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Massacre de Thiaroye à Dakar: trois questions à l’historienne Armelle Mabon
Publié le samedi 17 octobre 2015  |  AFP
L’historienne
© Autre presse par DR
L’historienne Armelle Mabon




Rennes - Maître de conférences à l’Université de Bretagne Sud (UBS), l’historienne Armelle Mabon travaille depuis 1996 sur le drame de Thiaroye.

QUESTION: Que s’est-il passé, le 1er décembre 1944, dans le camp militaire de Thiaroye, à Dakar?

REPONSE: "Quelques jours après leur arrivée à Dakar fin novembre 1944, des tirailleurs sénégalais réclament un rappel de solde qui leur a été promis. Un quart devait leur être remis avant embarquement et le rappel à l’arrivée, avant la démobilisation au camp de Thiaroye, selon une circulaire du 21 octobre 1944.

Le 1er décembre 1944 au matin, les rapatriés reçoivent l’ordre de se rassembler sur l’esplanade du camp. Selon les compte-rendus des officiers supérieurs retrouvés dans les archives, des salves meurtrières sont alors tirées par le service d’ordre à 9h30 comme riposte aux tirs qu’auraient effectués ceux qui sont présentés comme des +mutins+, entre 8h45 et 8h55.

Mais, en confrontant les différents éléments d’archives, on constate que diverses substitutions ont été opérées afin de renforcer l’argumentation des autorités, à savoir qu’elles étaient confrontées à une +rébellion armée+. Par ailleurs, des rapports déposés aux archives laissent à penser à une préméditation. C’est un massacre prémédité. Il n’y a pas eu de rébellion, ces soldats portaient une revendication légitime."

Q: Combien y a-t-il eu de morts?
R: "Officiellement, 35 tirailleurs ont été tués ce 1er décembre 1944, 24 sur le coup et 11 décédés à l’hôpital. Mais un rapport du général Marcel Dagnan, commandant la division Sénégal-Mauritanie, fait état, le 5 décembre, soit quatre jours plus tard, de +24 tués et 46 blessés transportés à l’hôpital et décédés par la suite+, soit 70 victimes. Mais le même rapport, trouvé dans un autre fonds d’archives, revient à 35 morts. Ils ont été tués à
l’automitrailleuse. A mon avis, il y a vraisemblablement dix fois plus de morts que ce qui a été reconnu officiellement, si l’on tient compte du nombre de rapatriés par rapport à l’embarquement à Morlaix: au lieu de plus de 1.600, il en est dénombré officiellement 1.300 à l’arrivée. Leurs dépouilles ont vraisemblablement été jetées dans des fosses communes.

Enfin, il ne faut pas oublier le contexte. L’administration coloniale française à Dakar est restée vichyste jusqu’en 1943, et, à partir de 1944, ses responsables ont conservé pour beaucoup la même ligne de conduite.

Face à eux qui avaient +pantouflé+ pendant la guerre, ils trouvaient des tirailleurs qui, non seulement avaient fait la guerre, mais dont certains avaient combattu dans la Résistance."

Q: Certains des survivants ont été jugés et une famille réclame une
révision du procès.

R: "Une trentaine d’entre eux ont été jugés au terme d’une instruction menée à charge. Les chefs d’inculpation vont de la provocation de militaires à la désobéissance, jusqu’à la rébellion.

Six ont été condamnés à 10 ans d’emprisonnement, les autres à des peines allant d’un à sept ans. Un pourvoi en cassation a été rejeté en avril 1945. Les derniers incarcérés ont été remis en liberté en 1947. Il y a eu amnistie, mais pas de réintégration ni dans le grade, ni dans l’armée. Malgré l’amnistie, ils restent coupables d’un crime qu’ils n’ont pas commis. Sur les dossiers individuels des victimes, la décision suivante est tamponnée: "N’a pas droit à la mention +Mort pour la France+".

C’est pourquoi un des enfants des tirailleurs condamnés a déposé une requête en révision qui a franchi la première étape, puisqu’elle n’a pas été rejetée par le président de la commission de révision. La prochaine étape est le 19 octobre, avec l’examen du dossier par la commission d’instruction, une séance non publique."



mcl/bar/kp
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