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Pr Abdoul Aziz Kébé, islamologue - Sur l’arrestation d’imams: "Il y a lieu de créer une grande alliance des religions .. contre le radicalisme"
Publié le lundi 9 novembre 2015  |  Sud Quotidien
Lancement
© aDakar.com par DF
Lancement de l’Association islamique pour servir le soufisme (AIS)
Dakar, le 05 Novembre 2015 - L’Association islamique pour servir le soufisme (AIS), une organisation composée de personnalités issues de différentes familles religieuses musulmanes, a été officiellement lancée, aujourd`hui, à Dakar. L’objectif de cette association est de "préserver le patrimoine soufi sénégalais et de promouvoir un islam de paix et de stabilité". Photo: Pr Abdoul Aziz Kébé, islamologue




Le professeur Abdou Aziz Kébé, islamologue et enseignant-chercheur à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), se prononçant sur les arrestations récentes de quelques imams soupçonnés par l’Etat du Sénégal d’être de connivence avec des réseaux terroristes, estime qu’il est nécessaire de «créer une grande alliance des religions contre le radicalisme». Dans cet entretien exclusif qu’il a accordé à Sud Quotidien, il est revenu sur le rôle de l’imam qui, en tant qu’institution de l’Islam, doit être capable d’intelligence dans la communication de ses vérités, mais aussi sur la responsabilité de l’Etat, des autorités religieuses et des organisations non confrériques.

Comment appréciez-vous cette série d’arrestations d’Imams qui sont soupçonnés d’être de connivence avec des réseaux terroristes ?

C’est un évènement, un phénomène sur lequel il faut plutôt s’attarder avec beaucoup d’attention et d’intelligence parce que nous sommes dans un pays de tolérance, un pays d’un Islam ouvert et pluriel. Mais nous sommes aussi dans un environnement mondial traversé par ce qu’on peut appeler le «radicalisme islamique», ou le «radicalisme chez certains musulmans» ou le «radicalisme islamiste» qu’il faut analyser avec beaucoup de science parce qu’il ne s’agit pas seulement de voir l’effet. Mais, il est aussi bon de regarder les causes. Ce qui ne justifierait jamais également l’utilisation de la violence au nom de la religion, même si ça pourrait permettre de comprendre les phénomènes. Dans un contexte pareil, il est bon d’analyser cette affaire là, au niveau de notre pays, avec beaucoup d’intelligence, de façon à bien cerner les tenants et les aboutissants, à pouvoir voir aussi quels sont les moyens de les contourner, et peut-être même de les contenir sans pour autant susciter un sentiment de ce que certains sociologues appellent le «nationalisme religieux», ou de «corps agressé» qui se retrouve à défendre un membre ou une corporation.

L’Imam étant une «institution» de l’Islam, comme l’est le président de la République, ces arrestations ne risquent-elles pas de constituer un précédent dangereux ?

C’est pour cette raison que je parlais un peu de comment voir les choses avec intelligence parce que l’Imam, c’est une «institution». L’imam a des devoirs, des servitudes, des privilèges et des obligations. Et c’est dans ce sens qu’il est aussi protégé, dans une certaine mesure. Mais, ses obligations et ses servitudes doivent l’entrainer à comprendre la gravité de sa position, de son rôle et de ses postures pour éviter de porter ses propres opinions comme étant la vérité ou comme étant le dogme. Et c’est également à ce niveau que lui-même doit être capable d’intelligence dans la communication de ses vérités.
Ce n’est pas pour rien que le Coran invite à la sagesse et à la bonne persuasion à l’endroit des non croyants pour porter le message, a fortiori à l’endroit des croyants. C’est également à ce niveau que l’imam doit être assez armé des finalités de la législation musulmane pour comprendre, comme le dit le Coran, que la zizanie, la rébellion au niveau de la cité ou la déstabilisation de la cité est encore pire que la guerre. Parce qu’avec la guerre, on connait les ennemis, on se prépare, il y a des règles, etc. Mais, la zizanie au sein de la communauté est encore pire. Et c’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, la doctrine «Malikite» (Imam Malick, ndlr) tient, comme à la prunelle des yeux, à la stabilité de la société.
C’est pour cela que certains ne comprennent pas que dans la doctrine Malikite que les gens, les autorités religieuses ne se rebellent point contre les autorités politiques, sauf si l’entité nationale est en cause. Parce que la stabilité de la société est importante aux yeux de la doctrine. C’est la raison pour laquelle la critique de l’autorité politique, au niveau de la doctrine Malikite, n’est jamais une critique frontale, agressive, «conflictogène». C’est important de comprendre tout ça. Donc, l’imam aussi doit comprendre tout cela. Et, avoir ses propres opinions ne doit pas l’entrainer à les porter sur le «minbar» (chaire, ndlr) là où personne ne peut se lever pour le dédire. Parce que sur le minbar, il est une autorité, j’allais dire infaillible, dans la mesure où on ne le corrigera pas en tout cas sur le minbar. Voilà donc beaucoup de choses sur lesquelles il faudra également réfléchir.
Maintenant, l’imam, le président de la République lui-même est tenu de respecter la légalité car le principe de la légalité est un principe qui traverse tous les secteurs, toutes les postures et toutes les institutions. Le principe de légalité, c’est que même le gouvernement, même le président de la République est tenu d’avoir des actes qui respectent la loi. C’est la raison pour laquelle on peut attaquer ses actes en anti constitutionnalité ou en recours pour excès de pouvoir. De la même manière, l’autorité religieuse, également, est soumise au respect des lois et règlements.
Maintenant, s’ils violent les règlements, on doit les éveiller, les conscientiser sur les actes qu’ils ont commis. Et, s’ils persistent, la loi doit être dite pour réajuster leurs actes pour les conformer aux lois et règlements en vigueur. Il ne faut pas aussi qu’on croit que les autorités politiques ou religieuses sont infaillibles comme l’infaillibilité du Prophète Muhammad (Psl). Non ! Ce sont des citoyens comme nous, que nous avons mis devant pour leur exemplarité, qui doivent être exemplaires.

