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Mbeubeuss - pollution de la nappe phréatique, gaz à effet de serre, changements climatiques, émissions de fumées toxiques: "Bombe" écologique
Publié le mardi 20 octobre 2015  |  Sud Quotidien
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© Autre presse
Le Sénégal produit annuellement plus de 2 millions de tonnes de déchets




La décharge de Mbeubeuss constitue une menace réelle pour les populations de Dakar. Alors qu’elle est presque en permanence ravagée par le feu qui couve sous les déchets, elle émet des fumées toxiques qui suffoquent les habitants de Keur Massar, Malika, Keur Mbaye Fall et Rufisque. Elle présente à cet égard un certain nombre de risques sanitaires et environnementaux et contribue de ce point de vue, aux réchauffements climatiques avec ses émissions de méthane et de CO2 considérés comme des gaz à effet de serre. Mbeubeuss, qui pollue la nappe phréatique, est également émettrice de polluants organiques comme les dioxines et les furannes connus pour leur résistance, et qui ont un impact négatif sur la santé humaine. Mais malgré tous ces aspects dangereux, Mbeubeuss a une vie et une histoire humaines. L’organisation autour de la décharge draine une certaine économie qui fait vivre du monde et contribue à la régulation de la criminalité à Dakar. Une fonction sociale non négligeable que ce reportage met en exergue.

En cette matinée du lundi, le vrombissement des moteurs des camions et l’épaisse fumée blanchâtre trahissent la quiétude sur la colline surplombant le lac Mbeubeuss devant le Daara de Malika. C’est l’entrée principale de la décharge publique qui reçoit tous les déchets de la région de Dakar. A la porte d’entrée, alignés en file indienne, plusieurs camions attendent leur passage sur le pont bascule pour peser leur contenu.

UN CAFE DE MBEUBEUSS

C’est le moment choisi par les apprentis pour passer à côté sous les tentes de fortune, chez Ngoné ou Adji, pour prendre leur petit déjeuner ou simplement boire un café de Mbeubeuss, sans se soucier du bourdonnement des mouches ou de l’odeur ambiante de la décharge qui enveloppe l’atmosphère. De sa main droite, Moussa, presqu’en haillons, tient son pain, où les mouches s’invitent. Par ci par là, c’est la gaité de vivre. Presque chacun a le sourire aux lèvres. La vie est belle à Mbeubeuss.

EMBOUTEILLAGE A MBEUBEUSS

Deux camions bleus se succèdent sur le pont bascule et se suivent en direction de la plateforme de débarquement située à près de quatre kilomètres à l’intérieur. Moussa se précipite, écourte son petit-déjeuner et entame un sprint digne d’un coureur de 100 mètres. Il s’agrippe à l’un des camions sur lequel il trouve deux jeunes enfants qui, eux aussi, partent travailler à la plateforme d’où ils ressortiront avec quelque chose à vendre. Le ballet des camions qui rentrent et ressortent de Mbeubeuss est impressionnant. Il y a environ 368 camions de 20 concessionnaires qui fréquentent la décharge de Mbeubeuss. Le panorama du jour est impressionnant. Incroyable mais vrai ! Il y a un embouteillage de camions à Mbeubeuss. Selon Pape Ndiaye, l’Etat est responsable de cette situation car la piste d’accès est impraticable. «Au Sénégal, les gens ne mettent pas les personnes qu’il faut à la place qu’il faut. Ceci est un exemple, aucun véhicule ne peut accéder à la plateforme. Confier une responsabilité à quelqu’un qui a un stylo et une feuille ne règle rien dans ce pays. Il faut confier les choses à ceux qui en ont l’expérience. On a pris des gens d’un Gie de Malika à qui on a confié le travail en leur donnant des sifflets pour orienter les camions. Or les récupérateurs connaissent mieux cette plateforme», signale le porte-parole de l’association «Bokk Diom» des Récupérateurs et Recycleurs de Mbeubeuss qui révèle que beaucoup d’argent a été déjà investi sans donner les résultats escomptés. «Combien de chargements de camions de pierres et de gravats sont passés par là avant l’arrivée de l’hivernage ? Mais rien n’y fait, les véhicules n’ont pas de chemin pour accéder à la plateforme. Ils sont tous bloqués. Et ces chargements de pierres ont coûté de l’argent», critique Pape Ndiaye. «Nous n’allons jamais leur dire ce qu’il faut faire, car nous ne sommes pas associés à cette affaire. Nous savons très bien ce qui peut réguler Mbeubeuss. Regardes leur manière de faire. Tout est bloqué ici. Tantôt ils là, tantôt ils sont là-bas. Ils ne font que bâtir des montagnes, ils ne font rien de bon car ils n’ont aucune expérience de ça», poursuit Pape Ndiaye. Un chauffeur de camion interrogé explique qu’il leur arrive même de passer la nuit dans cet embouteillage.

LE GENRE S’INVITE A MBEUBEUSS

Dans la division du travail à Mbeubeuss, les femmes sont libres et occupent une place de choix. Elles ne dépendent pas des hommes et travaillent à la sueur de leur front. Il n’y a pas une division phallocratique du travail. C’est ce que nous apprend le porte-parole de l’association «Bokk Diom» des Récupérateurs et Recycleurs de Mbeubeuss. «Nous sommes presque précurseurs de la politique de parité au Sénégal, car nous avions été les premiers à respecter le principe : un homme, une femme. Notre compagnonnage avec les femmes date d’avant le vote de la loi sur la parité. Nous collaborons bien avec les femmes dans le cadre du travail. Elles font les mêmes tâches que les hommes », nous apprend Pape Ndiaye. «Les femmes sont bien protégées à Mbeubeuss. On ne les bouscule pas. Il y a une démocratie interne qui permet de soutenir les femmes dans leurs conflits avec les hommes. La règle est de les laisser travailler librement comme tout le monde. Aucun chantage n’est exercé sur elles. Ce sont de braves femmes qui, pour la plupart, sont des mères ou des soutiens de familles.», explique-t-il. Avant de poursuivre : «Beaucoup d’entre elles travaillaient comme des femmes de ménage et étaient souvent exploitées. Te faire travailler jusqu’à la fin du mois pour t’accuser de vol ou te demander de patienter parce que le mari du patron n’a pas encore perçu, n’est pas intéressant. Même si on rentre chaque jour avec 500 FCFA, c’est 15000 FCFA qui te permet de régler certaines choses à la fin du mois. Et les femmes rentrent avec plus que ça». Son nom de «guerre» est Aladji Bankhass.

