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Grand angle sur l’audiovisuel: Quand les Tv dépriment les enfants !
Publié le jeudi 26 novembre 2015  |  Sud Quotidien
La
© Autre presse par DR
La télévision numérique terrestre bientôt disponible au Sénégal




Depuis l'aube des temps, chaque parent se préoccupe positivement de l'éducation et de la sécurité de son enfant. Rien n'a changé dans ce rôle fondamental d'éducateur et de protecteur. Sauf peut-être l'époque… Autres temps, autres problème de …mœurs ! Nouveau contexte, nouveaux défis ! Les défis aujourd'hui, c’est la télévision. C'est bien elle qui bouleverse tout depuis une cinquantaine d'années qu'elle est entrée dans les foyers. Apportant du bon et du moins bon. Grand angle !

Autrefois, lorsque l'enfant entrait à l'école à 6 ans, il ne savait rien d'autre que ce que ses parents (son père, sa mère, etc.), sa famille immédiate et son quartier lui avaient appris. Aujourd'hui, nos enfants, nos jeunes frères et sœurs, arrivent à l'école souvent prêts et même outillés pour porter la contradiction à un maître souvent moins nourri qu'eux aux multiples programmes de télé dont ils se sont abreuvés pendant au moins 3 ans avant d'être scolarisés.

Autrefois, les parents laissaient leur progéniture jouer dans le quartier ou le village en gardant une pensée inquiète parce qu' "on n'est jamais tranquille quand les enfants sont dehors. Ce n'est pas sûr". Aujourd'hui, le paradigme est inversé. Les parents ont "toutes les raisons de s'inquiéter lorsque leurs enfants sont enfermés dans une chambre, devant un ordinateur, une tablette, connectés à Internet" et donc en relation avec des réseaux et des communautés dont les parents ignorent tout.

DES MOTIFS D'INQUIETUDE

Nos enfants sont, chaque jour, exposés aux contenus et influences de la télévision, de jeux pré-formatés sur leurs tablettes, de réseaux sociaux tels que Facebook ou Skype… Sans contrôle, ni préparation, ni encadrement, encore moins de mise en lien avec nos propres valeurs.

Dans ce contexte difficile, où le taux d'analphabétisme informatique cumulé à l'illettrisme touche plus de 65% de la population, où les médias influencent les comportements des jeunes usagers, le Conseil national de régulation de l'audiovisuel (CNRA) a commandité un sondage à échelle nationale sur un échantillon de 2100 individus sur «Les usages et attitudes des mineurs en matière de médias» en 2014. Le Régulateur a relevé, statistiques à l’appui, les dérives des contenus médiatiques qui impactent le jeune public et a convoqué des journées scientifiques pour établir les catégories de vulnérabilité par tranche d'âge, les acteurs sur le terrain et le secteur, pour situer les responsabilités et ébaucher des pistes de solution.

De leurs propos mêmes, 46 % des jeunes sondés "déplorent le caractère violent ou choquant de certains contenus qu'ils dénoncent comme négatif". De nombreux parents "déplorent l’impact des émissions sur la lutte avec frappe" qu’ils "estiment porteuse de violence, de modèles d’impolitesse, leur vulgarité et seraient de mauvais exemples pour les enfants", lit-on dans le rapport du sondage. Avant de poursuivre : "selon les enfants, les émotions les plus récurrentes déclenchées par les images sont la peur (84%), les troubles (50%) et les insomnies ou cauchemars (37%)". Soulignant la difficulté qui en découle, les parents avouent, toujours selon le sondage, "leur incompétence à contrôler la consommation de la télévision et de l'internet de leurs enfants".

