un combat qui touche tout le monde. Aujourd’hui, si l’on veut avoir plus de lecteurs, on a intérêt à ce que les gens puissent lire le journal.
Si l’on veut se développer, on a intérêt à former des ingénieurs. Regar­dons tous ces pays asiatiques qui, il y a quelques années, étaient plus pauvres que le Sénégal et qui aujourd’hui sont parvenus à un essor fulgurant. Pourquoi ? Parce qu’ils ont décidé de construire des écoles polytechniques. Ils ont parmi les meilleurs ingénieurs au monde. J’aimerais tant qu’il y ait plus d’écoles polytechniques au Sénégal. Il faut donner aux jeunes l’envie d’être des ingénieurs. Ce sont eux qui développent les pays au­jourd’hui. Ce sont eux qui vont réfléchir pour savoir comment parvenir à l’autosuffisance alimentaire de façon mesurée, scientifique, logique et calculée. C’est eux qui vous diront comment faire pour avoir de l’eau, pour optimiser l’exploitation de nos ressources minières, irriguer nos champs, sinon d’autres le feront à no­tre place. Il faut promouvoir ce métier, sa diversité d’options et nous allons personnellement nous investir dans la promotion des matières scientifiques en 2016. Pour moi, pour développer le Sénégal, il faut diversifier les filières. Montrer aux jeunes qu’au delà de la gestion, du marketing, de la communication, il y a des belles opportunités de carrières qui peuvent s’ouvrir à eux à travers la finance et les matières scientifiques.

Vous êtes tant dans un milieu d’hommes, et vous êtes la seule femme patronne de presse. Ce qui vous donne de la visibilité et de la responsabilité, mais le message que vous lancez, ne serait-il pas plus audible si vous preniez des initiatives dans le domaine de la régulation des médias ?
Je suis peut-être la seule femme aujourd’hui. Mais, il y a eu d’autres braves femmes avant moi, qui ont permis par leur exemplarité, par leur courage à des femmes comme moi, aujourd’hui d’être là. Je pense à une femme en particulier. Je ne suivais le journal télévisé que pour la voir et c’est Madame Elisabeth Ndiaye, que je n’ai jamais rencontrée. J’espère qu’elle lira cet entretien et que j’aurai la chance de la rencontrer. Il y a eu quand même des femmes dans ce milieu. Je pense à ma Mamie Annette Mbaye D‘Erneville, première femme journaliste qui m’avait donné l’opportunité, l’honneur de l’interviewer dans les premiers numéros d’Intel­ligences. Et qui m’a beaucoup con­seillée. Les femmes ont laissé leurs traces dans ce milieu, donc mes sœurs et moi sommes héritières de leurs efforts, de leur engagement. Alors, oui ! Le respect et l’admiration que je voue à ces grandes dames, fait que je ne veux pas les décevoir et que la meilleure façon d’honorer leur contribution est de mesurer à juste titre, cette responsabilité. Je ne prends rien pour acquis. J’estime que tout ce à quoi nous sommes parvenus à Intelli­gences, c’est parce que nous avons toujours refusé l’individualisme. Nous nous sommes toujours dit qu’on réussit mieux quand on est ensemble. Nous avons été soutenus par des confrères et des consœurs. Je n’ai jamais eu le sentiment d’être une concurrente. Au contraire, je me sens redevable à l’endroit de toute la presse sénégalaise car ils ont toujours été là pour nous accompagner.