De son vrai nom, El Hadj Malick Diallo, il est le président de l’association «Bokk Diom» des Récupérateurs et Recycleurs de Mbeubeuss. Il nous apprend qu’il n’y a pas de division du travail à Mbeubeuss. «C’est chacun pour soi, Dieu pour tous. Si ramasser est ton métier, tu as toujours hâte de voir quelqu’un jeter ou verser. Quand on verse, ce n’est pas évident qu’on le valorise. Et c’est ça notre cri», dit-il. «Il y a plus de 3000 récupérateurs qui s’activent dans la décharge de Mbeubeuss parmi lesquels 2500 disposent de la carte de membre de l’association. Quand j’arrivais comme président, ils étaient 1800 à avoir la carte de membre. Il y a environ 350 femmes dans l’association. Le nombre de femmes augmente, car il y a des matériaux pour femmes comme les toiles et ce que nous appelons ici les « ndeyalé », c’est-à-dire les bassines et les seaux cassés. Ce n’est pas lourd, c’est très léger et ça arrange les femmes», raconte-t-il.

LES ORDURES SONT DE L’OR

Pour Pape Ndiaye, les ordures règlent beaucoup de situations sociales au Sénégal. «J’aurais même préféré qu’on change le nom. Le Sénégal dispose d’un trésor intarissable. Les ordures sont de l’or. L’Etat le sait bien, car tous les bailleurs de fonds investissent dans les ordures. Tout le monde y cherche son compte, même les Asiatiques sont là. Donc, ils savent que c’est important. Il ne manque que l’organisation. C’est de l’argent», nous apprend-il. «Nous crions pour qu’on nous valorise les déchets. Certains de nos membres ont voyagé pour assister à des rencontres internationales sur la gestion et la valorisation des déchets. L’Etat ne fait aucun effort pour valoriser les déchets. D’ailleurs, il n’y a jamais eu de ministre du Gouvernement du Sénégal qui a mis le pied dans la décharge de Mbeubeuss de 1972 à nos jours. Il faut que ça soit clair», déclare Aladji Bankhass. Toutefois, il a tenu à signaler que le seul ministre sénégalais venu à Mbeubeuss est Awa Ndiaye. «Je la remercie au passage parce qu’elle est venue ici et nous a ensuite donné 10 millions FCFA et 3 ordinateurs HP de très bonne qualité après nous avoir reçus. Quand elle venait ici en 2011, il y avait un incendie à la décharge. Elle passait par là, en partance à la prison de Rufisque dans le cadre de la journée du détenu. Il y avait trop de fumée et quand elle avait demandé à un membre de sa délégation, ce dernier lui avait signalé que la décharge était en feu. Accompagnée d’Ibrahima Diagne de l’UCG, elle était venue nous voir. Constatant le nombre important de femmes sur place, elle avait décidé de nous soutenir dans le cadre du genre», révèle-t-il.

L’ECONOMIE DE MBEUBEUSS

El Hadj Malick Diallo, dit Aladji Bankhass, Président de l’association «Bokk Diom» des Récupérateurs et Recycleurs de Mbeubeuss nous signale qu’à Mbeubeuss l’investissement est simplement physique. «Je ne peux pas te dire que le recyclage et la récupération sont un métier qui t’enrichit, mais qui ne t’appauvrit pas non plus. Ici, on ramasse seulement, on n’achète rien. On vend mais on n’investit rien. Et chaque jour tu peux ramasser quelque chose que tu peux vendre à 1500, 2000, 3000, 5000, voire 10 000 FCFA. Si tu es brave, tu peux faire de bonnes affaires, quelque fois tu peux récolter seulement 500 FCFA qui te permettent tout au moins de régler ton petit déjeuner», dévoile-t-il. «Après coup, on peut ramasser quelque chose qu’on vend à 1500 FCFA ou plus et envoyer cet argent à la maison. Ceci est un investissement. D’ailleurs, une étude que nous avons menée avec la Banque a montré que Mbeubeuss regorge un trésor de 20 millions FCFA par jour», poursuit-il. «En tant que président de notre association, je peux démontrer au minimum les 10 millions FCFA. Et même si ce n’était que ça, nous aurions pu nous en sortir. Il y a la Société Dia Plastique (Sodia Plast) installée à Sébikotane qui achète les sachets plastiques. A ses débuts, elle envoyait une fourgonnette mais aujourd’hui, elle charge trois camions de 30 tonnes. Mais si ce sont les sachets plastiques, c’est entre 10 à 15 tonnes. Or, chaque tonne coûte 75 000 FCFA. Les quinze tonnes font 1 125 000 FCFA», dévoile-t-il.

12 MILLIARDS POUR 20 CONCESSIONNAIRES

Selon El Hadj Malick Diallo, l’implantation du Chinois qui a créé sa petite unité industrielle près de Mbeubeuss devrait être auditée. «Un Chinois a créé sa petite industrie alors que cette zone n’est pas une zone industrielle. Personne n’a cherché à comprendre comment il s’est implanté ici. Je ne peux pas aller lui faire des histoires, car si elle ferme aujourd’hui sans que nous n’ayons aucune alternative, je serai responsable du sort de mes compatriotes», souligne-t-il. Avant de renchérir : «Il y a un budget de 10 à 12 milliards FCFA pour les ordures. Il y a 20 concessionnaires. La plupart des camions sont des TSS qui compressent les ordures. En moyenne, ils transportent sept tonnes d’ordures pesées au pont bascule à l’entrée de la décharge où les chauffeurs reçoivent des bons. Tout cela revient à 2576 tonnes par jour, et il y a des camions qui font deux voyages. La tonne coûte 15 000 FCFA au plus. Donc, en multipliant 15 000 FCFA par 2576, nous avons 38 640 000 FCFA par jour». Ainsi, à la fin de la journée, chaque concessionnaire reçoit de ses chauffeurs les bons qu’il va présenter à qui de droit pour être payé.

MBEUBEUSS CONTRIBUE A REDUIRE LA CRIMINALITE

La décharge de Mbeubeuss contribue beaucoup à la réduction de la criminalité à Dakar. C’est le ferrailleur Moustapha Guèye qui l’a révélé. «L’industrie de la ferraille à Mbeubeuss contribue pour beaucoup à la réduction de la criminalité à Dakar. Quand tu vois quelque chose que tu peux récupérer dans les ordures, cela fera que la personne ne songera pas à aller agresser pour de l’argent», renseigne-t-il. Pour lui, «ceux qui agressent ne veulent pas forcément le faire, mais ils sont peut-être obligés pour survivre sous le poids du besoin et de la pauvreté».