KËR XALEYI DE FANN, VITRINE DE NOUVELLES PATHOLOGIES

Des sources aujourd'hui documentées montrent que ces jeunes souffrent de troubles psychologiques qui impactent leur développement, leur scolarité et hypothèquent l'environnement social et la marche de la société de manière générale. Pis, l'ampleur des dégâts des médias audiovisuels sur la nouvelle génération, exposée à des contenus négatifs ou inappropriés, commence à se faire sentir dans les hôpitaux. La preuve par le service Kër Xaleyi du Centre national hospitalier universitaire (CHU) de Fann. Cette structure accueille tous les jours des enfants souffrant de différentes pathologies ou symptômes: trouble du comportement, difficultés scolaires, difficultés de caractère, psychoses, délire, agressivité. Si les autorités n'y prennent garde, le service risque d'être envahi par les enfants. En attendant, l'affluence de cette catégorie de patients se confirme.

AU CŒUR DE KËR XALEYI DE FANN

En ce début d'après-midi de mardi 17 novembre, le soleil darde impitoyablement ses rayons sur Fann. L'avenue Cheikh Anta Diop de Dakar grouille de monde. Les voitures avancent pare-choc contre pare-choc, comme si… les étudiants avaient bloqué la route. Que nenni ! C'est l'affluence quasiment ordinaire en cette fin de matinée. Le vrombissement des moteurs de véhicules et les discussions entre étudiants des écoles et instituts jouxtant l'avenue campent le décor. L'hôpital de Fann affiche son visage de toujours: les interminables va-et-vient des gens, avec pour la plupart, papiers blancs à la main. Ce sont certainement des ordonnances, des rendez-vous ou autres bulletins d’analyses ou de résultats d’analyses.

Ici, personne ne chôme. Les vigiles filtrent les entrées. Sur place, l'agent devant le grand portail nous indique machinalement le Centre Kër Xaleyi. "Vous prolongez la route qui mène vers la morgue, vous verrez un tableau vous indiquant le Centre". L'endroit est très calme. Des patients, des enfants et leurs accompagnants attendent dans le hall. Ils affichent des regards un peu perdus. Il faut prendre son mal en patience: une consultation ici peut durer une heure, voire plus. Probablement pour permettre au spécialiste de cerner de quoi souffre chaque enfant.

"Je consulte six enfants par jour. Après un questionnement, le parent avoue finalement que la principale activité de l'enfant demeure la télévision. Beaucoup d'enfants ont comme premier jeu, la télévision. Au fond, nous constatons que les enfants qui viennent pour consultation avaient l'habitude d'être devant la télévision chaque matin avant d'aller à l'école", nous explique Madame Oumou Ly Kane qui vient de terminer la consultation d'une fille accompagnée de sa mère.

ENFANT PERDU ENTRE REALITE ET FICTION

En abordant la question de la vulnérabilité de l'enfant face au contenu télévisuel, la psychologue-clinicienne se prête à notre entretien avec passion. Oumou Ly Kane souligne, pour le déplorer, qu'au-delà de la capacité de rétention et de mimétisme du cerveau de l’enfant, "le petit écran propose de nos jours des dessins animés caractérisés par la violence, les combats, les prises de pouvoir, la raison du plus fort. Cela ne comporte aucune morale". Et, le mimétisme poursuit l'enfant jusque dans les travaux scolaires où il dessine ou décrit Sa Nekh, Balla Gaye, Modou Lô ou autres lutteurs comme modèles de sa société. Ce ne sont plus Lat Dior, Valdiodio Ndiaye, Souleyman Baal, El Hadj Malick Sy, Cheikh AntaDiop, etc. qui sont donnés en parangon.

"La violence est établie sous toutes les formes dans les programmes télévisuels. C'est le cas des combats de lutte à la télévision où les coups de poing entre lutteurs ou protagonistes sont extrêmement violents" a-t-elle relevé. Non sans donner l'exemple où l'un de ses patients lui avait expliqué que ses "deux enfants, un garçon de 4 ans et une fille de 2 ans, se déshabillent pour imiter les lutteurs et à se battre. C'est un impact négatif. Ça déconnecte l'enfant de la réalité". "L'enfant se dit si je suis plus fort, je vais gagner, donc il met tous les moyens pour être fort et gagner. Il n'y a plus de morale. L'enfant devient indiscipliné. Il ne connait pas les règles du bien ou du mal, de société, les règles éducatives et de bien vivre", a-t-elle déploré.