Le milieu des médias demande-t-il un peu de remise en ordre ?
C’est un milieu qui demande beaucoup de remise en ordre. Et je pense que le débat serait beaucoup plus fructueux, si nous n’étions pas susceptibles face justement à certaines de ces critiques qui sont tout à fait légitimes. Je réfléchissais sur comment on peut motiver un jeune qui voit son père ou sa mère se lever chaque jour à 5h du matin pour être au bureau, travailler, s’occuper en même temps de la famille et qui est découragé parce qu’il y a cette suspicion autour de sa réussite, qui fait à la limite qu’on a peur de réussir. Et surtout, il y a ces calomnies parfois, sur les fora, où les gens sont capables et ont le droit de sacrifier la réputation d’une personne sans aucune raison, sans aucun justificatif, dans l’impunité la plus totale. Combien de familles sont détruites aujourd’hui au Sénégal à cause de ces commentaires anonymes ? C’est important de critiquer. Tout ce que j’ai réussi, je l’ai réussi parce que j’ai accepté les critiques et je me suis améliorée. Mais, c’est important que nous aussi nous sachions que, de la même manière que nos familles comptent pour nous, les autres tiennent aussi à leurs familles. C’est très important lorsqu’on revendique, de ne pas oublier les revendications des gens pour qui nous travaillons, à savoir nos lecteurs. Je sais, pour avoir beaucoup échangé avec des dirigeants de presse, qu’eux-mêmes sont dépassés et qu’ils essaient de réguler autant qu’ils peuvent. Donc aujourd’hui, ce ne sont pas eux, les principaux responsables, ce sont des personnes qui se permettent de détruire le travail, de détruire la réputation, de détruire la famille d’autrui dans l’impunité la plus totale.

Ce serait intéressant si vous portiez ces problèmes en dirigeant le Cdeps, qui n’arrive pas à trouver de président ?
Il faut rendre hommage au président Madiambal Diagne qui a vraiment amené le Cdeps à un très bon niveau. Il a fait un très bon travail dans le Cdeps. Beaucoup de réformes ont été prises dans le secteur de la presse grâce à lui. Je pense qu’il y a d’autres personnes qui sont capables de faire ça mieux que moi et je suis prête à les soutenir dans leur travail.

Vous avez peut-être peur de vous mettre en avant. Il paraît que vous êtes assez difficile à manipuler si l’on veut être très diplomate. Il paraît que vous défendez votre position avec beaucoup d’énergie.
(Elle éclate de rire). Pourtant, je suis d’une très grande souplesse ! Vous savez, c’est important d’avoir des convictions. A mes débuts, mes parents m’ont dit quelque chose qui m’avait touchée : ils ont dit : «Ce journal que tu as entre les mains, est comme une arme à feu. Quand tu écris, il faut savoir que ta plume peut détruire de façon irréversible.» Cela a été ma plus grande préoccupation dès le départ. Je me suis dit que peu importe ce que je ferai et sur quoi je m’engagerai, je ne vais pas m’associer à quelque chose capable de détruire la vie ou l’œuvre de qui que ce soit. J’ai donc concentré mon énergie à dénoncer nos vrais problèmes. Les seules choses qu’il faut absolument détruire aujour­d’hui, c’est la pauvreté, la famine, la maladie et tous ces maux qui bloquent l’Afrique et menacent sa jeunesse. Aujourd’hui, tous mes combats tournent autour de ça. Tout ce que ce je peux faire pour alléger la souffrance de certains étudiants, de certains élèves qui vont à l’école et veulent réussir mais qui se retrouvent souvent dans cette solitude parce qu’ils sont mal compris. C’est pourquoi on me voit souvent dans les écoles, échanger avec les jeunes parce que j’estime qu’on a un devoir de dialogue avec eux. Au­jourd’hui, on est étonné de voir des jeunes rejoindre les mouvements extrémistes. Mais la seule chose que ces gens ont faite pour les recruter, n’est-ce pas de leur parler ? Ils ne sont pas venus au Sénégal ; ils ont juste parlé avec eux. C’est pour vous dire comment les mots ont un pouvoir. Les mots peuvent transcender les souffrances et les craintes des personnes. Moi j’ai reçu dans ce bureau tellement d’étudiants. Je suis allée rencontrer tellement d’étudiants. Je vais vous dire que je n’ai pas vu un seul étudiant chez qui j’ai constaté une absence de patriotisme ou d’engagement. Je vous assure que ces jeunes veulent réussir. Parfois, certains peuvent avoir des personnalités difficiles mais ils veulent réussir. Alors quand on a cette envie de réussir et qu’on est bloqué, on peut craquer. Il faut s’assurer d’être là-bas quand ils craquent. Alors qu’il s’agisse des parents ou des professeurs, des pouvoirs publics, des journalistes, des amis, il faut savoir leur remonter le moral à temps.