Le sieur Guèye est convaincu que la fluctuation du prix de la ferraille influe largement sur le taux de criminalité dans la capitale sénégalaise. «Quand le prix de la ferraille descend, cela se répercute dans la rue. C’est ce qui explique la hausse de la criminalité ces derniers temps. Si le prix de la ferraille monte, la criminalité baisse. Ils sont forcément liés», a-t-il laissé entendre. «Avec le prix du kilo de ferraille à 25 FCFA, le manque à gagner de 75 FCFA représente 750 000 FCFA chaque mois que nous ne pouvons plus récupérer. Nous avions presque 5 tonnes de ferraille tous les 10 jours qui représentent 750 000 FCFA que nous perdons. Et ça contribuait beaucoup à l’économie de notre pays», explique-t-il. Pour lui, le président de la République, Macky Sall, a été trompé. «On lui a versé des milliards sans qu’il n’ait eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Ces milliards appartiennent en réalité aux populations. Nous sommes très fatigués et nous avons besoin de soutien. On ne demande pas au président de nous trouver du travail car nous en avons déjà», argumente-t-il en expliquant qu’ils n’envient aucun modou-modou si on les laisse travailler. «Ce que les modou-modou vont chercher en Europe, nous le trouvons chez nous. Notre souhait est qu’il nous ramène les Indiens qui nous payent de bons prix pour que tout le monde y trouve son compte», fait-il.

Pour El Hadj Malick Diallo, dit Aladji Bankhass, président de l’association Bokk Diom des récupérateurs et recycleurs de la décharge, «il n’y a jamais eu de crime à Mbeubeuss», le seul crime qu’il y a eu date des années 70. «Mbeubeuss n’a jamais eu de crime, le seul crime qu’il y a eu était involontaire. Il date de l’époque de ma jeunesse. C’était juste une petite discussion qui avait viré au drame. L’un des protagonistes avait frappé la victime avec un bâton. Ici, nous sommes bien organisés, si quelqu’un est reconnu comme auteur d’une agression, je tiendrais juste une petite réunion avec les membres du bureau de l’association. Nous allons te prendre et te livrer à la police pour que nous vivions en paix. Nous sommes des travailleurs», fait-il. Pour lui, Mbeubeuss est une zone de «zéro crime». «Je peux entrer ici à n’importe quelle heure, sans souci, même à 4 h du matin. Je suis plus à l’aise ici qu’au terminus de Malika. Je vous assure, demandez à qui vous voulez, il y a zéro crime à Mbeubeuss», décrète Aladji Bankhass qui révèle également que Mbeubeuss n’est pas un lieu de refuge pour criminels. «Si quelqu’un qui commet un crime vient se réfugier ici, nous allons le livrer à la police. Nous sommes des travailleurs reconnus car nous avons un récépissé de l’Etat. Par conséquent, nous ne permettrons à personne de nous gâcher notre environnement», prévient-il.

FERRAILLEURS SACRIFIES PAR L’ETAT ?

Ndiaga Guèye, lui aussi ferrailleur à Mbeubeuss, abonde dans le même sens. Toutefois il trouve que les ferrailleurs ont été « livrés » aux Chinois par le président de la République, moyennant plusieurs milliards de nos francs. «Nous n’arrivons plus à vendre. C’est notre principal problème. Nous achetons la ferraille, nous le transportons à l’usine SOMETA qui prend notre produit sans nous payer. Elle ne se limite plus seulement au non paiement, mais elle retient notre produit pendant deux mois, ce qui nous fait perdre doublement. C’est ce qui nous fait le plus mal car quand les Indiens étaient là, nous étions payés aussitôt après le pesage», regrette-t-il. «Le travail est très physique, c’est un dur labeur.

Actuellement, le prix de la ferraille a baissé jusqu’à 25 FCFA le kilogramme, alors qu’il était à 100 FCFA le kilogramme à l’époque où les Indiens tenaient le monopole du marché. Il y a une grande différence qui ne joue pas en faveur de l’économie de notre pays. Nous sommes vendus aux Chinois qui ont donné de l’argent à l’Etat pour nous bloquer. Maintenant, les gens souffrent. Et c’est une seule personne qui vend, comme une seule boutique dans un village, il dicte sa loi et ouvre ou ferme quand il veut», peste-t-il. Le président des boudioumans, El Hadji Malick Diallo confirme : «Le régime de Macky Sall nous a imposé de vendre notre ferraille aux Chinois. Il a bloqué le marché aux Indiens qui l’achetaient auparavant. Or, l’Indien au minimum te donne une moto à utiliser pour rechercher la ferraille ou un tricycle pour le transporter. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on pouvait voir les charrettes faire le tour de la ville à la recherche de ferraille car les Indiens qui ont la plus grande sidérurgie au monde achetaient beaucoup de ferrailles. Ils achetaient tout, du lourd et du léger, même le fil de fer qui provient des pneus». Or, «le Chinois n’achète que du lourd, à une certaine quantité. Quand tu dépasses ses besoins, il n’achète pas et tu perds car avec la pluie la ferraille mouillée se rouille vite et perd son poids. C’est notre problème fondamental aujourd’hui. Il fallait libéraliser le marché, instituer une vente libre ou donner aux Sénégalais la possibilité d’en acheter», renseigne-t-il. Un problème de conflit d’intérêts fait surface à ce niveau. Le boudioumane lâche : «En réalité, j’ai découvert par l’entremise de Mamadou Lamine Diallo du Mouvement Tekki qui nous avait accompagnés faire des investigations dans toutes les usines de ferrailles que le ministre du commerce de Macky Sall de l’époque est actionnaire dans les usines Chinoises», nous confie-t-il.

LA GUERRE DES ORDURES

Ils sont nombreux, les camions qu’on voit chargés de bidons vides de dix litres à destination ou en provenance de Mbeubeuss. Ces camions déchargés à Mbeubeuss sont encore chargés pour re-transporter une partie de leur contenu vers la ville. C’est devenu un phénomène banal. Presque 75 % des ordures déversés à Mbeubeuss reviennent en ville. Les camionneurs sont devenus de potentiels «boudioumanes» (récycleurs et récupérateurs). Du coup, ils diminuent le chiffre d’affaires des «boudioumanes» traditionnels établis à la décharge et qui attendent arriver les camions. «Il y a beaucoup de mafia au Sénégal. Et tu ne peux pas en être conscient si tu n’es pas éveillé. Tu peux habiter avec ton père, alors qu’il t’exploite et te roule dans la farine tous les jours.

