Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Mali    Publicité
aDakar.com NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Plus loin avec Selly Ba, sociologue: ‘’La polygamie est mal pratiquée au Sénégal’’
Publié le lundi 26 octobre 2015  |  Enquête Plus




S’il est vrai que le Coran autorise la polygamie, il ne l’impose pas, selon Dr Selly Ba, sociologue et enseignante-chercheure. Par une interprétation intelligente et cohérente des versets coraniques relatifs à la polygamie, on constate, selon son analyse, que l’islam établit pour cette dernière des conditions tellement rigoureuses que le champ de cette pratique se trouve restreint à des cas exceptionnels.



Quelle appréciation faites-vous de la polygamie telle qu'elle est pratiquée au Sénégal ?

D’emblée, nous pouvons dire que la polygamie est mal pratiquée au Sénégal. Nous voyons sans ambages que cette pratique n’épouse pas les valeurs de l’Islam, une religion de justice et de paix. En effet, les croyants (homme et femme) jouissent des mêmes droits et sont soumis aux mêmes obligations, dans un statut d’égalité, de fraternité, de liberté relative, sans aucune discrimination de race, de sexe, de condition, de fortune ou de rang social. Et la justice est considérée par le Coran comme « l’acte le plus proche de la piété ».

La religion musulmane traite des questions sociales : le mariage, le divorce, la polygamie, la dot, l’héritage, le témoignage, l’autorité de l’homme dans son rapport à son épouse et l’obéissance que celle-ci lui doit. Ces questions jugées utiles et nécessaires à la petite société de la Péninsule arabe au VIIème siècle de l’ère chrétienne, constituent encore une partie essentielle de la religion islamique. Ce qui pose le problème de l’influence de la tradition dans la pratique islamique.

Même si aujourd’hui la polygamie est surtout associée à l’islam, ce dernier ne l’a pas inventée. Cette pratique existait dans la péninsule arabique, avant l’avènement de celle-ci. En effet, la polygamie était répandue dans la société arabe préislamique. Par conséquent, il s’avérait difficile à l’islam, pour ne pas dire impossible, de bouleverser radicalement ce qui constituait la pièce fondamentale de la famille, à savoir l’institution du mariage.

Ce qui explique l’absence dans le Coran d’une interdiction formelle de cette pratique. En prenant en compte le contexte historique, on pourrait dire que l’islam tenait, avant tout, à réglementer la polygamie, en limitant le nombre maximal à quatre épouses. Il est vrai que le Coran autorise cette pratique, mais il ne l’impose pas. Ainsi, par une interprétation intelligente et cohérente des versets coraniques relatifs à la polygamie, on constate que l’islam établit pour cette dernière des conditions tellement rigoureuses que le champ de cette pratique se trouva restreint à des cas exceptionnels.

C’est ainsi que le verset autorisant la polygamie dispose : ‘’Si vous craignez d’être injuste pour les orphelins, épousez des femmes qui vous plaisent. Ayez-en deux, trois ou quatre, mais si vous craignez d’être injustes, une seule ou bien des esclaves, de peur d’être injustes’’. Le verset conditionne la polygamie à celle de traiter les épouses d’une manière égalitaire. Or, un autre verset semble bien dire que les hommes sont incapables de satisfaire cette condition : « Vous ne pouvez jamais traiter également vos femmes, quand bien même vous le désireriez ardemment. » Autrement dit, il s’agit bien d’une interdiction de la polygamie qui reste une exception en cas de nécessité.

Oui mais dans les faits, la polygamie reste très actuelle notamment au Sénégal et dans la sous-région.

La plupart des pays musulmans ont adopté des mesures pour restreindre et décourager la polygamie. La Turquie et la Tunisie l’ont abolie, tandis que d’autres pays l’ont rendue plus difficile. Ainsi, le droit marocain, depuis la révision du code de la famille, la Modawhanna, en 2004, considère « la polygamie comme un empêchement relatif au mariage ». Conformément à la nouvelle loi, la femme a le droit d’exiger, lors de la signature de l’acte du mariage, que son mari renonce à la polygamie (art 40). De plus, un homme qui envisage d’épouser une autre femme doit avoir une autorisation du tribunal ainsi que l’accord de l’épouse actuelle et de la future épouse (arts 40-46).

Au niveau du droit égyptien, la femme a la possibilité d’exiger dans le contrat du mariage que l’époux ne prenne pas une seconde épouse et, si le mari viole cette obligation, la première épouse a la possibilité de demander le divorce. Par conséquent, on peut dire qu’à l’exception des pays musulmans de l’Afrique subsaharienne, la pratique de la polygamie est plutôt rare dans la plupart des pays musulmans, grâce, d’une part, à une interprétation intelligente et cohérente du verset 129 de la sourate 4, et d’autre part, à cause des conditions socio-économiques difficiles qui prévalent dans la plupart des sociétés musulmanes contemporaines.

Le fait que la polygamie reste encore un phénomène caractérisant les sociétés musulmanes, malgré les réformes adoptées par la plupart des pays musulmans, est dû aux conservateurs et à une partie des islamistes qui tendent à réaffirmer le principe de la polygamie en terre d’islam et « les avantages qu'elle est censée procurer à tous les membres de la communauté : hommes, femmes et enfants ». Ces réformes en cours dans ces sociétés musulmanes montrent que la monogamie est la forme originelle et essentielle du mariage, car Dieu –qu'Il soit exalté et glorifié- a voulu que la vie conjugale soit une cohabitation réciproque et un mouvement humain vers l'établissement d'une relation équilibrée, fondée sur le climat de l'amour et de la compassion signalé par le verset qui dit : "Elles sont un habillement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles"… Coran, al-Baqara (la Vache), II 187.