Vous êtes une femme noire, africaine, ressortissante d’un pays pauvre. Le regard que les autres posent sur vous ne constitue-t-il pas une entrave pour vos ambitions ?
(Hésitante). Bien sûr qu’il y a des obstacles, mais il faut savoir les surmonter, sinon la vie n’aurait pas de sens. Il y a quelques années, j’avais été victime de diffamation et j’en étais effondrée. Je n’étais pas préparée à ce genre de chose et cela peut vous briser le moral. Je me suis dit : «Je n’ai pas envie de vivre ça.» J’ai créé une page facebook pour voir ce que les gens pensent vraiment de moi, de la façon la plus honnête possible, parce que là il y a des gens qui assument leur identité. Dieu merci, le soutien était tel que je n’osais plus baisser les bras.

Votre page facebook est très visitée…
Grâce à mes concitoyens, qui me font confiance et qui veulent m’encourager. Ce sont les jeunes files qui me touchent le plus. Certaines m’ont confié avoir songé à renoncer à leurs études mais que grâce au travail que nous faisons, elles veulent désormais retourner à l’école. Je me suis dit que si à travers ce qu’on fait, aussi modeste que ce soit, nous sommes parvenus à changer une seule vie et aider à construire un seul avenir, cela vaut la peine de continuer. C’est ce qui explique tout ce qu’on fait. Quand on est femme, c’est vrai que lorsqu’on n’a pas un soutien familial fort, on peut facilement renoncer. Et je sais que beaucoup de femmes ont peur d’être devant parce qu’elles ont vu leurs sœurs ou des amies avoir leur vie brisée parce qu’elles ont été au-devant de la scène. Vous savez, une personne seule ne pas construire le Sénégal. C’est simplement cette aisance dans l’individualisme, cette capacité à penser qu’on peut réussir seul qui donnent à certaines personnes la liberté d’attaquer autrui de façon complètement diffamatoire, injustifiée et imméritée. Je parle au nom des femmes et des hommes de ce pays qui y sont confrontés et sont victimes de cette impunité. Ils se gardent de porter plainte car ne voulant pas créer de polémiques. Il est temps que l’on mette en avant notre unité, qu’on comprenne que l’on ne peut aller l’un sans l’autre.
Quand on sait qu’aucun jour ne nous est promis, acceptons sans consensus que l’homme est le remède de l’homme. Un remède, on ne sait jamais quand on en a besoin. Per­sonne ne peut prétendre être parfait, moi qui vous parle, j’ai énormément de défauts que j’essaie de corriger tous les jours, mais je sais que comme tout le monde, j’ai le droit d’essayer et de me tromper et j’ai le droit de compter aussi sur mes concitoyens pour m’aider à me relever et pas à me pousser en bas lorsque je trébuche. Presque tout ce qu’on fait, on le fait les uns pour les autres grâce aux autres, et c’est cette mentalité que j’aurais tant aimé voir prévaloir aujourd’hui au Sénégal. On stigmatise, on crée un climat de suspicion envers certaines personnes. On pense souvent que la réussite ne peut pas être le fruit d’un travail, d’un combat. On pense que les gens réussissent parce qu’ils ont comploté, magouillé ou été pistonnés, etc. Quand j’ai créé le magazine Intelligences, qu’est-ce que les gens n’ont pas dit ? Comment j’ai lutté contre tout ça ? Par le travail.
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