L’exploitation a commencé dès qu’ils ont parlé d’Entente Cadak-car (Communauté des agglomérations de Dakar- Communauté des agglomérations de Rufisque). Mais l’entente ne devait pas se limiter simplement là, tout le monde est associé sauf les récupérateurs», critique-t-il. «Les concessionnaires ont pris leurs chauffeurs qui ne sont pas naturellement des récupérateurs. Ils prennent des apprentis qu’ils forment eux-mêmes à la récupération. Au moment où le véhicule roule, debouts sur le marchepied, ils récupèrent tout ce qui est jeté et l’attachent en haut et le vendent dès qu’ils arrivent ici. C’est connu de tous. Finalement, nous qui sommes là en train d’attendre, nous n’aurons plus rien à ramasser», souligne-t-il. Selon lui, « s’il y avait une véritable entente, les gens auraient accepté de mettre sur pied «les éco boutiques» où serait emmagasiné tout ce qui est ramassé pour que ceux qui ont des choses à acheter s’y rendent afin de valoriser les ordures. Ainsi, les prix seront homologués, ce qui aurait permis aux uns et aux autres de se faire payer en fonction de ce qu’ils ont amené ». Et d’ajouter : «Ce n’est pas honnête que ces gens qui ont un salaire mensuel récupèrent ce que nous attendons ici, qu’ils mettent dans des sacs qu’ils descendent et qu’ils vendent à Thiaroye. Tout le monde le voit. Il y en a même qu’ils vendent près de nous ici. Ce qui pose problème. Nous n’y pouvons rien, puisque c’est chacun pour soi et Dieu pour tous», note-t-il.

STIGMATISATION

Les matériaux récupérés à Mbeubeuss font l’objet de tous les fantasmes. Récupérés de la décharge, ils sont réutilisés dans plusieurs secteurs de la vie à Dakar. Les sacs de riz sont utilisés par les maraichers pour convoyer les choux, les carottes, les navets, les aubergines, le piment, bref, tout ce qui est récolté dans les Niayes, vers les marchés de la capitale. Les bouteilles en plastique sont utilisées par les vendeurs d’eau ou de jus. De ce point de vue, beaucoup de voix s’élèvent pour dire que c’est un danger public. Ce que le président de l’association des «boudioumanes» a rejeté avec la plus grande énergie. «Il y a une nette différence entre la réalité et ce que disent les gens. Nous sommes des humains comme ceux qui tiennent ce discours. Nous n’avons que la vue, l’ouïe, le goût et l’odorat. Nous avons ici un système de triage qui permet de déterminer ce qui appartient à l’usine et ce qui doit aller aux vendeurs de jus», déclare El Hadj Bankhass. «Quand les véhicules arrivent nous reconnaissons facilement les objets qui proviennent des hôtels. Si quelqu’un a besoin d’une chose spécifique, je peux facilement l’orienter car je sais qui dispose de tel ou tel type de matériaux. On dit beaucoup de choses contre nous au point de gâcher notre marché. Il y en a même qui sont allés jusqu’à interpeller les khalifes généraux pour dire que les sachets d’eau qui sont distribués durant les magals et les gamous sont recyclés de Mbeubeuss», fait-il remarquer. «Nous sommes tous ici sensibles à Sos Consommateurs.

Et nous sommes organisés en secteurs, c’est pour cette raison que nous avons cette association. Depuis que je suis là je n’ai jamais entendu dire que quelqu’un a des problèmes gastriques à cause de ça ».

LA VIE A MBEUBEUSS

La décharge regorge de tout. Il existe même la prostitution et la vente illicite de drogue dans cet espace subdivisé non pas en quartiers, mais en secteurs. «Les gens du dehors ont toujours pensé que Mbeubeuss est organisé en quartiers. D’ailleurs, certains sont même allés jusqu’à dire que les nouveau-nés qui sont ramassés dans la décharge sont jetés par les boudioumanes qui, après les avoir mis au monde, les jettent dans les ordures. On nous compare à la limite aux ordures. Dans quelle République sommes-nous ? Nous ne sommes pas des sauvages», gronde Aladji Bankhass, du fond de son bureau à l’étage de la maison communautaire. «Mbeubeuss est divisé en trois ou quatre secteurs. Il y a le secteur du «Baol», lieu de rencontre des Baol-Baol où quelques personnes passent même la nuit. Les jeunes en provenance du Baol y séjournent jusqu’au moment où ils seront capables de payer par eux-mêmes la location d’une chambre. Il y a le secteur «Gouy-Gui» (le baobab) qui est notre emblème. C’était l’arbre à palabres. C’est le secteur de Pape Ndiaye, notre porte-parole, le secteur des town men. C’est là où notre association est née. J’appartiens à ce secteur», renseigne-t-il. En fait, selon lui, il y avait un baobab sur place sous lequel ils se rassemblaient pour discuter de tout après le boulot. C’est là où des blancs sont venus les trouver, des agents du PNUD qui ont fini par leur construire leur maison communautaire. «Le dernier secteur est appelé «Abords» où s’activent les gens qui tamisent le terreau pour y tirer du compost qu’ils revendent aux jardiniers. Il y a également aux « Abords » ceux qui s’adonnent à la vente illicite de drogue, de «soum-soum» (vin artisanal). Même la prostitution existe aux « Abords », mais je ne suis capable d’identifier qui fait quoi. D’ailleurs, ils ne sont pas membres de notre association», se défend-il.