Pourtant les femmes acceptent la polygamie, malgré les difficultés rencontrées.

A ce niveau, il est important de préciser que les femmes acceptent d'évoluer dans un ménage polygame pour diverses raisons. Première, deuxième, troisième, quatrième position, peu importe pour certaines femmes. Car, l'entrée dans une union polygamique correspond le plus souvent, pour chacune d'entre elles, à une urgence sociale. C'est le mariage qui donne, selon beaucoup de femmes, un statut social enviable. Elles craignent la solitude et le regard peu tolérant de la société à l'égard des femmes encore célibataires, passé un certain âge. En effet, le célibat est encore mal vécu. Il est même traumatisant pour beaucoup de femmes. Le mariage demeure donc la seule alternative pour elles, à cause de la religion, des pressions familiales, sociales et des avantages matériels attribués à cette union. Lorsque le célibat se prolonge, il est vécu avec angoisse, amenant même certaines femmes à ne plus être trop regardantes sur leurs prétentions matrimoniales.

Quelle est la solution, selon vous ?

L’idéal, c’est de disposer de moyens financiers et avoir des dispositions (le sens de la responsabilité) pour bien gérer plusieurs épouses. Que chacune puisse vivre sous son toit séparément. Et que l’époux dispose des capacités (responsabilités et justice) pour pouvoir vivre, même si ça reste difficile, en harmonie avec ses épouses et ses enfants.

Quelles peuvent être les conséquences pour les enfants de vivre dans ces familles polygames?

La plupart des explications (Boserup) de la polygamie se fondent sur une perception "ruraliste" des sociétés africaines, au sein d'un mode de production particulier : une économie de subsistance faiblement mécanisée, dans laquelle le rôle des femmes comme productrices de produits vivriers est important. La polygamie dans ce contexte est conçue comme étant peu "coûteuse" et ‘’rentable pour l'homme’’. D'autres auteurs avancent des explications plus politiques qui soulignent la cohérence interne du système matrimonial et d'une organisation sociale où le pouvoir est aux mains des aînés (Meillassoux, 1975). Ici la polygamie est perçue comme un moyen de préserver le pouvoir des aînés sur les cadets dans les sociétés où l'accès aux femmes est contrôlé par les aînés.

Pour Abdoulaye Bara Diop (1981), il y a plusieurs facteurs favorables à la polygamie : elle permet de s'allier à plusieurs groupes et confère un avantage socio-politique. Elle représente un apport économique car la femme, par son travail ou ses cultures personnelles, contribue à l'entretien du ménage. Le fait de disposer de beaucoup d'enfants permet d'avoir une main-d’œuvre plus nombreuse, et d'espérer une prise en charge par les enfants durant la vieillesse. La polygamie est aussi un élément d'ostentation et de prestige pour des catégories privilégiées.

Les règles sociales régissant le mariage dans certains pays africains, connaissant une forte natalité et une mortalité élevée, ont conduit à un régime démographique favorable à la polygamie. Les principaux facteurs en sont : un âge au mariage relativement jeune chez les femmes, un écart d'âge important entre les conjoints, une quasi-absence de célibat définitif, quel que soit le sexe, et le remariage rapide. Les hommes se marient avec des femmes appartenant à un groupe d’âges plus jeune (et numériquement plus nombreux) ; il y a donc plus de femmes disponibles sur le marché matrimonial. Ce fait est accentué par le remariage rapide des veuves et des divorcées. Dans des sociétés où le mariage reste une urgence, la concurrence entre les femmes est accentuée par leur surnombre relatif. Si certaines femmes tardent trop à se marier, elles risquent de rester célibataires ou d'accepter d'épouser un homme déjà marié.

Pour nous, la polygamie ne participe pas à la pérennité des entreprises familiales, moteur de création de richesse, source de développement d’un pays. La plupart des entreprises familiales (Djily Mbaye, Ndiouga Kébé etc.) meurent avec la disparition du père fondateur et chef de famille. En effet, nous constatons qu’à la disparition du père, la famille polygame ne cherche pas à perpétuer l’entreprise, mais se le partage. Alors que les entreprises familiales aux Etats-Unis (Ford, Carnégie etc.) ont joué un rôle déterminant dans leur développement.

Nous avons fait le constat que la quasi-totalité des femmes ne veulent pas la polygamie. Comment l’expliquez-vous ?

La précocité du mariage et remariage rapide après le divorce ou le veuvage peut entraîner un niveau élevé de polygamie. Que devient la polygamie dans un contexte d'accentuation de la crise économique et de détérioration du niveau de vie ? Et quelles en sont les nouvelles configurations ? Les hommes se déclarent en général plutôt favorables à la polygamie, et ce, quel que soit leur niveau d'instruction. Diverses attitudes à l'égard de la polygamie sont relevées chez les femmes, allant de la résignation à l'hostilité, en passant par le réalisme. Les réactions féminines reposent cependant sur un fond latent d'opposition à cette institution. Cependant la pression sociale est telle vis-à-vis du mariage que certaines femmes non mariées sont prêtes à entrer dans une union polygame, et à conforter, malgré elles, cette institution.
Commentaires