La psychologue-clinicienne nous fait savoir, par ailleurs, que l'enfant "scotché" devant la télévision dès le matin continue de feuilleter les images dans sa tête, au lieu d'écouter le maître. "C'est de l'acculturation pure et simple. Cela les inscrit dans un univers hors réalité. Le sur-moi n'est pas assez éduqué pour poser des freins au geste. Les enfants agissent impulsivement. Ils sont hors de la réalité", relève-t-elle.

ET POURTANT, IL Y A DU BON A LA TELE

L'offre audiovisuelle de qualité est une denrée manifestement rare au regard de la programmation générale et de ce qui est diffusé. Et pourtant, la télévision, nous confirment les spécialistes, "est ou peut être un formidable outil d'éducation, d'aide à l'éveil, à la stimulation de la créativité, pourvu qu'elle soit donnée à l'enfant selon le bon dosage, selon la tranche d'âge et avec l'encadrement parental approprié", rappelle Oumou Ly Kane.

"Jusqu'à trois ans, l'enfant n'a rien à faire devant la télévision, car à cet âge, il a d'autres choses à apprendre comme ramper, marcher, découvrir, goûter, construire, faire du bruit... Entre trois et six ans, la télévision peut lui être d'un grand apport car il développe son imaginaire. De bons dessins animés avec une histoire construite dans une perspective morale lui seront très bénéfiques si un adulte lui explique les choses. Les enfants âgés de 4 à 7 ans peuvent valablement regarder des dessins animés pour favoriser leur éveil et leur créativité. Et là, 30 minutes d'affilée sont largement suffisantes. Avec les années, on peut rallonger le temps jusqu'à une heure ou une heure et demie. Le parent est appelé à moduler. L'acteur principal d'un film pour enfant doit être un modèle de société qui combatte le mal. Le méchant étant puni pour permettre à la société de vivre en paix", insiste Mme Kane.

En revanche, "l'enfant n'a pas besoin de suivre le journal télévisé où des images de bombardements, de kamikazes sont passées en boucle", poursuit-t-elle. Non sans exhorter les parents à faire faire à leurs enfants des activités telles que du judo, du karaté, des jeux de société pour enrichir leur créativité, leur esprit et leur imagination.

LA RESPONSABILITE DES PARENTS

S’il y a une autre catégorie d’enfants particulièrement exposée, c’est bien celle des nourrissons de six mois à environ un an et demi. Désormais capable de s'asseoir, le bébé est souvent posé après le bain, la tête et le rot devant sa baby-sitter cathodique qui le fascine par un flot continu d'images que rien ni aucune présence adulte ne l'aidera à interpréter. Quid de la maman ou la femme de ménage qui, sans le savoir, expose l'enfant à la télévision pour s'adonner à d'autres tâches ? Livré à ces images sans possibilité de les interpréter, s'il ressent une peur, le bébé n'a ni la possibilité d'appeler, ni de zapper, ni de s'enfuir car il ne sait généralement pas encore marcher. Or, c'est à cet âge précisément que se structure la notion de danger et de sécurité dans l'esprit de l'enfant.

Constatant avoir mis leurs enfants devant le petit écran, leur donnant ainsi l'occasion d'absorber toutes sortes d'images, les parents finissent par remarquer des comportements bizarres de leur progéniture. Inquiets, ils font cap sur l'hôpital. Sans détours, devant l'urgence, tous les moyens sont recherchés pour faire parler les parents et arriver au diagnostic qui est souvent: «la surexposition à la télévision à l'origine de bien des problèmes». Car, au-delà des nourrissons, les vulnérabilités existent pour différentes tranches d'âge.