TRES CULTUREL MBEUBEUSS

Au-delà de l’agressivité de son environnement, Mbeubeuss a toujours été une source d’inspiration pour les artistes Sénégalais et d’ailleurs. Mbeubeuss a inspiré des vernissages, mais aussi des films. Le dernier en date est «Mbeubeuss, terreau de l’espoir» du cinéaste Nicolas Sawalo Cissé qui suscite beaucoup de palabres du côté des récupérateurs de la décharge qui estiment être roulés dans la farine. «Nicolas Sawalo Cissé est un truand et je veux que tout le monde le sache. Il nous a escroqué. Il a joué un film ici intitulé «Mbeubeuss, terreau de l’espoir». Il n’a invité personne lors de la cérémonie de dédicace du film, ni la mairie de Malika, ni les boudioumanes. Lors de son tournage, il a payé 5000 FCFA la journée aux jeunes du secteur « Abord » à l’entrée. D’ailleurs, depuis lors nous sommes éveillés au point que tout visiteur qui vient ici y rentre sur une base très claire. C’est pour cette raison que ton photographe a failli être victime», explique Aladji Bankhass. «Quand Nicolas Sawalo Cissé est venu ici, il nous avait dit qu’il voulait nous montrer au monde pour nous aider. Il avait loué notre maison communautaire à 200 000 FCFA ; c’est là où il se faisait préparer les repas pour son équipe de tournage. Tout est ici dans la main courante. Je l’ai pris ici un dimanche avec ses caméras en train de filmer. Quand nous l’avions interpelé, il avait dit qu’il voulait nous aider. Mais quand son film était prêt, c’est un blanc qui m’avait montré ici même le carton d’invitation pour la cérémonie de dédicace au Grand Théâtre. Personne d’entre nous n’y était parti. Il n’avait associé aucun récupérateur», signale le président des boudioumanes de Mbeubeuss. «Il avait simplement pris les gens du secteur « Abord ». Nous n’y pouvons rien parce que Mbeubeuss ne nous appartient pas. Mais il a exploité nos jeunes sans nous avoir donnés un franc. Et pourtant, il a déclaré à la télé qu’il a investi des milliards dans ce film. Il aurait pu nous associer et signer un sous contrat avec nous dans la mesure où les acteurs du film sont nos hommes», se désole-t-il. En plus, El Hadj Malick Diallo ne semble pas aimer le scénario dudit film même s’il reconnait que c’est une science fiction. «Il parait que c’est une science fiction parce que c’est un bébé qu’on a ramassé vivant à Mbeubeuss, qu’on a élevé sous les tentes et qui a grandi pour devenir à son tour récupérateur. En réalité, nous n’avons jamais ramassé un bébé vivant à Mbeubeuss, c’est de la pure fiction mais il devait nous associer dans la réflexion», dit-il. Dans une autre mesure, il a rappelé qu’il y a eu ici à Mbeubeuss une exposition spéciale de l’artiste Ousmane Films. «On avait habillé une femme qui était devenue subitement très grande au point de nous dépasser tous en hauteur. On lui avait cousue une jupe en jeans décorée avec des ordures, des tasses à jeter, des sachets d’eau en plastique. C’est la seule personne dont je me rappelle avoir autorisé à exposer ici à Mbeubeuss», rappelle Aladji Bankhass. Il s’exprime sur la question du droit à l’image et s’insurge contre le fait de les filmer ou les photographier pour ensuite se servir de leurs images. «Tout le reste ne fait que zoomer, comme dans cette image sur le guide qui devait faire fermer Mbeubeuss que tu peux voir partout où tu vas. Je reconnais certains récupérateurs dans cette photo mais si tu le leur montres, ils te demanderont quand ils ont été ainsi photographiés. Donc, ils n’ont pas été au courant au moment qu’on les filmait. Et pourtant l’auteur de cette photo avait notre carte blanche. Il n’avait pas besoin de procéder de la sorte», poursuit-il.

BEN OUMAR DEME, L’ARTISTE DES BOUDIOUMANES

Les récupérateurs ont tout de même leur propre artiste. Il s’appelle Ben Oumar Dème. Il est d’un talent incommensurable. Ses tableaux en relief sont faits de manière à ressembler à la céramique. Adossé au mur derrière Aladji Bankhass, au coin de son bureau, se trouve un tableau sur lequel on voit une femme noire africaine qui porte un enfant sur le dos, on aperçoit aussi un palmier et une case. C’est la fierté du président de l’association Bokk Diom des récupérateurs et recycleurs de Mbeubeuss. «Nous avons notre artiste. Il s’appelle Ben Oumar Dème. C’est lui qui a fait ce tableau avec le bas relief. Il l’a fait avec les tablettes d’œufs. Regardes derrière toi le tableau de la décharge de Mbeubeuss. Il est là, mais personne ne le connait. Quand Awa Ndiaye nous avait donnés les 10 millions, nous lui avions offerte un de ses tableaux en guise de reconnaissance. Nous préparons ici des tables en verre, des pavés à partir de matériaux récupérés. Joal est en train de vendre ses produits alors que nous sommes les précurseurs», renseigne le boudioumane. «Il est le seul à travailler ce type de tableau appelé bas relief. Tous les autres travaillent avec le plâtre ou le sable. Il mouille les cartons des tablettes d’œuf et en obtient une pâte. Après avoir fait son dessin, il y applique la pâte, le finit, le peint et y applique du vernis. C’est un tableau très résistant qui ne se casse pas quand il tombe car c’est fait à base de cartons», nous apprend toujours El Hadj Malick Diallo.

MBEUBEUSS ET LA REVANCHE DES DJINNS

En Afrique, l’univers des ordures a toujours été un monde à part où des êtres surnaturels rodent et organisent leur vie. Si leurs intérêts sont menacés par les humains, il y a toujours des manifestations qui ne jouent pas en faveur des hommes. Si la cohabitation est impossible, ce sont assez souvent des représailles contre les descendants d’Adam. Ils leur insufflent des maladies bizarres, des crises de folie, etc.

Pour se protéger ou s’immuniser contre leur colère, il faut attacher des talismans ou faire des incantations ou des offrandes. A Mbeubeuss, même s’ils ne se sont pas ouvertement manifestés aux hommes en se montrant au grand jour, des circonstances exceptionnelles qui s’y sont déroulées laissent présager qu’ils sont bien sur place. Aladji Bankhass Diallo en fait ce témoignage : «Je n’ai jamais entendu quelqu’un qui a vu un djinn ici, mais nous avons établi un constat. Actuellement, dans la décharge il y a un lieu où nous sommes tous convaincus que c’est là où réside le djinn de Mbeubeuss parce que c’est un lieu où surviennent plusieurs décès par accident et plusieurs cas de folie. Un jour, un véhicule y avait pris feu, le chauffeur et l’apprenti avaient tous péri coincés à l’intérieur du véhicule où ils sont morts calcinés». Et de poursuivre : «Il y a d’autres choses qui ne surviennent que dans ce secteur. C’est pourquoi nous l’avons surnommé le secteur le plus dangereux. C’est quand les choses sont dures à Mbeubeuss qu’on ouvre ce secteur hostile. Nous l’avons ouvert juste ces jours-ci. Mais je ne crois pas qu’il sera fermé sans que personne n’y perde la vie. C’est là que nous avons désigné être le secteur du djinn. Ceux qui deviennent fous à Mbeubeuss le deviennent généralement dans ce secteur».