Les confréries ont toujours joué le rôle de régulateurs sociaux. Pensez-vous qu’elles peuvent prévenir le Sénégal de la menace islamiste?

Je pense que le Sénégal peut être vraiment exempt de ce radicalisme, de cette violence. Même les organisations non confrériques du Sénégal épousent, pour leur grande majorité, l’esprit pacifiste, l’esprit pluraliste, l’esprit de tolérance de l’Islam qui est le nôtre. Maintenant, il se pourrait qu’il y ait ça et là des groupuscules, des personnes ou des individus, ceux qu’on appelle peut être des «loups solitaires» qui peuvent ne pas suivre l’esprit du groupe, la loi du groupe parce que nous sommes aussi dans un monde où l’aspect spectaculaire des choses peut faire croire à certaines personnes qu’elles se positionnent comme étant des héros parce qu’elles vont forcément être médiatisées au niveau local ou national.
Aujourd’hui, le désir d’être reconnu comme quelqu’un est important. Que cela soit au niveau de ceux qui s’activent dans la religion, la presse, le sport, la musique, la politique ou les arts. Le besoin de reconnaissance est un besoin humain. Mais la reconnaissance est meilleure dans un sens positif plutôt que dans un autre. Aujourd’hui, internet aidant, la surmédiatisation de certains actes et également le caractère héroïque que cela pourrait recouvrir, même si c’est illusoire, pourraient tenter certains loups solitaires. Du point de vue de la religion, je sais que les confréries sont de grands ressorts qui peuvent atténuer les chocs qui pourraient intervenir au Sénégal. Mais, je sais également que les organisations non confrériques, pour leur grande majorité en tout cas, respectent franchement cet état d’esprit de l’Islam sénégalais.

Quelles peuvent être les solutions pour aider à contenir cette menace terroriste ?

Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui sont faites au niveau de l’Etat du Sénégal. D’abord, je crois que l’Etat du Sénégal est un Etat assez responsable qui comprend l’histoire socio politique et socio culturel de ce pays là. Et je crois que l’Etat du Sénégal a une démarche envers les religieux, une démarche de coopération, de consultation sur certaines questions qui sont d’importance religieuse et sécuritaire, comme sur cette question dont je crois que l’Etat se concerte avec les autorités religieuses et les organisations non confrériques. L’autre élément est que les autorités religieuses de ce pays ont une très grande conscience des risques qu’il y a à ne pas éveiller les populations, à ne pas les encadrer dans le sens de préserver ce que nous avons comme acquis par rapport aux autres.
Il y a beaucoup de conférences qui le font. Vous aviez couvert la conférence sur la paix sur l’initiative de Médina Baye. Vous aviez également couvert, il y a deux ans, le soufisme et son apport à la paix de Touba. Dans deux semaines, il y a les journées Cheikh Ahmed Tidjane Chérif qui vont se tenir. L’Islam, religion de paix. L’association de l’union de la jeunesse musulmane de Thiès a fait une résolution sur cette question là. Donc, les organisations islamiques sont conscientes et sont en train de travailler dans le sens de la conscientisation. Maintenant, je pense qu’il y a lieu de créer une grande alliance des religions pour la paix, contre le radicalisme. Et que cette alliance doit se faire non seulement entre religions, mais aussi entre les religieux, les décideurs politiques et les médias pour qu’il y ait une sorte de sainte alliance autour de la paix pour que notre devise «Un peuple, un but, une foi» ne soit pas de simples mots mais que ça soit un vécu compris et que ça soit un sacerdoce pour chacun de le préserver.
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