Dès lors, la compréhension et la responsabilité des parents sont engagées au plus haut niveau pour tenter de venir à bout de cette problématique. Car la convergence technologique, avec le passage vers le tout numérique qui permet désormais de recevoir les images de télévision sur les téléphones, les tablettes, même s'il ne faut pas en avoir peur, exposent les enfants. C'est un accès accru à des contenus venant de sources multiples. Techniquement, là où une fréquence permettrait de faire passer une chaîne, désormais, le potentiel sera multiplié par 20.

OUSMANE SENE, DIRECTEUR DE L'INFORMATION DE WALFTV : «Que les gens se taisent sur cette question, cela…»

«Il est regrettable de constater que les télévisions ne prennent pas en compte cette couche de la population, les enfants. Que les gens se taisent sur cette question, cela pose problème. Comme si les structures fermaient les yeux. Il est temps de regarder les productions diffusées d'autant que l'enfant n'a pas encore cette capacité de discernement. C'est fondamental de veiller à la vie de l'enfant, notamment son comportement et son éducation. Les télévisions, les parents et l'Etat sont interpellés dans la mesure où les programmes diffusés sont disponibles sur Internet. Il faut veiller aussi à ce que les programmes diffusés soient instructifs».

BAMBA NIANG, DIRECTEUR DE CABINET DU PRESIDENT DU CNRA : «Le public jeune n’est pas suffisamment préparé…»

«La loi 2006-04 portant création du CNRA prévoit la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence dans les missions du CNRA pour au moins deux situations, à savoir la signalétique pour les protéger de certaines images susceptibles de nuire à leur épanouissement psychologique, éviter qu’ils soient exposés à des images de violences ou contraire aux bonnes mœurs; ensuite la protection vise l’utilisation de l’enfant ou de sa crédulité dans la conception ou la diffusion de publicités. Les cahiers de charges vont plus loin en indiquant la nécessité pour les opérateurs audiovisuels de se doter chacun d'une commission chargée de la programmation et d’affecter la signalétique, mais aussi de choisir les heures de diffusion de certains programmes à contenu sensible (violent ou à caractère érotique ou pornographique), selon la grille conçue par le cahier des charges. L’interdiction de l’utilisation des enfants et la question de la publicité mensongère sont aussi prévues dans les cahiers de charges.

Je suis au regret de constater que la signalétique n’est que sporadiquement respectée par une infime partie des chaines qui composent le paysage audiovisuel sénégalais. Or, comme l’a rappelé le CNRA, c’est une exigence prévue dans les cahiers de charges qui précisent bien les heures indiquées pour diffuser des images à contenu sensible (violent ou à caractère érotique). Le public jeune n’est pas suffisamment préparé, encore moins averti ou protégé par les diffuseurs qui ne s’entourent pas des garanties auxquelles ils sont pourtant assujettis. C’est une question prioritaire de défense de l’intégrité morale et psychologique des enfants qui interpelle tous les acteurs et surtout les opérateurs d’offre audiovisuelle.

ISSA TOURE, DIRECTEUR DES PROGRAMMES DE LA RTS : «Il n'y a pas un contrôle»

«Depuis l'avènement de la libéralisation, des télévisions privées où l'offre est beaucoup diversifiée, il n'y a pas un contrôle, un suivi pour permettre à ces jeunes de mieux bénéficier des avantages de l'offre télévisuelle. La télévision doit avoir ces trois missions fondamentales, notamment le divertissement, l'information et l'éducation. Si l'une des fonctions est faussée dès le début, cela pose problème. Nous assistons à une offre programmatique à but commercial. La majeure partie cherche à renflouer ses caisses. On ne peut pas dire que tout est en rose chez-nous mais, personnellement, le premier challenge est de mettre l'accent sur l'éducation».
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