Selon lui, il y a des gens qui étaient bien quand ils arrivaient à Mbeubeuss, mais actuellement ils sont devenus fous. «On m’a signalé ces jours-ci un gars qui s’est réveillé un petit matin, enfilant un court sabador, tenant un coupe-coupe et insultant à tout-va sans nommer personne. Le lendemain, il enlève le sabador et enfile un guimb comme les lutteurs, tout en continuant d’insulter», dit-il. Il était sans doute dans son combat spirituel. Heureusement que ses parents sont venus le récupérer. «Et pourtant, au début, il m’avait mis au courant de son ambition de s’établir dans la décharge et de laisser la chambre qu’il louait. Je lui avais dit que tous ceux qui travaillent dans les ordures sont des fous qui ne guérissent qu’en retournant chez eux, à la maison. Alors si tu y passes la nuit, tu deviens un fou irrécupérable. Mais il ne m’avait pas écouté. Il avait déjà abandonné sa chambre pour s’établir dans la décharge où il avait commencé à passer la nuit. Quelques temps après, on m’avait envoyé un message pour me dire qu’il était en train d’insulter en l’air, sans raison aucune. C’est ce que je lui avais dit. Mbeubeuss est ainsi fait», renseigne Aladji Bankhass qui estime que Mbeubeuss est en réalité un lieu pour les fous. «Tu es devenu fou quand tu es entré ici, c’est en sortant que tu vas recouvrer la raison. Auparavant, l’Etat envoyait ici tous les fous qui sont ramassés dans la rue si une autorité étrangère devait venir dans notre pays. Ceux qui erraient à Sandaga à l’époque et qui mangeaient dans les poubelles trouvaient leur compte ici en arrivant à Mbeubeuss qu’ils ne quittaient plus. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous sommes des fous. C’est juste un slogan, un cri de guerre», prévient-il.

REACTION SUR LA FERMETURE DE MBEUBEUSS

Le projet de délocalisation de la décharge publique de Mbeubeuss ne laisse pas les récupérateurs indifférents. Le président de l’association Bokk Diom des récupérateurs et recycleurs de Mbeubeuss clarifie le débat. Il a tenu à signaler qu’ils n’ont pas à s’opposer au projet de fermeture de ladite décharge. «Nous n’avons pas à accepter ou à refuser certes. Car nous sommes des citoyens comme tout le monde. Force restera à la loi. Nous appartenons tous à l’Etat qui décide de notre sort. Nous aurions quand même aimé qu’on ne ferme pas la décharge, mais qu’on la valorise car nous avons des références pour le faire. Nous disposons de tout l’historique de la gestion des déchets dans la région de Dakar. Nous avons consacré toutes nos vies à cette décharge. Et on se réveille un bon jour comme ça pour nous dire que l’Etat va fermer Mbeubeuss, sans nous associer dans les discussions et les négociations», explique le boudioumane. «Des hommes et des femmes qui sont là à gagner leur vie, et on décide de les indemniser à hauteur de 500 000 FCFA desquels ils doivent céder 160 000 FCFA pour aller travailler. Ce n’est pas suffisant et ce n’est pas normal. On nous a appris que la Banque Mondiale disposait de 10 milliards FCFA pour fermer la décharge. Sur cette somme, même le milliard n’est pas reversé aux travailleurs de Mbeubeuss, le mieux indemnisé n’a même pas 600 000 FCFA. Ce n’est pas normal. Pour sa fermeture, ils avaient promis de reprendre un nombre de 1500 travailleurs alors que nous sommes plus de 3000 boudioumanes à Mbeubeuss», révèle-t-il. «C’est le gouvernement de Wade qui avait fait cette proposition. Le présent gouvernement n’a rien dit à ce sujet depuis qu’il est en place. L’Etat n’a jamais su que Mbeubeuss aurait eu cette ampleur car c’était juste une vulgaire décharge. Si aujourd’hui ils sont conscients que c’est une bombe écologique, ils peuvent la délocaliser s’ils veulent, mais qu’ils prennent soin de nous, qu’ils nous recasent ailleurs. On ne peut pas faire quitter comme ça des gens qui sont nés ici, qui y ont grandi avec leurs parents, et qui y gagnent leur vie en tant que boudioumanes», gronde-t-il. «Tout ce qui est retenu dans les différents protocoles est rangé dans les tiroirs. C’est l’Apix et la Banque Mondiale qui travaillaient sur ce projet de fermentateur à biogaz. Ils ont découvert que Mbeubeuss regorge d’une grande quantité de biogaz et ont décidé de la fermer, de la recouvrir d’une bâche et de l’enfouir jusqu’à une certaine période pour venir aspirer le biogaz communément appelé biomasse», nous apprend-il.

IMMUNITE DES BOUDIOUMANES

Les récupérateurs de Mbeubeuss ne sont presque jamais malades. Pour cause, ils sont immunisés. Aladji Bankhass qui nous l’apprend estime que ce sont les microbes qui les fuient. «Nous sommes immunisés, nous ne tombons pas malades. Nous sommes tellement proches des microbes que les microbes nous fuient. Tu as vu la nature de Mbeubeuss ? Nous y mangeons, nous y prenons tous nos repas, nous y buvons notre thé ; nous ne sommes même pas convaincus que Mbeubeuss rend malade parce que nous ne tombons jamais malades», nous dit Aladji Bankhass. «Je te le jure, je ne connais aucun cas de tuberculose à Mbeubeuss. Les gens ont même contraint le médecin-chef du district sanitaire à endosser qu’il y avait 365 ou 400 cas de tuberculose dans le district de Keur Massar dus à Mbeubeuss. Ce qui est faux. Il n’y a pas longtemps, un véhicule était venu ici faire gratuitement le dépistage de la tuberculose. Trois cas ont été décelés, mais je suis convaincu que c’étaient des passants», se défend le président de l’association des boudioumanes. Selon lui, sur les 3000 travailleurs que compte Mbeubeuss, il ne connait personne qui a la tuberculose. «C’est une formule pour nous combattre. Je connaissais un seul cas de tuberculose dans une maison d’à côté, et il n’est pas récupérateur. Tout ce dont nous pouvons souffrir comme maladie c’est la dermatose qui atteint ceux d’entre nous qui sont plus sensibles. La tuberculose se contamine par le crachat mais pas par la fumée et les odeurs», soutient-il.

BILAN DES PATHOLOGIES SANITAIRES

Selon Pascal Alfousseyni Diatta, infirmier chef de poste du dispensaire de Mbeubeuss, les pathologies qui sont plus fréquentes dans l’agglomération de la décharge sont le paludisme, les insuffisances respiratoires aigues (Ira), les diarrhées. «D’une part, nous pouvons dire que ces pathologies sont liées aux ordures, mais d’autre part on peut aussi dire le contraire. Les pathologies les plus fréquentes comme les gastroentérites (la diarrhée) sont causées par la pollution de la nappe par les ordures. Il y a aussi les puits qui sont utilisés par la communauté. Un patient m’a récemment avoué qu’il n’y a pas de robinet chez eux et qu’ils sont obligés de boire l’eau des puits ou des pompes artisanales», nous apprend l’infirmier. «Nous avons aussi les dermatoses, les traumatismes et les plaies avec les gens qui travaillent à la décharge. Nous recevons pas mal de personnes qui font des accidents», poursuit-il tout en révélant qu’il n’a jamais reçu de patient souffrant du tétanos. Durant tout le mois de juillet 2015, toujours selon M. Diatta, le poste de santé de Mbeubeuss a reçu au total 145 patients (89 adultes et 56 enfants), dont 1 seul cas de paludisme, 20 cas d’insuffisance respiratoire aigue (IRA), 8 cas de gastroentérites, 14 cas d’infections cutanées et dermatoses, 20 cas de traumatismes et plaies, 11 cas d’infections ORL, 2 cas d’HTA et 69 cas d’autres maladies (grippe, lombalgie, asthénie physique, etc.).

COHABITATION AVEC LE DAARA DE MALICKA

La cohabitation de la décharge de Mbeubeuss avec le Daara de Malicka n’est pas heurtée, mais elle semble être problématique. Mamadou Danfakha, enseignant au Daara trouvé sur place, pointe un doigt accusateur sur la décharge.

«Tout autour du daara, après Malicka, on retrouve dans chaque quartier des puits et des pompes. Et on est à 100, 200 ou 300 mètres de la décharge. Il y a la nappe souterraine qu’on partage avec la décharge par conséquent je ne pense pas que l’eau qu’on boit puisse être potable. C’est pourquoi, à chaque fois que nous puisons de l’eau nous y mettons du javel pour ne pas que les enfants aient la diarrhée. Nous avons des internes qui passent neuf mois ici au daara», renseigne-t-il. «Je ne suis pas sûr si les habitants des quartiers environnants prennent les mêmes précautions ou non, mais je me souviens qu’au lycée un de nos professeurs nous disait que la plupart des décès des habitants de Malicka est liée à l’eau que l’on boit. Malheureusement, il n’y a jamais eu d’autopsie pour déterminer la mort d’un habitant du village», assure-t-il. Selon lui, «il y a des enfants du daara qui en pleine année scolaire fuient les cours pour aller ramasser des ordures à revendre pour avoir de l’argent». Il estime que «ce n’est pas une bonne chose pour les enfants qui doivent privilégier leur apprentissage». «La plupart des enfants quittent l’école pour se rendre à Mbeubeuss où ils sont quelquefois même victimes d’accidents».
Voilà en définitive, l’univers dans lequel sont plongés tous ceux qui de près ou de loin ont un rapport particulier avec la décharge de Mbeubeuss qui dans une certaine mesure est un moyen de subsistance atypique pour plusieurs familles. Les habitants du quartier Ndiago de Malicka y retrouvent les mets pour nourrir leurs porcs, d’autres s’y rendent tous les jours à la recherche de bois morts qu’ils revendent pour nourrir leur famille.

SITUER MBEUBEUSS

«La décharge publique de Mbeubeuss est située à environ 30 kilomètres au Nord-Ouest de la ville de Dakar, entre les latitudes 14°17’ et 14°50 Nord et les longitudes 17°16’ et 20’ Ouest, sur une partie de la dépression du lac Mbeubeuss asséché et parallèle au littoral atlantique. Le lac Mbeubeuss est séparé de la plage par un cordon dunaire de direction Sud Ouest-Nord Est. La décharge publique de Mbeubeuss est entourée par les villages de Malika à l’Ouest, Keur Massar au Sud, Niakoul Rab au Sud-Est et Tivaouane Peulh à l’Est. La superficie du lac Mbeubeuss est d’environ 600 hectares et la décharge publique occupe actuellement moins de 25 % de l’espace total», nous apprend Olivier Florent Essouli, dans sa thèse de Doctorat de 3e cycle en date de 2001 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).
Le décor est campé. «Etymologiquement, Mbeubeuss tient son nom du lac Mbeubeuss, un lac salé comme le lac Rose. Etant jeune, je me rappelle y avoir accompagné ma mère qui venait chercher du sel avec une charrette d’âne», nous dit El Hadj Malick Diallo, dit Aladji Bankhass, président de l’association «Bokk Diom» des Récupérateurs et Recycleurs de Mbeubeuss, qui a grandi à Keur Massar où il est né.

CARTE D’IDENTITE DE MBEUBEUSS

A l’origine, la décharge publique de Mbeubeuss n’était destinée qu’à recevoir les refus issus de l’usine de compostage de Mbao qui a fonctionné de 1968 à 1970. En 1970, l’usine de Mbao a été vendue car son coût de fonctionnement était élevé et le Compost Produit ne trouvait pas apparemment de débouchés. C’est avec la fermeture de la décharge publique de Hann en 1970, que le site a été finalement transformé en décharge publique et reçoit depuis cette date la quasi-totalité des déchets urbains collectés dans l’agglomération dakaroise. Cependant, aucune étude préalable d’implantation destinée à apprécier l’aptitude du site à l’exploitation n’a été effectuée. En 1985, la gestion de la décharge a été confiée à la Société Industrielle d’Aménagement Urbain du Sénégal. Elle occupe une superficie de 60 hectares et évolue en hauteur, l’épaisseur des dépôts variant de 3 à 8 m. En 1991, le volume des déchets était estimé à 3,5 millions de mètres cubes (Seck, 1997). La décharge reçoit environ 3000 m3 par jour de déchets solides répartis de la manière suivante : - 93% de déchets ménagers et assimilés ; - 06% de déchets industriels ; - 01% de déchets biomédicaux. A cela, il convient d’ajouter les déchets domestiques dont la quantité varie entre 70 et 50 m3 par jour et les déchets d’origine clandestine, le site n’étant pas clôturé, donc facilement accessible. (REF, Thèse de Doctorat d’Etat de Olivier Florent Essouli, en 2001 à l’UCAD, sur «l’Impact de la décharge publique de Mbeubeuss sur la ressource en eau de la nappe des sables quaternaires de Thiaroye (Dakar-Sénégal)»).

DAKAR ET SES ORDURES, L’ETERNEL RECOMMENCEMENT

La ville de Dakar, à l’image des plus grandes villes d’Afrique et du monde, a toujours des problèmes pour solutionner la gestion de ses ordures. Depuis plusieurs décennies, l’Etat a par maintes tentatives essayé, en associant le privé, en vain, de venir à bout des ordures de la capitale sénégalaise.

L’histoire de Mbeubeuss remonte au début des années 70. Auparavant, de 1960 à 1971, la gestion des ordures était assurée par les régies communales. A cette époque, la collecte se faisait par des charrettes, et ils n’existaient que deux décharges, l’une était à Hann et l’autre à la Corniche-Ouest, près de la Médina. En 1967, une première usine de compostage était créée à Mbao par l’Etat avec une capacité de traitement de 6000 tonnes d’ordures. Elle cessa de fonctionner au début des années 70 pour défaut de rentabilité. De 1971 à 1984, il y avait la Société africaine de diffusion et de promotion (SOADIP), société privée créée en 1971 sur fond de crise.

La SOADIP avait signé un contrat avec les collectivités locales de Dakar, Pikine et Rufisque pour le nettoiement, la collecte et l’élimination de leurs déchets. Elle disposait d’équipements modernes comme les bennes à ordures, les portes conteneurs, les postes de transfert, les chariots à nettoiement. Elle assurait également l’exploitation et le transport des ordures vers l’usine de compostage de Mbao. Suite à des difficultés de prestation dans les années 80, la SOADIP avait fait faillite en 1984. La gestion des ordures était alors remise à la Communauté urbaine de Dakar (CUD) qui a assuré le service jusqu’en 1985 avec l’appui du Génie militaire. De 1985 à 1995, la SIAS créée sur proposition d’un groupe interministériel assurait la collecte jusqu’à sa dissolution suite à de nombreuses difficultés.

D’octobre 1995 à juillet 2000, un nouveau système de nettoiement dénommé CUD-AGETIP est créé. Des GIE de quartiers ont été créés à cet effet pour accompagner ce nouveau challenge. Mais compte tenu de l’insuffisance du budget annuel de gestion fixé à 2 milliards, il y a eu encore un arrêt. En 2001, l’APRODAC rentre dans la course à la suite de sa création en mai 2000 par Me Abdoulaye Wade. Suite à une signature de contrat avec une société suisse ALISON, l’APRODAC avait connu des difficultés.

En 2002, il y a eu le tandem ALISON- AMA Sénégal. Un centre d’enfouissement technique (CET) était créé. Ce que la communauté de Sindia a refusé. La collecte devait être assurée en sous-traitance par des concessionnaires privés sénégalais. Mais suite à plusieurs défaillances de collecte, avec un retard constaté, le contrat a été résilié par l’Etat du Sénégal. De juillet 2006 à maintenant, la transition en cours est assurée par l’entente CADAK-CAR qui s’investit pour la troisième fois dans le domaine. Cette période a aussi connu l’intervention de 2007 à 2012 de l’entreprise française VEOLIA. Il y a eu aussi l’accord de partenariat public privé (PPP) de l’entente CADAK-CAR avec le GTA, un groupement d’entreprises italiennes.

AÏTA SARR SECK, BIOLOGISTE ENVIRONNEMENTALISTE (DEEC) : «L’implication de plusieurs ministères dans la gestion des déchets est un handicap»

Avec un ratio de 1800 à 2000 tonnes de déchets générés par jour dans la capitale sénégalaise, l’Etat, malgré ses nombreuses tentatives pour résoudre les problèmes de la gestion des ordures ménagères, est toujours confronté à des difficultés. Dans cet entretien qu’elle a bien voulu nous accorder, Mme Aïta Sarr Seck, biologiste environnementaliste à la Direction de l’Environnement et des établissements classés, a estimé que l’implication de plusieurs ministères dans la gestion des ordures est un véritable problème parmi d’autres. Elle a, par ailleurs, signalé que la mauvaise gestion des ordures constitue une menace favorisant les réchauffements climatiques.

Combien de tonnes d’ordures la région de Dakar génère-t-elle par jour ?

La région de Dakar génère environ 1800 à 2000 tonnes par jour.

Du président Diouf à Macky, en passant par Wade, les différents gouvernements ont investi plusieurs milliards dans la gestion des ordures. Pourquoi les problèmes demeurent de nos jours ?

Les problèmes demeurent de nos jours pour plusieurs raisons. Je peux citer par exemple l’incapacité des municipalités à gérer les déchets. En effet, les municipalités ont des problèmes techniques de méconnaissance des types et natures des déchets. On peut également citer la non-implication des Collectivités locales, mais aussi l’implication de plusieurs ministères dans la gestion des déchets. Ce qui constitue un handicap. Nous pouvons aussi relever la faiblesse des instruments juridiques existants comme les textes régissant la gestion des déchets qui sont à élaborer, à harmoniser ou à réviser. En dernier ressort, je peux dire que les technologies de collecte ou de traitement des déchets sont inadaptées, etc.

Où en est l’Etat avec le projet de délocalisation de la décharge de Mbeubeuss ?

Le projet de délocalisation de la décharge de Mbeubeuss est toujours d’actualité.

Est-ce que la délocalisation de Mbeubeuss est une solution ou juste un palliatif ?

C’est une solution car comme vous le savez cette décharge présente un certain nombre de risques sanitaires et environnementaux non seulement pour les populations environnantes, mais aussi à l’échelle nationale et internationale. Tous les déchets de Dakar sont acheminés sur cette décharge qualifiée de sauvage. Cette décharge en permanence en feu fait l’objet dans certains cas d’un brûlage à l’air des déchets avec comme résultat les émissions de fumées toxiques.

Avec la pollution de la nappe phréatique par les ordures, est-ce que le ministère de l’environnement a pris des mesures pour protéger les populations vivant autour de Mbeubeuss ?

L’eau de la nappe phréatique de Mbeubeuss polluée n’est pas utilisée pour la boisson, mais pour l’arrosage des cultures ou pour d’autres besoins.

Est-ce que les ordures constituent une menace ?

La mauvaise gestion des ordures constitue une menace, car non seulement elles contribuent aux réchauffements climatiques avec des émissions de méthane et de CO2 qui sont considérés comme des gaz à effet de serre, mais aussi à l’émission de polluants organiques persistants comme les dioxines et les furannes qui impactent négativement la santé humaine.

Dossier réalisé par Chérif FAYE et Sidy Badji (Photographe)
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